« The Servant » – pièce de théâtre de Robin Maugham

Par Ellettres @Ellettres

Au Théâtre de poche Montparnasse

L’autre jour, Monsieur Illettres et moi-même sommes allés au théâtre pour notre première sortie en amoureux depuis la naissance de la mini-Ellettres. Autant dire qu’il ne fallait pas se gourer sur le choix de la pièce !

Dans une émission de Christophe Mory, « A l’œil du prince » sur radio Notre-Dame, l’invité était Maxime d’Aboville, le comédien qui interprète le (maléfique) personnage principal de la pièce : « The Servant » lui-même.

Durant l’émission, ils ont parlé des rapports troubles entre ce domestique et son maître dans l’ambiance swingante du Londres des années 1950. Cela m’a tout de suite donné envie de voir la pièce !

J’ai toujours goûté les histoires de grandes maisons, de personnel, de « Madame la marquise est servie » et de vie sur un grand pied. Ça doit venir de mes précoces lectures de Bécassine, la meilleure amie de nos aïeules abonnées à la « Semaine de Suzette« . J’avais déjà chroniqué un superbe roman de Kazuo Ishiguro abordant le sujet des relations maître-serviteur ici.

« The Servant » a pour cadre, non pas un manoir mais la garçonnière d’un jeune oisif. Tony est un jeune homme de bonne famille rentrant à Londres après un long séjour en Afrique. Comme si le service en livrée était un principe éternel, l’alpha et l’oméga de toute vie digne d’être vécue, il fait engager un domestique par son meilleur ami, pour entretenir son appartement.

Celui-ci se révèle d’emblée… étrange. Il faut voir le regard noir, fixe, que Maxime d’Aboville parvient à imprimer à ce majordome très guindé, figé comme un parapluie ! On ne peut pas faire plus différent de Tony, tout en charme indolent, blond comme un ange. Ce contraste saisissant, Sally, la petite amie de Tony, le repère tout de suite et s’inquiète très vite de l’ascendant que commence à exercer Barrett sur son jeune maître. Progressivement, les rôles s’inversent : Tony ne peut plus se passer de Barrett, et pour le garder, consentira à se dépouiller de toute dignité…

C’est une pièce oppressante, toute en retenue. Même l’explosion de fureur de Barrett, vers la fin, est remarquablement contenue – et d’autant plus effrayante. Le pouvoir magnétique qu’il exerce sur les êtres ne lui sert qu’à les asservir. Quand sa vraie nature est dévoilée, sa vulgarité native perce sous le masque impassible du majordome anglais. L’humour est présent par touches, très british dans ses doubles sens implicites. Le suspense psychologique m’a tenue en haleine. J’ai aimé la composition de Sally, pleine de détresse mais retenue, ce qui la rend poignante. Il en est de même de Richard, le meilleur ami, mi-moqueur, mi-atterré. Les costumes, l’ambiance musicale nous transportent dans l’élégance des fifties, saupoudrant le drame d’une certaine désinvolture désenchantée…

Monsieur Illettres ne désapprouverait pas ce que je viens d’écrire, mais il tendrait à dire que ce genre de drame psychologique laisse peu de place à l’imaginaire du spectateur. Et c’est vrai qu’on se retrouve coincés avec ce Barrett à l’intérieur d’un appartement, devenu plus prison mentale qu’espace intime… Brrr !

Edit : Maxime d’Aboville a été nommé aux Molières 2015 dans la catégorie « Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé ».