Claques et gifles

Publié le 05 mars 2015 par Rolandlabregere

Le Conseil de l'Europe reproche à la loi française de ne pas interdire totalement les châtiments corporels envers les enfants. Le droit français ne prévoit pas « d'interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels », explique Le Monde.fr. L’Europe doute de la portée éducative des gifles et des fessées. La France est montrée du doigt.

Ce que l’Europe ne remarque pas, c’est la présence des châtiments langagiers dans la tradition polémique de la politique française. Qui aime bien châtie bien. Qui a un compte à régler avec un tiers se voit en venir aux mains, mais pas pour de vrai. Pour brasser des mots claquants qui, pense-t-on, vont laisser forcément des traces. Les coups sont cependant immatériels mais sont réitérés dès qu’un micro est aperçu. Les fessées sont médiatiques.

Au plus fort de la joie des soirs de scrutin, l’usage est de poser le diagnostic majeur de la défaite conférée à son meilleur ennemi. Elle est désormais nommée une déculottée. Les formules sont cinglantes afin de fouetter les esprits. Les médias se poussent du coude pour recueillir la formule la plus piquante. Pas question de chercher midi à quatorze heures, pas question de chercher la meilleure des nuances parmi les cinquante disponibles sur la palette de la communication à chaud. Souvent, c’est la possibilité de figurer dans l’anthologie des petites phrases qui incite à constater la déculottée de tel ou telle. Le plaisir des mots pourrait-il ouvrir à réalisation de la comédie communicationnelle ? C’est à qui mieux-mieux voit dans le score de l’autre une signifiante déculottée. Le score du PS aux municipales de 2014 ? Une déculottée, selon Mélenchon alors que le politologue Arnaud Mercier a vu dans le résultat des municipales de 2014 « une grande gifle, mais pas une déculottée totale pour le PS ». (BFMTV le 31/03/2014). Le choc Jean-Luc Mélenchon-Marine Le Pen, pour les mêmes municipales ? Il a donné lieu à de nombreuses intentions et attributions de déculottées. La petite performance de Nathalie Kosciusko-Morizet à Paris lui a valu une volée de déculottées joyeusement attribuées. Au résultat des Européennes d’avril 2014, le site Le Dauphiné.com avait vu dans les résultats du PS une « déculottée sans nom », citant les propos d’une tête de liste du PS. Un blogueur analysant le prochain scrutin des Départementales prédit que « Tout est en place pour la déculottée du 29 mars ». (Michel Drouet, son site, 02 mars 2015).

C’est aux commentaires sportifs qu’est emprunté cet usage immodéré. Subir une déculottée, c’est mériter sa défaite. On est mal préparé, le programme n’est pas ajusté aux temps présents. La déculottée exprime la volonté populaire de sanctionner. Le battu devient vaincu. Sans appel. Ainsi, en basket, quand l’équipe de Poitiers perd face à celle du Portel, c’est « Une sacrée déculottée » que lui attribue la presse régionale. (28/02/2015). Cette défaite est « une sévère correction ». La déculottée conduit à la honte. C’est pour cela que rien ne peut être rattrapé. Le score (Le Portel - Poitiers  97-66) montre que « Totalement à côté de leur sujet, les Poitevins ont subi une humiliation au Portel et s’éloignent des play-off ».

Si taper n’est pas un geste éducatif, on se demande bien pourquoi les politiques et les médias continuent de distribuer gifles, claques et déculottées à tout bout d’élections ? Franchement, ça tape sur les nerfs. Une semaine avant le scrutin législatif partiel du Doubs, Le Journal du Dimanche, (29 janvier 2015), se demandait si le résultat ne serait pas une « 13e gifle législative pour le PS ? ». Les claques se distribuent par paires. Les gifles se répandent par bouquets. En prévoir 13 à la douzaine. Ce renouveau lexical en dit long sur les représentations que diffusent les acteurs de la vie publique. En renonçant aux métaphores costumières, «il a mangé son chapeau», « il a pris une veste », « il s’est fait tailler un costard »…, politiques et communicants ne contribuent pas à densifier le débat. L’Europe pourrait-elle s’émouvoir de cet excès de coups ? C’est l’éducation politique des citoyens qui est en jeu. Elle pourrait proposer, par exemple, de changer de registre sans retourner sa veste.