Charles Fréger "Wilder Mann ou la figure du sauvage"

Publié le 04 mars 2015 par Lifeproof @CcilLifeproof

Diplômé de l’école des Beaux-Arts de Rouen en 2000, Charles Fréger travaille sur la représentation du corps social, la construction de l’identité et l’image de soi. Il portraitise des communautés traditionnelles ou religieuses, des collectifs sportifs, ainsi que des corps de métiers. Mardi gras Indians, sumos, militaires, pénitents de Séville, majorettes, jockeys, patineuses, les sujets de Charles Fréger expriment physiquement l'appartenance au groupe. Le photographe les saisit au flash, le plus souvent sur un fond neutre, hors de tout contexte.

Cet intérêt obsessionnel pour le groupe naît à Rouen pendant ses études aux Beaux-Arts. Un bateau de la marine y avait fait escale, et il s'est essayé aux portraits de marins. "En une journée, tout a basculé. J'ai vu que c'était mon monde. Je travaillais déjà sur la sérialité. Dans l'uniforme, il y avait quelque chose de conceptuel, de froid, que j'aimais."

Note importante : chez Charles Fréger, l'individu ne disparaît pas dans le groupe, mais s'y intègre et s'exprime en absorbant ses codes, ses symboles. Les modèles sont fiers de cette identité collective qu'ils incarnent. "Je ne veux pas juste des gens qui portent un tee-shirt pour travailler dans un fast-food. Je cherche des groupes de pairs, des individus qui ont fait la démarche de porter un uniforme, de grossir, de se muscler... des gens qui veulent rentrer dans leur image, portés par un désir d'être."

Sa dernière série, "Wilder Mann", marque une rupture visuelle. Durant deux ans, le photographe s'est plongé dans "l'Europe tribale" et à photographier "l'homme sauvage" dans un décors naturel, à travers 18 pays. Soit un ensemble de figures apotropaïques et de symboles de fertilité toujours célébrées en hiver, et qui évoquent la peur de la mort, la chasse de l'hiver et de ses esprits, l'invocation du printemps et l'espoir du renouveau. En France, en Sardaigne, en Bulgarie, en Hongrie, en Allemagne, en Suisse, etc. l'homme incarne l'animal synonyme de fertilité et de renouveau. Il se pare de peaux de bêtes, porte des cornes, des cloches, des feuilles, de la paille...


© Charles Fréger, 2010 - 2011 / Babugeri, Bulgarie, 2010 - 2011

« Les masques de Bansko portent le nom de Babugeri tandis que dans la petite ville voisine de Razlog, on les appelle Chaushi... Les Babugeri organisent leur mascarade le 1er janvier sur les bases du calendrier grégorien, les Chaushi le 13 janvier. (...) Dans l'ancien temps, Babugeri et Chaushi portaient à la taille une tige en bois peinte en rouge suspendue au milieu de leurs cloches tel un objet phallique. Dans leur danse rituelle, ils effleuraient les femmes mariées pour les rendre fertiles, leur donner de la force et leur porter bonheur. Aujourd'hui, la verge de bois a été supprimée ou remplacée par un bâton tenu à la main. »


© Charles Fréger, 2010 - 2011 / Schnappviecher (ou Wudelen), Tramin, Sud Tyrol, Italie

« (…) Les Schnappviecher – bêtes à cornes sans oreille présentant une lange métallique – peuvent atteindre une taille imposante, jusqu'à trois mètres de haut. Leur mâchoire inférieure est mobile et s'actionne à l'aide d'une corde, les dents en bois produisant alors un claquement bruyant. L'origine de ces personnages est incertaine. Leur physionomie pourrait les relier aux dragons de l'imaginaire religieux ou des épopées et mythes médiévaux. »


© Charles Fréger, 2010 - 2011 / Busos (Diables), Hongrie

« Le carnaval de Mohacs est sans doute le plus connu de Hongrie. (...) D'après la légende, durant la période de l'occupation turque, les habitants de Mohacs s'affublèrent de masques à cornes effrayants et firent un grand vacarme ; les Turcs les prirent pour des démons et s'enfuirent. Les masques de Buso figurent des visages humains, monstrueux, ou des têtes de diables ou d'animaux, principalement des bœufs. Selon la tradition, ces masques doivent être peints en partie avec du sang animal. (...) Le soir de Mardi Gras on brûle un costume de Buso dans un cercueil afin de symboliser la fin de l'hiver. »


© Charles Fréger, 2010 - 2011 / Krampus, Autriche

« Les Krampus (...) s'intègrent aux coutumes de l'Avent. Soit ils accompagnent saint Nicolas dans ses tournées, soit ils participent à des cortèges qui leur sont exclusivement réservés. Ils effraient les enfants qui n'ont pas été sages et poursuivent, et fouettent, les spectateurs dans un vacarme de cloches assourdissant.

Depuis plus de 100 ans est organisé, à Bad Mitterndolf, le “Krampussiel” (Jeu de Krampus). Il s'agit d'une pièce de théâtre, jouée dans des lieux différents, cinq fois de suite, et à laquelle participent plus de 80 acteurs. (...) L'intrigue met en scène, entre autres, un homme pauvre qui se confesse au curé, mais qui ne regrette nullement ses péchés et ne montre aucune volonté de s'améliorer. Il est donc tué par le personnage de la Mort et traîné ensuite en dehors de l'auberge par deux Krampus. (…) »

Charles Fréger, en fervent défenseur du collectif, a fondé un groupe d'artistes internationaux dénommé Piece of Cake, POC pour les intimes. "Je dois avoir en moi une solitude liée à la perte du clan. Ce n'est pas un hasard si j'ai créé ma tribu. Aujourd'hui, les membres américains de POC s'appellent "le gang" entre eux. Pour moi, c'est une loge."A la fin de chaque projet, le photographe se fait aussi confectionner un costume sur mesure inspiré des groupes qu'il a photographiés. "C'est comme si pour boucler un projet il fallait que je puisse en être." A la fin de la série "Empire", il avait inventé un costume idéal, aux symboles très étudiés, avec une devise en latin qui disait "Avec mon désir, j'entre seul dans le cercle".

Cyril

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Les légendes des photographies sont extraites de l'ouvrage "Wilder Mann" publié aux éditions Thames & Hudson.