[Critique] AMERICAN SNIPER

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : American Sniper

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes, Jake McDorman, Kevin Lacz, Cory Hardrict, Navid Negahban, Keir O’Donnell…
Genre : Drame/Guerre/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 18 février 2015

Le Pitch :
Tireur d’élite des Navy Seal, Chris Kyle est envoyé en Irak afin de protéger ses camarades sur le champ de bataille. Très rapidement, le sniper se fait remarquer grâce à la grande précision de ses tirs, qui lui permet de sauver de nombreux soldats lors d’opérations particulièrement dangereuses. Celui que l’on surnomme La Légende devient alors un héros aux yeux des siens, qui ne cessent de le célébrer, tandis que l’ennemi met sa tête à prix. Pendant ce temps, au pays, sa famille doit vivre avec l’angoisse permanente de ne pas le voir revenir en un seul morceau, mais doit aussi composer, lorsque Chris est en permission, avec un homme meurtri en son fort intérieur, sur lequel la guerre ne cesse de resserrer son étau…

La Critique :
Chris Kyle est né au Texas. Élevé par un paternel plutôt coriace, attaché aux bonnes vieilles valeurs de l’Oncle Sam, nourri aux maïs, le garçon apprend à se servir d’une arme dès le plus jeune âge, se sert de ses compétences à la chasse, et est encouragé à se battre si la cause est noble. Adulte, Kyle est le pur produit de son pays. Un authentique américain, fier et grande gueule, bien charpenté et égocentrique.
Clint Eastwood lui, est né en Californie. Star du petit écran, il gagna vite ses galons en incarnant au cinéma des personnages taciturnes portés sur les méthodes expéditives, avant de s’appliquer à bâtir une filmographie de réalisateur impressionnante. Malgré cela, à savoir les comédies, les romances, les biopic musicaux, et autres drames intimistes, Eastwood est toujours pour beaucoup de personnes, l’Inspecteur Harry. Ce flic armé de son fameux Magnum, qui tire avant de causer. La représentation ultime d’une justice expéditive et du même coup de la politique d’un pays connu entre autres choses pour son attachement au Deuxième Amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit à chaque citoyen le droit de posséder une arme (et d’en faire usage si les circonstances l’exigent). Et peu importe si Eastwood s’est justement servi de son rôle de réalisateur pour démonter brique par brique cette légende qui lui collera de toute façon toujours à la peau. Avec Gran Torino, Clint lorgnait par exemple vers Harry et ses méthodes, en campant une version âgée du justicier souvent conspué, pour affirmer des convictions que beaucoup ne lui prêtent pas, en raison notamment de son inclinaison politique. Le résultat d’esprits étriqués qui jugent de façon unilatérale, en préférant notamment s’attacher à des personnalités auto-proclamées « bienveillantes », comme Michael Moore, et donc ne jamais accepter les nuances et les métaphores plus fines, mais aussi plus percutantes et malignes, comme Eastwood sait s’y bien les illustrer dans ses œuvres les plus engagées. Ce qu’il fait précisément dans American Sniper.

Le parallèle entre le personnage central du film et le réalisateur est si évident, que beaucoup se sont empressés de taxer à nouveau Eastwood de vieux réactionnaire. Un tel jugement, quand on a passé plus de 2 heures devant l’histoire du sniper Chris Kyle, apparaît pourtant complètement à côté de la plaque. À ce niveau là, être capable de ne voir dans American Sniper qu’une glorification de la Bannière Étoilée et de son implication guerrière à l’étranger, relève de la bêtise crasse pure et simple. Sous son spectaculaire carton au box office, American Sniper est déjà un film incompris par une certaine intelligentsia, totalement incapable de discerner une satire intelligente quand elle en voit une, trop habituée probablement aux schémas faciles à digérer ou aux métaphores prétentieuses en contreplaqué. Clint a bientôt 85 ans et non, il n’a plus rien à prouver et au passage, n’en a plus rien à faire des pisse-froids. Avant d’atterrir entre ses mains, American Sniper est passé par celles de David O. Russell et de Steven Spielberg. Si on ne doute pas une seconde que ces deux réalisateurs auraient pu accoucher d’un grand film, c’est une bonne chose que ce soit Clint qui s’en soit chargé. American Sniper lui permet de se mettre en danger. De toucher du doigt un sujet extrêmement sensible. De prouver au final qu’il n’a rien perdu de son courage, de son esprit frondeur et aventurier et de sa grande sensibilité. Et une dernière fois, tant pis pour ceux qui n’ont rien compris et qui se contentent de ressortir des accusations vieilles de plus de 40 ans. En même temps, c’est plus facile, ça évite de trop réfléchir, ça fait vendre du papier, et ça génère du trafic sur la toile. Clint lui, s’en moque comme de sa première chemise : il vient de livrer un chef-d’œuvre et au passage de mettre un gigantesque coup de pompe dans la fourmilière.

