TS. Correction COMPO : l'historien et la mémoire officielle

Par Misterr
Les notions/mots clés :

Historien : celui qui étudie et communique sur l'histoire, qui est un discours sur le passé. Ce chercheur analyse les traces du passé pour comprendre l'actualité mais aussi les évolutions des sociétés au cours des siècles. Il se doit de confronter les témoignages entre eux et à d'autres sources pour atteindre l'objectivité. Il est différent du témoin qui est un acteur et ne dispose pas de la vue englobante (panoptique) du chercheur.

Il s'agit pour l'historien de faire l'histoire de la mémoire collective ou des mémoires. Il s'agit de faire la part de ce qui est intégré à la mémoire collective et de ce qui est refoulé, de faire la part des distorsions de tel ou tel événement historique et de les analyser car elles sont le révélateur du rapport que la société dans son ensemble entretient avec son histoire et donc de l'image qu'elle a d'elle-même. Il n'existe pas pour l'historien de " devoir de mémoire " cristallisé dans des revendications communautaristes, mais bien un devoir d'histoire, un devoir d'intelligence.

De nombreux historiens ont écrit sur la guerre d'Algérie qu'ils soient français ou algériens : Mohammed Harbi, Benjamin Stora, Guy Pervillé, Raphaelle Blanche, Gilbert Meynier,...

Mémoire officielle : La mémoire intègre une expérience, un vécu ou un ressenti, une large part d'émotion, de sensibilité. Elle évolue entre souvenirs, amnésie, refoulement et revitalisation. Ils sont déterminés par les sujets qui les conçoivent. La mémoire sélectionne, laissant parfois dans l'ombre ce qui dérange ou effraie. La mémoire est par définition plurielle et partielle car elle relève de la subjectivité.

La mémoire officielle cherche à concurrencer l'histoire ou se veut mémoire collective, celle du groupe. Elle est l'expression d'un pouvoir politique qui s'insinue au fil des commémorations. Elle est souvent influencée par le présent et délibérément récupératrice. Dans le cas de l'Algérie on peut parler de mémoire nationale car la guerre d'Algérie a été élevée au rang d'une puissante révolution, d'un mythe.

L'étude traitée en classe : La guerre d'Algérie.

Placer les bornes chronologiques :

  • de la guerre (1954-62)
  • de l'historiographie (la fabrique de l'histoire) :

Il s'agit aussi de souligner le traitement différencié de ce conflit des deux côtés de la Méditerranée.

L'INTRODUCTION Accroche et analyse du sujet

" Les historiens se doivent de baptiser la " génération de novembre " à juste titre de génération la plus glorieuse de l'histoire de l'Algérie. Mon but est que mes propos soient enregistrés en tant que réalité historique " s'exprimait ainsi le président algérien Boumediene le 08 mai 1973.

ou

Jusqu'au milieu des années quatre-vingt la mémoire de la guerre d'Algérie est fragmentée entre les différents groupes porteurs de mémoires, l'histoire de cette guerre restant largement une histoire officielle, monopolisée par les États.

De 1962 au années 1990, la France et l'Algérie avaient des politiques mémorielles diamétralement opposées. La France avait l'habitude de consolider le sentiment national autour de victoires ou événements qu'elle jugeait glorieux et non de commémorer des défaites comme la guerre d'Algérie qui déchira la communauté nationale entre 1954 et 1962. A la fin de celle-ci, il est impossible de constituer une mémoire nationale consensuelle. En Algérie, elle est érigée au statut de mythe national intouchable et fait l'objet d'une commémoration officielle et obsessionnelle, organisée depuis les années 1970 parce qu'elle est un enjeu politique majeur en tant que source de légitimité de l'Etat. Dans les deux cas la mémoire officielle supprime toute tentative d'histoire critique. Pendant longtemps la fermeture des archives aura interdit en France le travail des historiens tandis qu'en Algérie la Mémoire de la guerre devenait une arme politique. Mais à partir des années 1980, historiens français et historiens algériens, qui pouvaient suivre l'évolution de des recherches en France, vont peu à peu décoloniser et désacraliser l'histoire officielle et permettre à leurs sociétés respectives, bien que les progrès soient ténus en Algérie, de regarder leur passé en face grâce à la confrontation des mémoires.

Problématiques possibles :

Dans l'exemple de la guerre d'Algérie, quel rôle l'historien joue-t-il face à l'instrumentalisation du passé ?

Comment l'historien a-t-il fait face à la construction d'une mémoire officielle de la guerre d'Algérie ?

Comment comprendre qu'il ait fallu plus d'un demi-siècle pour que l'Histoire s'érige devant la commémoration ?

Annonce du plan : .....

