Paroles de bénévoles : « Humanité es-tu là », s’interroge Sacha

Publié le 28 mars 2015 par Asse @ass69014555
Sacha, l'un de nos bénévoles les plus réguliers, vient de toucher du doigt les limites de notre action et aussi la manière dont parfois les salariés de l'humanitaire peuvent oublier dans leur manière de répondre, où et pour qui ils travaillent... Ce que vous allez lire sont les paroles d'un bénévole impliqué, choqué par la manière dont sont traités ceux de la rue auxquels nous venons rendre visite chaque samedi... Deux manières d'aborder une situation et de se confronter aux limites de l'hébergement d'urgence posées par l'Etat qui délaisse ses citoyens les plus précaires...

La solidarité n'est pas que la compassion. " Elle est un sentiment d'unité et de responsabilité communes " disait Lech Walesa, prix Nobel de la paix en 1983. La solidarité encadrée par les gens visant le profit perd tout son sens et fini par être mal interprétée c'est-à-dire interprétée au niveau de la conscience de l'individu, qui est encore amplifiée si l'individu en personne occupe une place de décision dans une association humanitaire.


Le Samu social
Le Samu social est une approche professionnelle de lutte contre la grande exclusion. Elle vise à apporter à tout moment, de jour comme de nuit, une assistance aux personnes sans domicile fixe et à rechercher la réponse la plus adaptée aux besoins qu'elles expriment. La méthode consiste à aller vers les personnes, à offrir une permanence 24h/24, à rechercher des solutions d'hébergement d'urgence et à favoriser la sortie d'urgence en lien avec les partenaires de l'insertion.
Ça c'est en ce qui concerne la théorie mais en pratique, ça ne se passe pas comme ça !

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Ayant déjà eu quelques contacts avec eux qui se sont plutôt bien passés, cette fois-ci c'était diffèrent... Au bout du fil un individu pour qui les " notions de solidarité " se résument très probablement à son chèque de fin de mois.
Samedi minuit, place de la république, les mêlées de gens se croisent, laissant derrière eux une trainée de différents parfums faisant travailler la mémoire olfactive, vous provoquant des petits conflits de neurones de quelques microsecondes suffisants pour vous évoquer d'autres souvenirs, d'autres images confortables de votre vie.... mais très vite emportés par le vent frais qui vous ramène au monde réel et l'envie de faire votre travail.

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Rapidement autour de moi 3 personnes. Deux demandaient des vêtements, pour le troisième... c'était plus compliqué.
La personne explique qu'elle s'est fait agresser il y a deux jours d'ailleurs il présente les stigmates d'agression physique notamment un bleu conséquent au niveau de son oeil gauche. Il explique par ailleurs que pendant qu'il était sonné, immobile au sol les deux individus lui ont pris toutes ses affaires ainsi que ses papiers puis il me montre la plainte faite au commissariat de police du cartier.
Il avait juste envie de dormir au chaud cette nuit et d'un peu de réconfort " chaleur humaine " pour guérir ses blessures physiques et morales.
Je téléphone comme souvent au Samu Social et demande un hébergement. " On n'a pas de place monsieur !!" réponse sèche de mon interlocuteur me mettant un doute du numéro composé... j'explique que la personne s'est fait agresser : " nous ne sommes pas la police monsieur !! " rétorque-t-il sans pour autant me laisser finir, je lui demande de vérifier les centres d'hébergement encore une fois, mais sa réponse m'a glacé le sang : " Monsieur quand vous allez au marché et on vous dit qu'il n'y a plus de tomates vous ne pouvez pas en acheter, il n'y a pas de place c'est tout ! "

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Le ton est donné, que l'on compare les humains en détresse avec les articles du marché ça ne passe pas à moins que pour lui ce ne sont pas " des humains " tout du moins pas la catégorie d'humain qu'il estime (apprécie) !
Je lui fais remarquer que quelqu'un occupant sa place ne peut se permettre de tenir de tels propos.... et, devinez, cette personne très professionnelle a tout simplement raccroché ! J'étais là, debout, immobile, mais sonné par de tels propos comme un boxeur qui malgré sa technique avancée reçoit un coup traitre, fatal le mettant K.O. et entre le moment où il baissa sa garde ses jambes, ne pouvant plus supporter le poids s'écroule... et le temps s'arrête.

a
Désorienté un moment je retrouve mes sens pourtant bien que mal essayé de lui expliquer qu'il devra compter sur ses moyens pour une nuit de plus.
Oui, je l'ai laissé sur le carreau, je l'ai abandonné, je lui ai tourné le dos, je l'ai ignoré je ne vaux pas plus que " les autres " et pourtant, je me croyais " différent "....
Comme si après un naufrage j'étais sur un petit radeau qui, avec sa faible flottabilité m'assurait la survie et pour protéger ma vie je refuse la main d'un homme de peur de sombrer avec lui car " IL N'Y A PAS DE PLACE" pour deux. Je le laisse se battre avec les vagues puis, épuisé en silence il rend la main à ce combat inégal et injuste et disparait dans les profondeurs noires de l'océan.
Moi et " les autres " nous étions sur nos petits radeaux autour mais personne ne l'a aidé parce qu'il nous aurait entrainé avec lui. Après tout, nous sommes à l'abri et qu'importe s'il y a des victimes Mais nous, nous voulons vivre et ne pas prendre le risque de partager et d'essayer de s'en sortir ensemble car " il n'y a pas de place " pour tout le monde.
Une fois quelqu'un a dit que, entre un volontaire et un professionnel la différence c'est que le professionnel fait aussi le travail mais sans état d'âme alors, je vous lance un appel à vous, très chers, VOUS qui travaillez dans l'humanitaire, ne faites jamais ce travail en tant que professionnels car, peut-être, pour vous aussi un jour " il n'y aura plus de place "....