Climat : l’agriculture produit un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre

Publié le 19 février 2015 par Blanchemanche
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EMILIE MASSEMIN (REPORTERRE)jeudi 19 février 2015
Le rôle de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre est primordial, et notamment du fait de la poussée de la production dans les pays du sud, Chine et Inde en tête. L’émission de méthane par les ruminants joue un rôle majeur. Reste à distinguer selon le mode de production : plus un animal est productif, plus il émet.Non, l’énergie et les transports ne sont pas les seuls responsables du changement climatique. A elle seule, l’agriculture pèse pour 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Plus gros pollueur, le méthane relâché par les ruminations de nos élevages...Si l’on vous dit « émissions de gaz à effet de serre » (GES), que répondez-vous ? Probablement combustion du pétrole, pots d’échappement, usines et autres traînées de kérosène laissées par les avions. Pourtant, un autre secteur économique, composé d’animaux ruminant paisiblement et de cultures champêtres, contribue lourdement au réchauffement de la planète : l’agriculture.L’agriculture émet deux principaux gaz à effet de serre : le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Le méthane, 28 fois plus « réchauffant » que le dioxyde de carbone (CO2), provient des flatulences des bovins (« fermentation entérique »), des déjections animales et des rizières. Les pets et rots de nos vaches sont donc la première source d’émissions agricoles dans le monde : 39 % en 2011. Quant au protoxyde d’azote, au pouvoir réchauffant 310 fois plus grand que le CO2, il se dégage de l’épandage des engrais azotés minéraux et organiques. Il faut ajouter à cela un peu de CO2, émis par les tracteurs et autres machines agricoles.
- La fermentation entérique est la principale source d’émissions de GES par le secteur agricole -L’élevage, puis les engraisDans une évaluation publiée en avril 2014, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les émissions de GESliées à l’agriculture, aux forêts et à la pêche ont quasiment doublé au cours des cinquante dernières années. En 2014, elles représentaient 10 à 12 gigatonnes équivalent CO2, soit 24 % des émissions mondiales juste après la production d’énergie et de chaleur. La première source d’émissions est, nous l’avons vu, l’élevage des ruminants. Vient ensuite l’application d’engrais de synthèse, 13 % des émissions agricoles en 2011.Les émissions liées à l’agriculture et à l’élevage ont augmenté de 14 % entre 2001 et 2011. Cette hausse est principalement due à une augmentation de la production agricole dans les pays en développement, en lien avec la mondialisation des échanges et la croissance démographique. A ces disparités régionales s’ajoutent une différence Nord-Sud plus générale, relevée par leRAC France dans un rapport de 2010 : les pays du Sud émettent principalement du méthane (élevage, gestion des déchets et culture du riz) tandis que les pays du Nord laissent plutôt s’évaporer du protoxyde d’azote (engrais, gestion des déjections).
- La Chine et l’Inde sont les plus gros émetteurs de GES agricoles de la planète (source FAO) -En France, bovins et engrais réchauffent l’atmosphèreQu’en est-il en France ? L’Hexagone est « le premier producteur de bovins d’Europe, en particulier allaitant, expliquent Thomas Eglin, Alexia Tenaud et Jérôme Mousset du service Agriculture et forêt de l’Ademe. Or, l’élevage bovin émet un peu plus de méthane que les autres. » En parallèle, les agriculteurs français sont de gros consommateurs de produits phytosanitaires : en 2010, la France était le septième consommateur d’engrais minéraux dans le monde et le sevrage est difficile, comme en témoigne l’échec du dernier plan Écophyto. Autant de pratiques fortement émettrices de GES, qui font que l’agriculture pèse pour 20 % des émissions françaises.Prudence : les émissions agricoles sont difficiles à évaluerCe tableau mondial est brossé à grand traits, parce qu’il est difficile d’évaluer les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture. En réalité, la FAOtravaille surtout sur la base de modèles, tels qu’en construit Étienne Mathias, ingénieur agronome à l’unité agriculture-forêt du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). Ce dernier a travaillé au dernier inventaire Secten du Citepa. « On calcule les émissions à partir des données nationales, explique-t-il : par exemple, pour les émissions liées à l’élevage, le nombre d’animaux dans le cheptel national. Puis on le multiplie par un facteur d’émissions. Pour les cultures, on s’intéresse à la quantité d’engrais apportée. »Tout l’enjeu est de définir des facteurs d’émissions proches de la réalité. Les ingénieurs peuvent les définir suivant une méthode simple – une vache émet une quantité X de méthane par an - ou plus complexe. « Dans ce cas, on travaille sur un ensemble d’équations intégrant plusieurs paramètres. Par exemple, la productivité d’une vache laitière : plus elle est productive, plus elle émet de méthane par an », dit Étienne Mathias. En ce qui concerne les cultures, le facteur d’émissions permet de déterminer quelle quantité d’engrais azoté va se volatiliser sous forme de gaz à effet de serre.Et le bio dans tout ça ?Une grande faiblesse de ces inventaires est qu’ils ne prennent pas en considération les différences entre systèmes agricoles, conventionnel, intégré et biologique. Qu’est-ce qui émet le plus, du maïs conventionnel élevé en grandes cultures, ou une petite ferme maraîchère bio ? Pour l’Ademe, les résultats ne sont pas évidents : « Aujourd’hui, il n’existe pas de différence systématique entre les différents systèmes de production, observe Thomas Eglin. Le bio a un rendement plus faible en général. A surface donnée, il peut être moins émetteur, mais rapporté au kilo produit, on se retrouve souvent dans les mêmes ordres de grandeur que le système conventionnel. » Mais« cela n’enlève pas au bio son intérêt environnemental, notamment d’être à zéro pesticide de synthèse ».Une chose est sûre : l’agriculture émet trop de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. L’élevage en particulier pose problème : nous l’avons dit, 39 % des émissions sont liées aux seules flatulences des animaux d’élevage. Si l’on y ajoute les gaz réchauffants relâchés par les engrais qui servent à cultiver leur soja et leurs céréales, le méthane qui s’échappe de leurs déjections, cela fait beaucoup L’impact des cheptels mondiaux sur le changement climatique est massif, et pour bien le comprendre, Reporterre l’analysera en détail dans un prochain article.Mais l’agriculture peut par ailleurs contribuer à atténuer le changement climatique. Car les émissions agricoles s’intègrent dans un véritable processus biologique, souligne Thomas Eglin :« La spécificité de l’agriculture est sa capacité à stocker du carbone. Elle peut aussi produire de la biomasse pour des énergies renouvelables, des biomatériaux, de la chimie verte etc. C’est pour cela que l’enjeu est d’avoir un bilan global de l’agriculture et de la forêt qui intègre tous ces leviers d’action : atténuation, stockage, production d’énergies renouvelables... » Bilan qui reste donc, pour l’instant, incomplet, et que nous préciserons ultérieurement.
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Source : Emilie Massemin pour ReporterrePhotos :
. épandage d’engrais ( «  1264 Rogator Spraying Corn  » par Pl77, Wikimedia Commons)
. vaches de race Montbéliard (Avvincent. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)Cette enquête est menée en partenariat avec la campagne Envie de paysans.http://www.reporterre.net/Climat-l-agriculture-produit-un