Environnement, projets contestés : vers un (vrai) débat citoyen?

Publié le 21 mars 2015 par Blanchemanche
#démocratieparticipative

Rénover en profondeur le débat public pour permettre une véritable démocratie participative : c’est l’objectif de la délégation d’opposants aux grand projets contestés, qui vient de remettre une série de propositions au ministère de l’Écologie. Décryptage.Ferme des 1000 vaches, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, lignes de TGV Lyon-Turin, Poitiers-Limoges ou Bordeaux-Espagne… Samedi 14 mars, treize représentants de mouvements d’opposition à des projets jugés inutiles – voire néfastes – se sont rendus au ministère de l’Écologie. Dans leurs bagages ? Une plateforme de 20 propositions et trois règles d’or destinées à rénover le débat public, qu’ils ont présentées à la « Commission spécialisée sur la démocratisation du dialogue environnemental ».Mise en place le 19 février par la ministre de l’Écologie, cette structure consultative rassemble une cinquantaine de membres (représentants d’associations environnementales, d’organisations patronales et syndicales, d’experts…) qui, sous la houlette du sénateur (PS) Alain Richard, rendront leurs conclusions fin mai au Conseil National de la Transition Énergétique (CNTE). Avec un objectif – et non des moindres : celui de favoriser la « démocratie participative » et d’améliorer le « dialogue environnemental ». Dialogue que les opposants aux grands projets contestés appellent justement de leurs vœux…« Un groupe de travail informel s’est mis en route l’été dernier à Notre-Dame-des-Landes. Depuis septembre, nous nous sommes réunis deux fois. Et début 2015, quand nous avons entend l’annonce du CNTE, nous avons commencé à travailler sur la création d’une plateforme de propositions. Puis nous avons avons proposé à Gérard Richard de nous recevoir, ce qu’il a accepté », explique Françoise Verchère, conseillère générale de Loire-Atlantique et co-présidente du Collectif d’élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Cédpa).Des manifestants à Notre-Dames-des-Landes en août 2013 – © H. Reussard/The Dissident

Des dysfonctionnements qui minent le débat public

Pendant 6 heures, les treize membres de la délégation ont ainsi présenté le fruit de leur travail, pointant un à un les dysfonctionnements structurels qui minent aujourd’hui le débat public. Des défaillances qu’ils observent – et dénoncent – depuis des années. « Lors de nos séances de travail, un consensus s’est dégagé assez rapidement, car nous nous sommes très vite rendus compte que, partout, ce sont les mêmes ingrédients qui créent les blocages et les désespérances », souligne Françoise Verchère.Parmi ces ingrédients ? La définition de l’« utilité publique », d’abord, qui s’avère bien plus complexe à déterminer dans le cas d’un projet de parc de loisir ou d’une voie ferroviaire que pour la création d’un nouveau collège, par exemple. « Les projets doivent répondre à des besoins ou être des opportunités pour la collectivité, ce qui suppose qu’avant de les imaginer, soit réalisé un état des lieux contradictoire auquel chaque citoyen pourra participer, et non pas des études qui les justifient a posteriori », a notamment insisté Daniel Ibanez, farouche opposant au projet de ligne Lyon-Turin. Un projet lancé en 1994-1995 à partir de prévisions qui, le rappelle la plateforme, se sont révélées fausses depuis trente ans…

La justice moins rapide que les bulldozers

À la question de l’intérêt public, s’ajoute également la problématique du « saucissonnage » des procédures et de leur durée dans le temps. Une fois les déclarations d’utilité publique prononcées, « tout retour en arrière devient alors impossible », explique en effet la délégation, et ce, même si des études viennent entre-temps remettre en cause le bien-fondé du projet.Autres problèmes ? L’évolution du projet, qui peut se voir profondément modifié durant sa mise œuvre. Le manque d’indépendance des études environnementales, dont il n’est pas rare qu’elles soient réalisées par le maître-d’œuvre lui-même. Le non-respect des avis défavorables au projet, que le Préfet choisit bien souvent d’ignorer. Enfin, les recours juridiques, qui s’avèrent de fait inutiles, puisque le chantier peut commencer même si la décision de justice – bien moins rapide que les bulldozers – n’a pas été rendue. « Quand le projet implique des destructions aux résultats irréversibles, nous pensons qu’il n’est pas possible de lancer les travaux sans que le recours juridique n’ait abouti ! », appuie à ce propos Françoise Verchère.

