OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2015: SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN dirigée par Christian THIELEMANN le 4 AVRIL 2015 (CHOSTAKOVITCH-TCHAÏKOVSKI), Soliste: NIkolaj ZNAIDER, violon.

Publié le 10 avril 2015 par Wanderer

Concert du 30 mars 2015 ©Matthias Creutzinger

Ce soir, l’un des deux concerts « russes », de ce Festival 2015, la symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski et le Concerto pour violon n°1 de Chostakovitch (Nikolaj Znaider, soliste).
Il est toujours intéressant d’entendre un orchestre et un chef dans un répertoire qui a priori n’est pas le leur : cela apprend à écouter, et permet une audition moins conditionnée et plus riche de surprises.
C’était ce soir moins le cas de la « Pathétique » de Tchaïkovski, pièce de référence du grand répertoire symphonique que du concerto pour violon de Chostakovitch, composé en 1947/48, dédié à et créé par David Oistrakh en 1955, après la mort de Staline et en plein débat artistique idéologique et politique dans l’Union Soviétique à la veille du 20ème congrès du Parti communiste qui marquera le début de la déstalinisation. C’est d’ailleurs un intérêt notoire du programme de cette édition du Festival que de proposer deux pièces maîtresses créées ces années-là (la 10ème symphonie, composée au lendemain de la mort du Petit Père des Peuples, est directement liée à la période qui s’achève).
La particularité du concerto est qu’il a dormi dans les cartons depuis 1948 (quand les œuvres de Chostakovitch sont ostracisées) et qu’il est créé par Yevguenyi Mravinski à Leningrad en 1955, après quelques modifications.
C’est un concerto en quatre mouvements, Nocturne, Scherzo, Passacaglia, Burlesque et une redoutable cadence entre les troisième et quatrième mouvements.
Christian Thielemann l’aborde comme beaucoup d’œuvres qu’il dirige, avec un soin particulier pour chaque pupitre et un souci d’un rendu clair, d’une rare lisibilité, et l’orchestre de la Staatskapelle s’y prête bien à cause d’un son déjà spécifique et particulièrement cristallin. Cette grande volonté de précision et la relative froideur (pour mon goût) qui en découle peut convenir à cette pièce de Chostakovitch, très virtuose pour le soliste auquel Thielemann prête une très grande attention. C’est une autre qualité de ce chef que de placer le soliste dans un extrême confort de jeu, tant il se soucie sans cesse de garder toujours l’orchestre en phase (le nombre de regards vers le soliste est impressionnant). Bien des solistes aiment travailler avec Thielemann notamment à cause de ce confort-là (Pollini par exemple).

Nikolaj Znaider ©Matthias Creutzinger

Nikolaj Znaider est donc le centre du propos, avec sa manière à la fois très virtuose (la cadence entre les deux derniers mouvements est incroyable de précision, de couleur, de technique) mais aussi particulièrement sensible. Il se dégage de ce jeu une vie intérieure, une profondeur, une respiration rarement entendue chez un violoniste récemment. On sait que ce concerto est aussi un hommage appuyé à la musique juive, notamment dans le finale, qualifié de « frejlech sanglant » par Salomon Volkov et dédié à Oistrakh, lui-même juif. Faut-il invoquer l’origine juive de Znaider, pour souligner l’extrême sensibilité qu’il démontre dans cette musique ? Je n’irai pas sur ce terrain, mais tout nous parle cœur, voix intérieure, moi profond avec une volonté de varier la couleur et le volume et de garder malgré tout une certaine gravité (le son du Guarnieri del Gesu’ convient à cette approche). L’écho avec l’orchestre est évident, peut-être plus au niveau des rythmes, du tempo que du discours proprement dit.
C’est un triomphe mérité pour lui à la fin du concerto, ce fut un moment d’exception.

La symphonie pathétique de Tchaïkovski convient-elle en revanche à une approche orchestrale aussi analytique ? Il y a deux manières d’aborder Tchaïkovski, d’une part, une manière plus ouverte, plus brillante, plus rythmée et une manière plus sombre, qui correspond au Tchaïkovski dépressif et tendu à l’univers intérieur tourmenté. Thielemann ne choisit pas et va pratiquer une troisième voie, plus distante et plus « objective », dans une exécution parfaite techniquement, avec des bois à se damner (le basson, les flûtes, les hautbois !) et des cuivres sans scorie aucune, mais qui n’est pas animée, au sens où l’âme et le sentiment ne trouvent pas vraiment leur place. La musique de Tchaïkovski est souvent généreuse, même quand elle est sombre comme dans cette symphonie. Ici, elle ne l’est pas, et elle semble sans cesse retenue et contenue, presque bridée. Il en résulte une exécution impeccable mais quelquefois désincarnée.En plus comment souvent, le public applaudit à la fin du troisième mouvement croyant que c'est fini...geste (très agacé) du chef...).
Ainsi donc Chostakovich ce soir a peut-être plus convaincu à cause de Znaider, mais aussi d’une approche qui colle mieux à l’univers du compositeur qu’à celle d’un Tchaïkovski tourmenté et peut-être suicidaire. Il reste que l’ensemble de la soirée a pu confirmer quel bel instrument est la Staatskapelle, qui a sonné à la perfection, et qui à lui seul vaut le voyage.

Christian Thielemann ©Matthias Creutzinger

Il reste aussi que cette soirée (et les autres) me font méditer sur la manière qu’ont certains de qualifier Thielemann de Kapellmeister, comme on le disait de Sawallisch, ce qui est non pas désobligeant, mais légèrement condescendant dans une bouche française ou italienne. On l’appelait ainsi à cause de son souci, à Munich, d’être présent le plus possible dans le théâtre, d’assurer une continuité sonore, d’incarner aussi une tradition séculaire. Le Kapellmeister dans les théâtres allemands aujourd’hui est celui qui reprend la production quand le Maestro est parti, celui qui est garant de la tenue de l’orchestre.
Christian Thielemann n’est pas un Kapellmeister au sens où je l’entends ci-dessus. Je ne trouve pas que ce qu’on entend soit si traditionnel. Je l’emploierais plutôt pour des chefs comme Adam Fischer ou Peter Schneider, c’est à dire de merveilleux techniciens de l’orchestre qui savent aussi et sentir et penser, mais dont l’écoute a un caractère moins innovant et plus sécurisant pour l’auditeur qui y retrouve ses marques.
La manière qu’a Thielemann de travailler l’orchestre et ce souci de la tenue et du son plus que d’un discours sur l’œuvre s’en rapprocherait. Sa familiarité avec l’univers de Bruckner (que certains ont relevé lors de l’exécution du Requiem…de Verdi) révèle une passion des architectures, et des formes. Il me manque en écoutant ce chef sans doute une affinité pour voir ce qu’il y a derrière les yeux. Ce qu’il y a devant est remarquable, mais derrière… ? Que nous dit-il ? C’est pour moi irrégulier : quand la forme rencontre le fond, c’est vraiment stupéfiant, mais cette rencontre a lieu une fois sur trois. Et pas ce soir.

©Matthias Creutzinger