Au pays des fjords et des femmes d'exception

Publié le 13 octobre 2014 par Clairef


Karitas, ma découverte de la rentrée !

Bonjour à vous chers amis lecteurs,

Une nouvelle rentrée littéraire, une nouvelle rentrée scolaire, de vacances, d'errances et d'itinérance, de plaisirs de lectures en envies de partage...

Beaucoup de voyages pour moi durant l'été, et moins de livres à dévorer, je me rattrape donc depuis quelques semaines et grignote frénétiquement, disons-le quasi-boulimiquement, tout ce qui me passe en main. J'ai pris la saine habitude de lire le matin une bonne heure sur mon vélo sportif, à peine le temps de boire à la gourde, monter subrepticement la puissance et éponger le ruissellement de l'effort, les gens passent et haussent le sourcil sous leur t-shirt moulant, mais je m'en fiche pas mal, le compteur de temps et de calories est mon seul dieu ! Et puis emmitouflée dans un plaid de mohair dans mon canap en fin de journée, avec le téléphone et le thé à portée de main, c'est pas mal aussi, et enfin au creux d'un bon lit douillet c'est le summum d'un endormissement garanti. De magazines féminins en actualités du monde, de romans exotiques en sagas familiales, tout me plaît, tout me va, du moment que le coeur est là et s'exalte à suivre les petits scarabées noirs entortillés sur la feuille blanche.

Allons, vous voulez un vrai coup de fouet ? Un auteur qui vous agrippe et vous tord avant de vous lancer contre un mur et de vous tourner le dos, lisez l'Islande de Karitas, deux tomes de sagesse dans un monde de brutes...

Une belle découverte islandaise, avec son nom à dormir debout et sa fantaisie sauvage, féministe et poétique, voilà Kristin Marja Baldursdottir (c'est à dire fille de Baldur ai-je appris par son livre).

Tout au départ, c'est la volonté d'une veuve au début du siècle, de donner de l'éducation à ses six enfants; de l'éducation, parfaitement, quel drôle de mot quand on vit les mains engourdies de froid et de sel, au rythme de la pêche des hommes, des transhumances des moutons des montagnes jusqu'aux bord des fjords et des rigueurs de la nature reculée islandaise. Seule et fière avec sa volonté de mère, elle va traverser son pays par la banquise et s'installer à la ville. Karitas est la digne 3e fille de cette femme formidable. Tandis que ses grandes soeurs et ses petits frères vont un à un à l'école, elle non, elle travaille comme blanchisseuse, dégote par son culot et son bagout un logis décent pour sa famille, du charbon pour tenir le rude hiver, une machine à coudre pour que sa mère puisse travailler. Karitas a de l'aplomb et de la suite dans les idées. Karitas a un avis sur beaucoup de choses et un don pour le dessin. Son père lui a offert son premier carnet à croquis avant de partir et de mourir en mer lorsqu'elle avait sept ans et depuis, la jeune fille aime tracer sur le papier ses humeurs et ses jalons de vie.

Lorsqu'une amie de sa maîtresse remarque son talent, elle propose à Karitas de lui donner des cours de dessin; futiles et vaines occupations juge-t-on autour d'elle, mais Karitas y prend un plaisir infini et bientôt la dame offre à sa mère de l'envoyer étudier à l'Académie Royale des Arts de Copenhague, cinq ans, à ses frais. C'est la chance de sa vie, et Karitas aborde le premier tournant décisif de sa jeune existence. En revenant au pays, elle est décidée à consacrer ses années à l'art, à sa peinture, au détriment de tout le reste. Mais tout le reste, c'est important, surtout quand on est une femme, à cette époque-là, avec un mari en mer et des enfants sur les bras, une famille compliquée et des amies spéciales. Karitas voyage, se pose, créée au fil des lieux et de sa vie des tableaux et des collages à l'accueil mitigé, connaît le rejet, l'incompréhension et la gloire, sans se départir de sa ligne de conduite. Elle aime, elle doute, elle accepte, son sort et sa solitude, ses faiblesses et ses erreurs. Fidèle à la méchanceté de sa soeur et au fantôme de son aînée, à l'absence insupportable de son irrésistible mari et à ses amies farfelues. Elle assume son cruel destin d'artiste, pleure et clame son émancipation.

Karitas, c'est la description au scalpel d'un tableau abstrait de la condition de femme, écartelée, abandonnée entre des choix odieux et impossibles à faire. Une histoire d'amour et de souffrance, d'oubli et de silence, de quête et de folie, dans la majesté authentique des paysages lumineux de l'Islande.

Karitas, c'est enfin une magnifique fresque familiale et un cheminement conjugal compliqué, une écriture subtile, teintée de critiques d'art écrites en contrepoint du récit et décrivant les oeuvres composées par l'artiste au cours de sa vie. Une histoire forte et passionnée, portée par des personnages auxquels on s'attache au fil de ces deux tomes grandioses dont on ressort essoré et rafraîchi...

Une bouffée d'oxygène pur, l'enfant sur la hanche, le pinceau aux lèvres, le coeur en bandoulière et le poing brandi !

Les thèmes majeurs de l'art et de la condition féminine semblent chers à l'auteur et j'ai hâte de découvrir ses autres romans, s'ils sont aussi prometteurs.

Dites moi ce que vous en aurez pensé post lecture :)