Plan détaillé proposé :
    l'Etat, faiseur d'histoire dès la fin du conflit.
      En France : tourner de suite la page d'une histoire pas encore écrite.
      1. Le refus de la guerre.
        • Dès 1954, l'Etat utilise les termes d' " événements " d'Algérie.
        • Pas de défaite militaire mais un dénouement politique.
        • La IVème République est tombée durant la Guerre.
      2. Une Guerre sans nom refoulée par une politique de l'oubli.
        • Pas de commémoration des victimes alors que l'on célèbre les deux guerres mondiales :
            près de 1 million de Pieds noirs rentrent dans l'indifférence.
        • l'impossible mémoire officielle conduit aux lois d'amnistie :
          • 1962, 1968, notamment pour les crimes liés à la torture + réintégration des officiers ayant participé à l'OAS
          • 1982: amnistie des généraux du coup d'Etat de 1961.
>>> Effacer le traumatisme. L'Etat français ne souhaite pas construire de mémoire officielle. De l'Algérie, il ne reste que le souvenir d'une Algérie française. Sans commémoration et sans travail historique, la guerre d'Algérie n'est pas dépassionnée. La honte laisse le champ libre aux porteurs de mémoire et empêche toute curiosité historique.
    En Algérie : faire de la guerre la matrice de la nation.
    1. La construction d'une mémoire officielle et obsessionnelle.
      • Le FLN au pouvoir institue la " guerre de Libération " : un peuple dressé contre le colonisateur :
          1978 : le coffrage du Pavois (Sculpteur/Architecte : M'Hamed Issiakem).
      • Les dates des fêtes nationales : 01 novembre (fête de la Révolution) 05 juillet (fête de l'Indépendance).
      • Création du mythe de 1.5 million de martyrs (contre 300 000 pour les historiens) :
          1982 : inauguration du Mémorial du Martyr à Alger (dans le quartier El Madania qui surplombe la ville, par l'architecte Bachir Yellès)
    2. Éliminer ce qui brouille le récit national officiel.
      • La proclamation de l'Indépendance se fait en pleine guerre civile : ALN contre GPRA :
          Ben Bella arrivé au pouvoir institue un régime de liste unique, de parti unique.
      • Été 1962 : massacre de Harkis (environ 70 000 morts)
      • Le travail des historiens est très encadré :
          Harbi s'exile en France, en 1975 après s'être échappé de prison.
>>> Magnifier la guerre d'indépendance qui représente le terreau d'un roman national algérien. Elle consacre le parti et les hommes au pouvoir et unit le peuple algérien contre les Français. Ici l'historien est au service de l'Etat ; l'histoire est propagande. L'historien Guy Pervillé utilise le terme de " hyper-commémoration mémorielle "
    Les historiens face aux mémoires et à l'Etat.
      La guerre des mémoires perturbe l'écriture de l'histoire.
      1. En France, l'Etat amnésique provoque l'émergence de mémoires plurielles qui sont toutes d'avance déconsidérées.
        • Celles des rapatriés d'Algérie (les Pieds Noirs) marqués par une culture méditerranéenne qui les marginalise :
            2007 : " Mur des victimes du FLN " à Perpignan.
        • Celle des Anciens combattants et notamment du contingent mal vue par la jeunesse du Baby boom.
        • Celle des harkis que l'on ne veut pas voir et reconnaître :
            grève de la faim d'enfants de harkis en 1997).
      2. Le lent et difficile travail des historiens jusqu'au milieu des années 1990.
        • La dénonciation de la torture :
          • 1958 : Henri Alleg publie La question. Son livre est saisi.
          • 1972 : P Vidal Naquet publie la première synthèse sur le sujet : la Torture dans la République.
        • La guerre d'Algérie au cinéma et à la TV :
          • La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo reçoit en 1966 le Lion d'or au festival de Venise mais ne sort pas dans les salles.
          • 1991 : les années algériennes, série TV dirigée B. Stora, présente les différentes mémoires françaises de la guerre. Il est violemment attaqué alors qu'il montre l'occultation, la mystification en France et en Algérie.
          • 1995 : le Film, Un certain 8 mai 1945 sur France 2 déchaîne les associations de rapatriés d'Algérie.
>>> Compétition mémorielle communautaire qui a pour but de monopoliser et/ou confisquer la vérité historique. Les historiens (et cinéastes) montrent la nécessité d'assumer l'histoire en faisant se croiser les mémoires et pour éviter la répétition du refoulé par l'Etat.
    En Algérie, la remise en cause du discours officiel
      La fragilisation du pouvoir du FLN accentue l'émergence d'une histoire critique de la période.
>>>Les travaux des historiens vont avoir lieu et sont reconnus car il y a une demande d'histoire et de vérité de la part de la société, des victimes et des porteurs de mémoire. L'Etat français est prêt à assumer " son histoire " dans la guerre d'Algérie.
    Vers l'écriture d'une mémoire commune ou une " histoire partagée " (Harbi)?
      l'Etat reconnaît avoir mené une " guerre " en Algérie
  • 1999 : la loi officialise l'expression de la " Guerre d'Algérie ".
  • 2003 : proposition de rédaction d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie à l'instar du traité de l'Elysée entre la France et l'Allemagne (1963).
  • 2007 : Nicolas Sarkozy en Algérie " oui le système colonial a été profondément injuste ".
  • 2012 : François Hollande, à Alger, reconnaît les massacres de Sétif et Guelma : " la France manquait à ses valeurs universelles ".
CONCLUSION : Soit mis à l'écart par une confiscation du récit par l'Etat, soit manquant de distanciation, les historiens français et algériens ne purent effectuer leur travail d'analyse et d'explication de la guerre d'Algérie. En Algérie le pouvoir a instrumentalisé la guerre dont il tirait son unique légitimité. L'effritement de son pouvoir a permis une avance timide des historiens et des médias. En France, les historiens ont produits des travaux critiques qui ont permis, à l'Etat de " retrouver " la mémoire, de sortir de la surenchère mémorielle. En décembre 2012, François Hollande, devant le parlement algérien déclarait " La paix des mémoires repose sur la reconnaissance et la divulgation de l'histoire ". En effet, l'histoire s'écrit mieux dans les démocraties et pour le moment encore, En Algérie, l'histoire reste tributaire d'un régime encore très autoritaire. Ouverture possible : les pressions exercées par les islamistes ne vont-elles pas accélérer les rapprochements entre la France et l'Algérie et de ce fait libérer archives, mémoires et paroles en Algérie ?
    Une réconciliation loin d'être acquise
  • En France :
    • Le refus de la repentance et de l'accusation de crime contre l'humanité par tous les chefs d'Etat français.
    • 2005 : loi sur le rôle positif de la colonisation est supprimée (janvier 2006) en raison de la très forte pression des historiens et autres intellectuels.
    • la date de commémoration pour la guerre d'Algérie ne fait toujours pas l'unanimité.
  • En Algérie :
    • l'Etat continue de rejeter les responsabilités de la guerre sur la France.
    • Les harkis sont toujours présentés comme des traîtres et interdits de retour, leur massacre à l'été 1962 est encore nié.
    • Le " traité d'amitié franco-algérien " (2005) n'est toujours pas signé.
    • En Algérie les manuels scolaires restent muets sur de nombreux aspects de la guerre, dérangeants pour le pouvoir en place.
    1980 : printemps berbère + 1988 : révolte de la jeunesse algérienne = durement réprimée par l'armée qui fait usage de la torture... que l'Etat algérien reprochait à l'armée française. Les techniques de l'armée algérienne sont similaires à celles de l'armée française 30 ans plus tôt.
    Le pouvoir en place essaie de faire plus de place au travail des historiens mais l'histoire de la guerre d'Algérie reste, en Algérie, sous contrôle.
  • Des initiatives existent comme celle de Mohammed HARBI et Benjamin STORA (La Guerre d'Algérie. 1954-2004 : la fin de l'amnésie).
  • Les archives sont difficilement consultables même si des rencontres ou colloques ont lieu.
  • Les harkis continuent d'être présentés comme des traîtres.
    L'historien peut-il remplacer la mémoire officielle par une histoire commune ?
      Des historiens en guerre à l'histoire de la guerre d'Algérie.
        Différentes générations d'historiens sur la guerre d'Algérie :
    Les historiens, nés après 1962, n'ont pas eu l'obligation de s'engager à son sujet au sens politique ou civique du terme. Les historiens qui ont traité de la guerre d'Algérie sont :
    • Ceux qui ont vécu la décolonisation de l'Algérie, en militant anticolonialiste (tels P. Vidal Naquet ou R. Ageron), comme un enjeu politique et moral (Gilbert Meynier, L'Algérie Révélée, 1981)
    • Ceux qui sont nés dans la guerre avec la volonté de dépassionner: benjamin Stora, Mohammed Harbi, Guy Pervillé.
    • ceux qui sont nés après la guerre : Ecrire l'Histoire. Ils sont ni acteurs, ni témoins et lèvent le voile sur la " sale guerre ". Ce sont Raphaëlle Blanche (La Guerre d'Algérie : une histoire apaisée ?), Sylvie Thénault (Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d'Algérie) ou Yann Scioldo-Zürcher qui analyse les efforts de la République pour accueillir les " Pieds Noirs ", aboutissant à des conclusions allant à l'encontre de leur sentiment d'abandon lors de leur arrivée.
    Les travaux des historiens " déverrouille la mémoire "
  • 1992 : Ouverture des archives militaires.
  • 2002 : un mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie " inauguré par J. Chirac.
  • les massacres de civils algériens par la police française le 17 octobre 1961 sont mis en lumière (témoignage de l'historien Einaudi au procès de Maurice Papon).
  • le général Aussaresses dans Services spéciaux. Algérie (1955-1957) fait scandale en justifiant l'usage de la torture.

Rédacteur : R. Renouleaud