Conflits d’intérêt, manque de transparence, mensonges…

Des défauts structurels donc, mais aussi des problèmes d’éthique, que la délégation a souhaité mettre sur la table. S’appuyant là encore sur de nombreux exemples – « nous avons la preuve de tout ce que nous avançons », souligne l’élue – celle-ci dénonce en effet des « pratiques inacceptables » de la part des porteurs et des acteurs des projets. Au programme ? Conflit d’intérêts, manque de transparence, discrédit ou ignorance des contre-expertises, intimidations, mensonges… Sur le Lyon-Turin, par exemple, le projet est ainsi passé de 3 milliards € à plus de 30 milliards € !Manifestation à Nantes contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, février 2014 – (c) La CorbotteÀ l’ouest du pays, sur la LGV Tours-Bordeaux, on avait promis une qualité de desserte aux villes moyennes traversées par la ligne. Or, à deux ans de l’ouverture de la ligne, des villes comme Tours, Poitiers, Angoulême ou la Rochelle se sont rendue compte qu’elles seraient en fait moins bien desservies, tout en ayant financé le projet… pour lequel elles ont fini par geler leur contribution. « Il faut faire du ménage dans ces pratiques, et un certains nombre de nos propositions vont dans ce sens », explique François Verchère.

Une délégation « sans illusion »

« Je pense que la Commission a été assez surprise de la qualité du travail présenté. Ils s’attendaient à entendre des opposants, des plaintes, mais certainement pas un travail d’analyse », poursuit-elle. Pour autant, qu’adviendra-t-il de ces vingt propositions ? Il est trop pour le dire. « Déjà, nous souhaitons qu’elles soient connues du grand public. Cela règlerait beaucoup de problème, notamment sur les enjeux de transparence, de défense de l’intérêt général… Ensuite, il faudrait qu’elles se traduisent dans les faits si l’on veut réellement rénover la façon dont le débat public est mené », estime Françoise Verchère, rappelant au passage que cette plateforme, qui vise à ouvrir le débat, a vocation à « être enrichie et amendée ». Et à permettre, in fine, l’élaboration d’une « démocratie participative » qui ne tienne pas du slogan marketing, mais bien de la réalité citoyenne. Une finalité sur laquelle la délégation dit toutefois « ne pas se faire d’illusion »

« Les politiques s’honoreraient à rénover en profondeur le débat public » 

Difficile, en effet, de croire que le gouvernement souhaite réellement favoriser des méthodes décisionnelles plus démocratiques, à l’heure où la loi Macron vient notamment d’être adoptée, simplifiant dangereusement les procédures juridiques, les enquêtes publiques et l’évaluation environnementale des projets… « Nous sommes engagés dans des luttes qui ne durent pas depuis deux ou trois mois, mais depuis des années. Les uns et les autres, nous avons déjà participé à un certain nombre de concertations, de remises à plat. Ça a été mon cas lors de la Commission du dialogue à Notre-Dame-des-Landes, qui n’avait en fait pour but que de justifier le projet, confie Françoise Verchère. Mais, contrairement à qu’on voudrait faire croire aux gens, les opposants à ces projets ne sont pas toujours dans l’opposition, la négation. Nous participons aussi à la réflexion, au dialogue. Notre travail s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de grande méfiance à l’égard des politiques… qui s’honoreraient à rénover en profondeur le débat public ». Lire la Plateforme pour la modernisation de la « démocratie participative » ICI.Par Aurélia Blanc le 21 mars 2015Journaliste indépendante, Aurélia Blanc a contribué pendant deux ans au Bondy Blog, tout en rejoignant la rédaction du trimestriel « urbain, social et métissé » Respect Mag, qu’elle quitte en 2013. Elle travaille désormais pour la presse magazine (Causette) et institutionnelle, ainsi que pour l'édition (Michel Lafon, Philippe Rey). Au programme ? Minorités, exclusions, luttes pour l’égalité, cultures urbaines... et bien d'autres choses encore!
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