Götterdämmerung au Bayerische Staatsoper: un crépuscule illuminé d´un feu d´artifice musical

Publié le 21 mars 2015 par Luc-Henri Roger @munichandco

Si les dieux du Valhalla sont bien morts et si la Walkyrie a mis le feu à leur demeure,  un nouveau dieu est né au panthéon wagnérien. Ceux qui ont eu le bonheur d´entendre la direction du Ring de Kirill Petrenko à Munich, dont le premier cycle s´est achevé hier soir, ont vécu des heures musicales uniques. Après Bayreuth où il dirigera une dernière fois cet été  le Ring mis en scène par Frank Castorf, Kirill Petrenko s´affirme avec cette reprise du Ring munichois d´Andreas Kriegenburg comme un des meilleurs chefs wagnériens du XXIème siècle, si ce n´est le meilleur.  Scrupuleux, minutieux, méthodique, Petrenko hante la partition qu´il visite et revisite pour en rendre la substantifique moelle avec une  précision qui n´a d´égale que sa modestie déjà légendaire, ce qui a pour résultat que le public n´écoute pas l´interprétation ou la lecture que fait Petrenko de la partition,  -Kirill Petrenko n´interprète pas-, il entend la musique de Wagner telle que le Maître de Bayreuth l´a composée. Il doit y avoir en amont un travail d´analyse et une compréhension intime de la structure de l´oeuvre motivés par un respect amoureux de la partition. Il doit y avoir aussi une relation de confiance avec l´orchestre telle qu´il parvient à y insuffler une cohérence et une unisson rares. Sa direction musicale se déroule avec une concentration extrême, jamais relâchée, on a l´impression de voir à l´oeuvre un athlète du plus haut niveau. Chacun des instruments, chacun des groupes instrumentaux et chaque chanteur est constamment pris en compte et soutenu. Tous les départs semblent micrométrés. Cela vaut la peine d´essayer d´obtenir une place d´où l´on peut voir le Maestro à l´oeuvre. Au moment voulu, l´index du chef se tend vers le chanteur pour indiquer le départ de voix, et Kirill Petrenko va plus loin, il indique les montées ou les descentes en puissance, ou les accélérations. Rien n´est laissé au hasard, l´orchestre et le plateau reçoivent à tout instant une parfaite attention et des injonctions toujours précises. La musique de Wagner nous pénètre dans ses couleurs somptueuses, Petrenko nous en dévoile les moindres motifs que l´orchestre exécute et détache avec une clarté incomparable et Wagner nous apparaît avec une beauté époustouflante. Ce sont des heures bénies qui passent sans fatigue.
Le plateau du Götterdämmerung est digne de ce grand chef, avec des choeurs époustouflants au deuxième acte. Stephen Gould maîtrise vocalement la longue et difficile partie de Siegfried avec une telle énergie et un tel brio qu´on en oublie le hiatus de sa corpulence en rapport au rôle.  Petra Lang joue Brünnhilde avec un engagement scénique remarquable de présence, bien que ses mimiques canines carnassières soient assez univoques dans l´expression de la hargne et de la colère. Elle dispose d´une puissance, d´un volume et de montées à l´aigu impressionnants, avec néanmoins un problème important de diction au point que le texte part souvent en bouillie, et qu´il faut alors se référer aux surtitres pour en capter le sens, mais l´intensité dramatique du personnage est parfaitement rendue. On ne peut cependant s´emp mars et les êcher d´évoquer la sublime interprétation de Nina Stemme qui avait subjugué l´auditoire il y a trois ans. Hans-Peter König interprète un Hagen calme et solide, sans véritablement d´animosité ni de hargne, avec les magnifiques graves de sa voix puissante et chaleureuse. Anna Gabler, qui  interprète d´abord le rôle de la troisième Norne,  joue et chante avec bonheur une Gutrune complètement déjantée. Son frère Gunther est chanté par l´excellent baryton Alejandro Marco-Buhrmester, qu´on a déjà pu entendre dans le rôle dans le Ring de Castorf à Bayreuth. On  retrouve avec plaisir l´Albérich de Tomasz Konieczny, qui a triomphé dans le rôle dans l´Or du Rhin. Okka von der Dammerau mérite une mention très particulière en première Norne et plus encore en Waltraute qu´elle chante avec une fulgurance et un talent tels qu´elle en vole la vedette à Petra Lang. Le public le lui a bien rendu, qui lui a réservé un triomphe d´applaudissements, de bravi et de trépignements. Après son Erda et cette magnifique Waltraute, deux rôles qui la consacrent de manière définitive,  on attend sa Geneviève dans le Pelléas et Mélisande de cet été, et on rêve de l ´entendre bientôt dans un grand rôle de mezzo. Enfin, les harmonies vocales des filles du Rhin (Hanna- Elisabeth Müller, Jennifer Johnson qui chante aussi la deuxième Norne, et Nadine Weissmann) confinent au ravissement.
Par dessus tout, ce Crépuscule d´une beauté déchirante consacre la suprématie et  le charisme wagnérien de Kirill Petrenko.
Agenda

Götterdämmerung au Théâtre national de Munich, le 29 mars, et les 2 et 5 avril. Places restantes pour les deux dernières représentations.
Crédit photographique: Wilfried Hösl