[Itw éditeur] : Soleil Manga, à l’heure de la reprise…

Publié le 28 mars 2015 par Paoru

Suite et fin des interviews bilans chez les éditeurs de manga : un sacré périple qui s’est achevé la semaine dernière sur Journal du Japon par le bilan global 2014 du marché français. J’en termine ici aussi, avec l’interview d’Iker Bilbao, le directeur éditorial de Soleil Manga que j’avais déjà rencontré en 2013, et qui travaille également à la coordination de l’ensemble Delcourt Manga. Soleil Manga qui fait partie des éditeurs à avoir soufflé ses 10 bougies ces dernières années (avec Kurokawa et Ki-oon par exemple) et s’en titre plus que bien au regard du groupe Delcourt ou encore du secteur du shôjo ces dernières années. Regardons ça de plus près, chiffres à l’appui !

De Delcourt à Soleil, la transformation d’un groupe

Bonjour Iker Bilbao… Commençons par parler un peu de toi : tu es, depuis quelques temps déjà, davantage que le directeur éditorial de Soleil Manga. Si je ne me trompe pas tu es aussi coordinateur de l’ensemble Soleil-Delcourt-Tonkam. Quel est le but du poste et ça consiste en quoi, concrètement ?

Bonjour Paul. Nous avons la chance chez Soleil Manga d’avoir toujours eu 2 directeurs éditoriaux, Joanna Ardaillon et moi-même. Lors du rapprochement des labels manga du groupe Delcourt, notamment au moment du déménagement, il m’a été demandé de participer à la création d’un socle commun de compétence et d’organisation pour faciliter les relations entre les directeurs de collection et entre le département manga et les autres services du groupe (Commercial, Marketing et autres.). En gros, je fluidifie les relations entre les gens et j’apporte mon approche plus « commerciale » du manga aux éditeurs.

Si on devait synthétiser le rôle éditorial de chacun au sein du groupe, comment les décrire ?

Chaque label avait déjà une identité propre, même si celle de Delcourt était au final très liée à Akata. Pour Tonkam, beaucoup de shônen très atypiques, des seinens/young  violents et immoraux et des shôjos audacieux. Pour Soleil Manga, des shônens de jeux vidéo, des shôjo romantiques ou gothiques et des seinens/young sexy. Ça n’empêche pas certaines libertés créatrices, mais ça donne une orientation générale. C’est à nous, entre éditeurs du groupe, de nous mettre d’accord sur ce qui nous apparaît davantage comme un titre Delcourt, un titre Soleil ou un titre Tonkam. Concernant Delcourt, c’est à Pierre Valls et non à moi de présenter sa vision de son catalogue, tu t’en doutes.

Vers quoi veut tendre le groupe Delcourt en tant qu’éditeur de manga pour les années à venir ?

Plusieurs événements importants ont jalonné l’histoire récente des 3 collections (rachat de Soleil par Delcourt, départ d’Akata, assimilation de Tonkam en tant que collection, déménagement dans un lieu commun, etc…) et dans un premier temps, il convenait de « digérer » tout ça. Soleil Manga avait été le premier impacté, il est le premier label à repartir à la hausse en part de marché et en terme d’image. Le groupe Delcourt compte bien rester un acteur important du manga en France, par sa richesse éditoriale et son envie d’innovation. La présence de 3 labels complémentaires nous permet ainsi de bien occuper tout l’espace éditorial.

Enfin, avant de parler de Soleil pour la suite de l’interview, une question sur Tonkam. Après avoir été éditeur à part entière, Tonkam est devenu un label au sein des éditions Delcourt. De plus à la vue du bilan 2014 de Gfk on se pose des questions : Delcourt manga augmente ses parts de marché et Tonkam s’effondre MAIS on peut constater que cela s’explique aussi par un dé-référencement de titres Tonkam au profit de Delcourt…   Pourquoi cette réorganisation et surtout, quel est le but ? Où va Tonkam en terme éditorial ?

Les chiffres Gfk masquent en effet la réalité car tous les titres parus depuis le 1er janvier 2014 sont référencés sous Delcourt car Gfk ne différencie pas les labels, uniquement les sociétés. Du coup, les indicatifs concernant les 2 labels sont faux. En fait, Delcourt Manga baisse de 7% à fin 2014 et Tonkam de 20%, mais avec une très importante baisse de sa production (environ 140 titres en 2013 pour 100 titres pour 2014). Au final, les ratio (notamment le taux de retour) sont bien meilleurs et le succès de certains lancements, Food Wars en tête, fait de 2014 une année de base intéressante. Mais c’est certes handicapant que Gfk apporte une vision erronée de la réalité éditoriale. Cette réorganisation était toutefois nécessaire et sera même bénéfique sur le long terme.

