Je ne voulais pas sortir

Par Gentlemanw

J'étais bien dans mon lit douillet, avec ce soleil qui m'embrassait tendrement sous la couette, signant d'un croissant doré sa présence sur le mur de ma chambre. Un petit signe venu du ciel, un vendredi de repos, une pause dans mon travail, un souffle dans une vie trop rapide, j'étais bien dans ce drap blanc, dans cette chambre uniformément blanche, sauf cette tâche noir, là-bas. Oui allongé, assoupi, prix encore dans ces rêves, mon félin ronflait de bonheur sur la commode longue en laque blanche. Il avait adopté un pull irlandais, beige en laine pure de moutons locaux, comme lieu définitif de son existence de philosophe dormeur. Allangui, exténué d'avoir dormi toute la nuit, après avoir accompagné ma lecture.

Chaque soir, comme un signe, il se lovait derrière moi, derrière ma tête, sur un coin d'oreiller pour lire les pages avec le même rythme que mes yeux. Quand je me tournait vers lui, intriguée, il me souriait, ronronnait de joie, précisant que le chapitre n'était pas fini. Une autre intrigue, un autre polar ou un documentaire à approfondir, il suivait tout avec attention. Mais aussi étrangement qu'il lisait, il savait s'arrêter, se déplier en tendant des muscles magiques qui lui donnait le double de sa longueur réelle, partait d'un saut vers le parquet clair et d'un autre bond sur son pull. Le plus étrange de ce comportement n'était pas en lui, mais en moi, car le plus souvent, une ou deux pages plus tard, je renonçais, épuisée par la fatigue des mots, posait sur le radiateur tout proche, le lire ouvert, je me laissais envahir par la douceur nocturne.

Comment anticipait-il ?

Là, le soleil se frottait aux murs, et moi, je ne voulais pas sortir, heureuse de mon sort, de mon agenda totalement vide, volontairement absent de tous signes de vies, affectives, amicales ou d'obligations en tous genres. Rien !

Un jour sans téléphone, sans message, sans horaires, uniquement le jour et la nuit, les parfums extérieurs et intérieurs, mon corps, mon esprit oubliant boulot, famille, amies, relations. Un jour pour moi, et très probablement pour ne rien faire, ni ranger, ni prévoir de vacances, ni chercher la bonne soirée ou la bonne sortie au théâtre, ni même les rires des autres, et encore moins l'amour. J'avais donné. Trop donné.

Alors après un bain, immense et tiède, parfumé comme jamais, mousseux à souhait, un thé et des gâteaux sur le coin de baignoire, un temps infini pour tester une crème et d'autres douceurs, je me suis habillée, et j'ai pris un temps long, très long pour ne pas mettre les trois même paires de godasses si pratiques, mais enfin piocher dans mon tas énorme d'escarpins coups de coeur, achetés en soldes, posés, jamais portés et pourtant nombreux et beaux. Un essayage princier. Juste pour finir sur des brides noires, jambes nues, le soleil était toujours là.

J'ai ouvert les volets, frotté mes mains sur les herbes aromatiques du balcon, regardé les passantes, des tenues encore bloquées entre chaud et froid, la matin, le jour, l'ombre et le soleil.

Et je ne suis pas sortie.

Nylonement