American Sniper se place dans la droite lignée de Rambo, Voyage au bout de l’enfer, ou encore de Démineurs, à savoir ces œuvres coup de poing qui traitent de la guerre tel un vecteur ambigu d’un dévouement exacerbé envers un pays, source de traumatismes irréversibles. Des traumatismes qui interdisent à ceux qui reviennent au pays de retrouver une existence normale. Eastwood ne cherche pas l’originalité mais veut coller de près au récit de Chris Kyle, cette machine de guerre célébrée par toute une nation. Investi d’une mission, Kyle est un soldat dont le but est de protéger son pays. On sent clairement, lors de cette scène où il assiste médusé devant sa télé aux attentats du 11 septembre, un déclic qui changera à jamais sa vie. Le personnage ne se pose pas de questions. Tout ce qui compte est de faire son boulot, quel qu’en soit le prix. Il aime sa femme et ses gosses mais ne peut se résoudre à rester tranquillement chez lui, pendant que les siens meurent sous les balles de l’ennemi. Il est certes (trop) facile de ne voir en Kyle qu’un simple troufion surdoué pour tuer son prochain sans remettre en cause le bien fondé de ses ordres, mais Eastwood explore d’autres pistes. Sa réflexion, il préfère la communiquer au travers de courtes séquences et de dialogues qui, par leur seule force évocatrice, déconstruisent cette figure super-héroïque. Clint pénètre le mental d’un homme dur, dont le fusil n’est rien d’autre que le moyen d’expression privilégié. Il en accepte tous les aspects, au risque de donner l’impression de plier l’échine face aux critiques, pour mieux dessiner une réflexion puissante sur son sujet, à savoir la guerre et plus précisément la dynamique qui anime depuis bien longtemps déjà la démarche militaire américaine.
Le metteur en scène nous raconte l’histoire d’un homme plus complexe qu’il n’en a l’air, avec une pertinence incroyable. Chris Kyle n’est ni méchant, ni gentil. C’est juste un homme élevé pour être fort et pour protéger. C’est un chien de berger, qui ne regrette pas un seul de ses actes ou du moins, qui ne s’en rend pas compte. Un type bousillé par un système qu’il aime et qu’il nourrit par ses actes et son dévouement, même si le prix à payer est de délaisser une famille qui a besoin de lui.

Dans le rôle titre, Bradley Cooper et ses 20 kilos de muscles en plus, font un boulot admirable. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le comédien s’attaquait ici au plus grand défi de sa carrière. À l’arrivée, il en ressort grandi. Impressionnant, physiquement spectaculaire, charismatique et même parfois drôle, Cooper sait aussi -et c’est important- mettre en exergue les doutes qui assaillent un homme qui a appris à les ignorer. Il retranscrit, merveilleusement dirigé par Eastwood, l’ambiguïté d’un type en forme de symbole et participe, grâce à son talent pour communiquer un grand nombre d’émotions contradictoires, à l’entreprise de déconstruction massive du film. À ses côtés, tous les comédiens sont parfaits, à commencer par Sienna Miller, dans son meilleur rôle, quand bien même ce dernier aurait pu se limiter à celui vu et revu de l’épouse inquiète restée à la maison. Au lieu de cela, Sienna Miller incarne une facette du questionnement qui interroge le héros dans ses fondements les plus profonds, s’extirpant des clichés pour sublimer un lieu commun du cinéma guerrier américain.

On en conviendra, American Sniper n’est pas un film facile. À tous points de vue il propose un spectacle traumatisant, traversé de scènes marquantes, mais nécessaires. Réalisé par un Eastwood revenu à une mise en scène âpre, nerveuse, ambitieuse car pleine d’amplitude, claire et précise, American Sniper jouit en outre d’une écriture ciselée qui le rend par bien des aspects totalement prenant et immersif. Sur un plan purement cinématographique et donc formel, le film tire également parti de la condition de sniper du personnage pour emballer des scènes à couper le souffle, où la tension, palpable, met les nerfs à rude épreuve. Sur plus de 2 heures, le long-métrage, très réaliste, ne lâche rien, surprend, émeut, choque et fait réfléchir. Plus que le Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, par exemple, il gagne sur tous les plans, si on fait exception des rares fois où il trébuche (la fameuse histoire du bébé en plastique, anecdotique d’ailleurs), se posant comme un des meilleurs films de guerre contemporains et peut-être le plus grand en ce qui concerne le conflit autour duquel il axe son intrigue.
Clint Eastwood fait partie de ces légendes qui ont façonné le cinéma américain. Loin de se reposer sur les caisses de lauriers qu’il a accumulé, il revient avec une bombe à retardement, où se lit tout son savoir-faire. Avec un très grand film qui traite des horreurs de la guerre et de la déshumanisation de ces hommes prêts à tout sacrifier. Il raconte son pays. Pays qu’il aime, mais qu’il connaît aussi parfaitement, jusqu’à en saisir les paradoxes. K.O. pur et simple.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Warner Bros. France

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