Soleil Manga : 2014, une excellente année

Et donc, maintenant, Soleil : notre dernière interview remonte à 2013, en plein dans votre année des 10 ans. Ce qui est amusant c’est qu’en 2014 c’était Ki-oon et en 2015 c’est au tour de Kurokawa. Ki-oon en est ressorti sur les rotules mais heureux, quels souvenirs en gardes-tu deux ans après ?

Cela nous a permis de vraiment relancer la collection et de regagner la confiance de nos lecteurs. 2013 avait été une année éreintante car nous avions fortement augmenté notre production (144 titres contre 102 l’année dernière), mais cela nous avait permis de conclure plusieurs séries difficiles et de se lancer dans de nouveaux projets et défis. Ce qui a été semé en 2013 a été récolté en 2014 et encore aujourd’hui.

L’année qui suit les 10 ans, 2014 pour Soleil Manga, est toujours un peu compliquée à égaler en termes de ventes. Mais si l’on regarde vos part de marché Gfk en volume, ça va pas si mal, donc quel bilan pour 2014 finalement ?

Si on occulte les ventes du Zelda Hyrule Historia qui forcément embellit beaucoup le panorama, 2014 aura été une excellente année pour Soleil Manga. On finit en très léger recul, mais avec une production réduite d’un tiers ! On a surtout fortement réduit le nombre de lancement (45 nouvelles séries ou one-shot en 2013 !!!) et changé notre politique éditoriale en se lançant dans des séries plus longues (virage amorcé fin 2013 avec Cage of Eden) et davantage soutenus. Enfin, nous avons été très présents sur les réseaux sociaux, ce qui nous permet de compter plus de 25.000 fidèles sur Facebook et donc d’échanger plus facilement avec nos lecteurs.

Le shôjo ne cesse de décroître en part de marché vis-à-vis du seinen et du shônen, faut-il juste attendre un renouvellement de génération et de locomotive où est-on confronté à quelque chose de plus problématique et long terme selon toi ?

C’est une question récurrente qui m’amuse quelque peu car concernant Soleil Manga, le shôjo ne s’est jamais aussi bien porté pour nous. He is a beast ! a été le meilleur lancement shôjo en 2014 sur les 4 premières semaines d’exploitation. I’m the only wolfAphrodisiac et Forever my love ne se sont pas trop mal comportés et il y a aussi Plum qui entre en catégorie shôjo comme tous les titres de la collection Pets. Les parts de marché baissent surtout car il y a finalement une production assez faible et que plusieurs éditeurs n’y sont pratiquement plus. Si on regarde les lancements 2014, on remarque une prédominance de Pika, du groupe Delcourt et Kaze.

Kurokawa a un seul gros titre et Akata pointe le bout de son nez. Le marché du shôjo manque effectivement de locomotives surtout depuis la fin de Switch Girl, ça ne fait aucun doute, mais finalement si on occulte les adaptations de licences de jeux vidéo ( 6 dans le Top 20 des lancements) et les grosses licences inaccessibles car protégées par des accords entre éditeurs, on se rend compte que se placer sur le shôjo peut-être une bonne stratégie. Après, tous les segments du shôjo ne sont pas forcément viables commercialement et il est plus facile d’imposer une romance lycéenne avec triangle amoureux qu’un josei fantastique.

Gfk a souligné un renversement de tendance sur les 2 semestres 2014 : le premier à la baisse et le second à la hausse : quid chez Soleil Manga et comment l’expliques-tu ?

Forcément, avec Super Mario et He is a beast au second semestre, ce dernier a mieux fonctionné pour nous que le premier. Toutefois, nous n’avons pas souffert outre-mesure sur les 6 premiers mois au-delà de l’effet de la baisse de production.

En terme de ventes, quelles bonnes surprises et quelles déceptions en 2014 ? 

Les belles réussites sont bien entendu Super Mario (15.000 ex vendus), Plum (13.000 ex) et He is a beast ! (9.000 ex). Cela ne nous était jamais arrivé d’avoir trois beaux lancements réussis la même année et de plus sur des séries plutôt longues ! À l’inverse, Femme Fatale (400 ex) et Kurogane Girl (600 ex) ont été de gros échecs. Je suis aussi un peu déçu des ventes de Yakuza Love Theory qui dispose d’excellentes critiques, mais a du mal à trouver son public. C’est vraiment dommage.

 

Politique éditoriale…

Toi, Ahmed, Grégoire ou même Raphael ça fait tous une décennie que vous êtes éditeurs de manga, vous êtes des éditeurs d’une même génération si on peut dire… Mais est-ce que vous partagez la même vision du métier d’éditeur de manga français pour autant ? Quelle est la tienne en tout cas, avec ton expérience ?

Je pense que Raphael et moi nous nous ressemblons davantage dans notre approche et il m’a pas mal inspiré à mes débuts car Asuka venait d’être acheté par Soleil quand je suis arrivé et j’ai pu ainsi l’observer. Nous avons une approche pragmatique et très touche-à-tout du métier d’éditeur alors qu’Ahmed et Grégoire ont pour moi une véritable posture d’éditeur. Joanna a également une approche plutôt similaire à la leur.

Éditer, c’est communiquer. On transmet quelque part nos émotions au travers d’œuvres que nous choisissons. C’est la vision que j’ai du métier d’éditeur. Après, ma formation commerciale m’a permis d’y apporter une nuance plus pragmatique.


Beaucoup d’éditeurs ont continué de se diversifier en 2013-2014. Chez Soleil vous avez opté pour ça très tôt. Est-ce que tu peux faire un point sur la forme de vos différentes collections ?

Lancer de nouvelles collections a toujours été un défi très excitant car on y trouve souvent une part d’inconnu. Lancer la collection classique avec Le Capital de Karl Marx, c’était un peu « tout ou rien » car nous aurions pu jouer la sécurité avec Les Misérables d’entrée de jeu. Cette collection classique avait plutôt bien démarré, mais l’orientation spirituelle des derniers volumes (La Bible, Confucius, les mots de Bouddha) n’a pas fonctionnée. Lors de la réduction de la production d’un tiers, c’est la collection qui a été la première impactée car constituée uniquement de one-shot ou de dyptiques. Même chose pour la collection Eros dans laquelle il nous reste à publier le tome 2 de L’allumeuse et qui a pas mal souffert de la concurrence des titres non-censurés (même si ces derniers s’essoufflent également désormais chez nos concurrents).

Sur le shônen, hormis les titres de jeux vidéo, c’est toujours aussi dur pour nous (échec de Happy Project) et les shônen-ai de la collection gothique souffrent également (Messiah et grosse baisse sur Loveless). En revanche, tout va toujours pour le mieux pour la collection shôjo, les shôjo-gothiques se portent également très bien, portés par Tomu Ohmi, Pedoro Toriumi et bien entendu Aya Shouoto et le retour du seinen chez Soleil Manga a également plutôt bien pris avec Prison School. Enfin, le lancement de la collection Pets s’est avéré un beau succès qu’il nous faut désormais confirmé avec d’autres titres que Plum, un amour de chat.

Des projets de nouvelle collection dans les tuyaux ou visez-vous plutôt la stabilité ?

Nous cherchons déjà à développer la collection Pets et travaillons à une nouvelle formule pour la collection Classique. Pour le reste, l’année 2015 devrait plutôt être une année de stabilité, du moins sur le plan des lancements de collection.

Chez Ki-oon et Kurokawa et d’autres ceux qui choisissent les licences sont bilingues, ce qui permet de saisir assez finement le potentiel d’une licence…Ce n’est pas le cas chez Soleil-Delcourt-Tonkam je crois, comment contourner cet handicap ?

Alors déjà, je suis trilingue…. mais en allemand et en anglais. (Rires)

Plus sérieusement, il nous faut contourner ce « handicap » en développant au maximum notre connaissance du marché français et en faisant confiance à nos traducteurs. Etre bilingue permet de mieux connaître le titre, mais pas forcément son potentiel sur le marché français.

Enfin, pour 2015. Vous semblez réduire le nombre de sorties, quelle tendance pour 2015-2016, et pourquoi cette stratégie ? Pour mieux défendre les titres ?

Sur 2015, nous devrions rester autour de 100-105 titres, comme en 2014, et sauf imprévu, cela devrait rester ainsi en 2016. 8-9 titres par mois cela me semble raisonnable pour permettre à une collection d’être visible et diversifiée. L’impact immédiat, cela a été la baisse très importante du nombre de nouvelles licences lancées sur une année. Par ricochet, nous pouvons effectivement ainsi mieux les défendre.

Quels sont les premières tendances de marché pour 2015, comment l’avez-vous préparé chez Soleil ?

À fin février, Soleil Manga est en avance de 40% par rapport à 2014 sur les 2 premiers mois de l’année. Super Mario, Plum et He is a beast, tous sortis courant 2014 participent beaucoup à cette forte progression, mais les démarrages réussis de Paradise Lost et Come to me ! n’y sont pas étrangers non plus. À nous désormais de confirmer avec le lancement attendu pour nous d’Arachnid en avril et un second semestre que nous nous devons de réussir aussi bien que celui de 2014 !

Merci pour ton temps et tes réponses !

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