Eugenie Grandet [Honoré de Balzac]

Publié le 09 février 2015 par Charlotte @ulostcontrol_

Balzac est un auteur un peu particulier pour moi. Je n'avais jamais lu aucun de ses livres (oui, j'avais honte) et pourtant j'avais déjà l'impression de le connaître, sûrement à cause des nombreux textes que j'ai étudiés au lycée (extraits du Père Goriot et des Chouans par exemple). Etonnement, je n'avais pas vraiment envie d'ouvrir ses bouquins. Bizarre, sachant que j'adore les classiques et que plus-classique-que-Balzac-tu-meurs. Pas motivée, peur de tomber sur quelque chose d'indigeste... J'ai finalement pris mon courage à deux mains, il faut dire que la vieille édition d' Eugénie Grandet qui était chez mes parents me rappelait un peu trop mon ignorance à mon goût.

Félix Grandet a été tonnelier. Grâce à un sens aigu des affaires et une avarice plus que prononcée, il a réussi à faire fortune en profitant des événements de cette époque instable. Autrefois maire de Saumur, il fait maintenant fructifier sa grande fortune tout en faisant croire à sa femme et à sa fille Eugénie qu'ils sont moyennement riches. Les habitants de Saumur, plus au courant de la fortune du père Grandet, voient en Eugénie Grandet le plus beau parti de la ville, et deux notables la courtisent ardemment. Celle-ci, d'une innocence réelle et d'une naïveté prononcée, ne se doute de rien. Jusqu'au jour où arrive son cousin Charles Grandet, fils du frère du père Grandet. Celui-ci est envoyé à Saumur par son père, riche négociant de Paris qui ayant fait faillite éloigne son fils avant de se suicider. C'est Grandet qui annonce son malheur au jeune homme. Plongé dans le désespoir, Charles trouvera dans sa cousine une âme tendre, les deux jeunes gens ne tarderont pas à s'éprendre secrètement l'un de l'autre.

Balzac nous raconte ici l'histoire d'Eugénie Grandet, une jeune femme qui a la malchance d'être la fille de Félix Grandet... et Félix Grandet est plus avare qu'Harpagon. Malgré sa fortune, celui-ci se comporte en effet comme le plus pauvre des hommes et inflige ainsi à sa femme, sa fille et sa domestique des conditions de vie presque invivables dans le seul but de ne pas dépenser un sou de trop et d'augmenter encore sa fortune.

Malgré le titre du roman, c'est moins sur Eugénie que sur Félix que se concentre Balzac. En effet, le portrait du père de famille est tellement présent dans cette histoire que la présence et le rôle d'Eugénie ne me sont apparus qu'une fois le roman refermé. Il faut dire aussi que Félix Grandet est un homme imposant :

" Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces de circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules, son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole ; son menton était droit, ses lèvres n'offraient aucune sinuosité, et ses dents étaient blanches ; ses yeux avaient l'expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic ; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives ; ses cheveux jaunâtres et grisonnants étaient blanc et or [...] " p.30-31


Face à ce monstre, Eugénie est au début du livre une jeune femme réservée et qui manque cruellement de personnalité. Avec sa mère, elle se soumet complètement aux ordres et à la dictature de son père. Félix Grandet est d'ailleurs un des personnages les plus marquants que j'aie pu trouver dans un roman ! Il ne recule devant aucun moyen, aucune ruse pour en venir à ses fins et amasser obtenir ce qu'il veut. Evidemment, ce personnage est indissociable du trait de caractère qui le définit : l'avarice. Il ne vit que pour l'argent, le compter, le garder sans le dépenser.
La façon dont Balzac nous décrit l'avarice est d'ailleurs assez exceptionnelle. Ce vice est tellement présent chez Félix Grandet qu'il déteint sur son physique et se transforme en maladie, Balzac parle en effet de " monomanie " page 206 et nous décrit ses yeux comme teintés par le métal jaune page 26. Félix Grandet semble ne plus avoir grand chose d'un homme d'ailleurs puisque Balzac n'hésite pas à le comparer à un animal.

" Financièrement parlant, monsieur Grandet tenait du tigre et du boa : il savait se coucher, se blottir, envisager longtemps sa proie, sauter dessus, puis il ouvrait la gueule de sa bourse, y engloutissait une charge d'écus, et se couchait tranquillement, comme le serpent qui digère, impassible, froid, méthodique. " p.27

Bref, ce livre a été une belle occasion pour moi de découvrir le talent de description de Balzac et son art dans le portrait. Grâce à un sens du détail, il parvient à créer des personnages particuliers et mémorables.

Mais revenons à Eugénie : c'est quand même l'héroïne de notre histoire ! Si elle est plus agréable que son père, elle manque quand même cruellement de perspicacité et de discernement. Malgré le fait qu'elle soit présentée comme une victime au début du roman, Balzac n'en porte pas moins un regard critique sur son caractère et son comportement. En effet, l'auteur ne se prive pas de se moquer d'elle : " Il lui avait plus surgi d'idées en un quart d'heure qu'elle n'en avait eu depuis qu'elle était au monde. " nous dit-il page 64. Le portrait que l'on peut dégager de ce personnage est par conséquent assez ambivalent. Discrète et timide au début du roman, Eugénie va toutefois évoluer au fur et à mesure qu'elle apprendra à composer avec le caractère de son père. La Eugénie de la fin du roman est finalement bien différente de celle du début et n'évolue pas forcément comme on l'aurait pensé...


En fin de compte, c'est un roman que j'ai beaucoup aimé découvrir, autant pour la finesse du portrait des personnages que pour leur psychologie. Globalement, j'ai bien aimé le style de Balzac ; son ton ironique lorsqu'il décrit ses personnages est très amusant et appelle à des réactions de la part du lecteur, en revanche je dois vous prévenir que j'ai trouvé certains passages indigestes. En effet, certains passages sont souvent composés d'un seul paragraphe de telle sorte que c'est parfois impressionnant de voir deux, trois voire quatre pages sans retour à la ligne ni dialogue. On retient son souffle, on s'accroche et on enchaîne ainsi plusieurs pages en ayant l'impression de ne pas souffler et d'être un peu étouffé par le texte. Pas de chapitre ici non plus, la narration s'enchaîne en un seul jet du début jusqu'à la fin. Rien de bien dramatique, mais j'admets que j'ai une préférence pour les textes plus aérés, moins denses et moins linéaires.
Si ce roman ne m'a pas bouleversée, il me donne toutefois l'envie de continuer de découvrir Balzac et les personnages de sa Comédie Humaine.

Voilà en tout cas une chose de plus de ma " to do list " de la honte à cocher : découvrir Balzac. Et vous, y a-t-il un auteur dont vous n'avez jamais ouvert de livre mais que vous avez déjà l'impression de connaître ? Que pensez-vous de Balzac ?