Dimanche 18 avril 1915, Toi même, mon Charles, tu dois souffrir, mais quand tu reviendras, je te rendrai plus heureux qu’un roi

Par Cantabile @reimsavant

Dès 5 h 1/2, un aéro se fait entendre ; on tire dessus. Belle journée de printemps, ensoleillée.

Je profite du beau temps pour me rendre rue du Jard 57, suivant les recommandations expresses de mon beau-père, rencontré à Épernay il y a trois semaines, afin de voir, d'après ses indications, aux papiers qu'il avait mis en lieu sûr avant son départ de Reims, dans la certitude, comme bien d'autres, d'une absence de courte durée.

Il m'a confié ses inquiétudes à ce sujet, en m'apprenant qu'avant de quitter sa maison, en novembre 1914, il s'était hâté d'enterrer dans le jardin une boîte en bois renfermant des valeurs.

Craignant avec raison les dégâts de l'humidité et tenant à mettre à profit l'expérience acquise pendant l'occupation allemande de 1870-1871, il m'avait conseillé, en attendant que je puisse les lui remettre, de les exhumer et de les replacer dans des tuyaux de fonte de moyen calibre, mesurant à peu près 0.50 ou 0.60 m de longueur, à obturer complètement à chaque bout avec des bouchons de bois, de deux à trois centimètres environ d'épaisseur, au milieu desquels j'aurais à visser un fort piton pouvant donner suffisamment prise pour les ravoir.

D'après un plan qu'il m'avait remis, je trouve alors facilement, à 0.40 m de profondeur, une petite caisse à demi pourrie que je déterre et vide de son contenu, exposé aussitôt en plein soleil au milieu du terrain.

L'opération devenait urgente. Le tout a grand besoin de prendre l'air ; un certain nombre de ces titres sont déjà en assez piteux état.

Je passe ainsi la matinée à surveiller les feuilles éparses retenues par des pierres, alors que pour me distraire, je puis suivre la chasse aux aéros qui ne discontinue pas, et, lorsque vient l'heure de me retirer, je procède auparavant à un rangement nécessaire - mais le lendemain 19, dès ma sortie du bureau, je vais finir le travail commencé.

Les papiers, complètement secs maintenant, sont roulés fortement dans des journaux puis introduits au milieu des trois tuyaux de descente d'eau que je me suis procurés, lesquels sont hermétiquement fermés, chacun par deux des bouchons de bois que j'ai fait faire, - et le tout est remis à l'emplacement de la caisse.

Cette fois, garanti pareillement dans la fonte, le dépôt est à même de rester, sans risque du côté du sol, des années enterré dans le jardin, les bouchons seuls devenant susceptibles de détérioration à la longue, et le reste, soigneusement isolé entre eux, pouvant demeurer intact.

Paul Hess dansReims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos