[Critique série] DAREDEVIL – Saison 1

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Daredevil

Note:
Origine : États-Unis
Créateurs : Drew Goddard, Steven S. DeKnight
Réalisateurs : Phil Abraham, Adam Kane, Ken Girotti, Farren Blackburn, Guy Ferland, Brad Turner, Stephen Surjik, Nelson McCormick, Nick Gomez, Euros Lyn, Steven S. DeKnight.
Distribution : Charlie Cox, Vincent D’Onofrio, Deborah Ann Woll, Elden Henson, Toby Leonard Moore, Vondie Curtis-Hall, Bob Gunton, Ayelet Zurer, Rosario Dawson, Scott Glenn…
Genre : Thriller/Action/Drame/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 13

Le Pitch :
Aveugle depuis l’âge de 9 ans, à la suite d’un accident qui lui permit néanmoins d’acquérir des facultés sensorielles extraordinaires, Matt Murdock est aujourd’hui avocat dans le cabinet qu’il vient de fonder avec son meilleur ami, Foggy Nelson. La nuit, il se transforme en justicier implacable, se servant de ses pouvoirs pour tenter de rendre plus sûres les rues de New York, et plus particulier celles du quartier de Hell’s Kitchen, dans lequel il a toujours vécu. Ce qui ne tarde pas à le mettre sur la route de Wilson Fisk, un mystérieux et puissant homme d’affaires, lancé dans une vaste opération visant à asseoir ses intérêts et sa suprématie sur la ville…

La Critique :
Daredevil inaugure le partenariat entre Netflix et Marvel et s’inscrit du même coup dans un vaste plan visant entre autres choses à étoffer l’univers dans lequel évoluent tous les autres super-héros directement chapeautés par Marvel Studios (hors X-Men et 4 Fantastiques donc), à savoir le Marvel Cinematic Universe. Un plan qui verra ainsi quatre séries d’envergure développées les unes après les autres sur Netflix. Daredevil dans un premier temps, suivi par AKA Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist. L’un des buts étant notamment de les réunir ensuite au sein de The Defenders, une mini-série. On savait que Marvel avait de la suite dans les idées, et c’est visiblement aussi le cas de Netflix, qui rejoint ABC (qui diffuse Agents of S.H.I.E.L.D. et Agent Carter) pour ce qui est de proposer les aventures super-héroïques de la maison des idées sur le petit écran, en marge (mais pas trop non plus) des blockbusters projetés en salle.
Pas étonnant de retrouver très rapidement dans Daredevil des allusions et des clins d’œil à l’univers Marvel, tant le désir est de rendre cohérent un monde amené à plus ou moins long terme à faire se croiser ses personnages emblématiques. Ce qui en soit est plutôt sympa et, dans le cas de Daredevil, suffisamment discret pour ne pas parasiter l’intrigue principale et la force du show. Surtout qu’on trouve au moins autant de références appuyées aux comics Daredevil, histoire de préparer le terrain pour la suite et rassurer au passage les fans les plus hardcore du Diable de Hell’s Kitchen.

Le moins que l’on puisse dire au sujet de Daredevil, c’est qu’il s’agissait vraiment de ne pas se planter, vu ses lourds antécédents. Déjà adaptées en 2003, par Mark Steven Johnson, avec Ben Affleck, les tribulations de Matt Murdock, étaient loin d’avoir fait l’unanimité. Auprès des amateurs et des autres d’ailleurs, tant personne ni trouva son compte. Aujourd’hui encore, quelques 12 ans après la sortie du film, celui-ci est considéré comme l’une des pires illustrations de l’univers Marvel au cinéma, avec ses méchants en carton, sa musique périmée, sa mise en scène maniérée, et son romantisme indigeste, décidément bien loin de la tonalité très sombre des comics. Mais ça c’était avant comme dirait l’autre. Aujourd’hui, Steven S. Knight et Drew Goddard ont lavé l’honneur de Daredevil. À la télévision, avec une poignée d’acteurs investis et taillés pour le job, quelques réalisateurs sévèrement burnés, et surtout des intentions nobles, en opposition totale avec celles du long-métrage maudit.

Daredevil, la série, se place dans la lignée de ces productions télévisuelles de qualité, et s’impose en cela davantage comme un long film. Le fait que le show fasse un peu joyeusement tâche dans le fameux Marvel Cinematic Universe, de par sa violence, son ton crépusculaire et son absence relative de blagues potaches, ne devrait d’ailleurs faire qu’encourager ceux qui pensent déjà que la télévision est le nouvel eldorado de la fiction. De là à penser que Daredevil est la meilleure (et plus fidèle) adaptation produite par Kevin Feige (le patron de Marvel Studios), il n’y a qu’un pas que beaucoup franchiront sans problème.
Dans les faits donc, difficile de ne pas voir ici une franche et flamboyante réussite. Netflix n’a pas fait les choses à moitié et a semble-t-il tenu compte de l’attente des fans, tout en ayant conscience du gros travail à accomplir pour ramener les mordus du comics, qui avaient pu regarder avec méfiance ce nouveau projet, encore échaudés par le film de Mark Steven Johnson.
Daredevil est complètement raccord avec son homologue de papier. Tout est là et très rapidement, tandis que les épisodes s’enchaînent (la mise à disposition des 13 épisodes d’un coup aide bien), tout un monde prend vie sous nos yeux, en marge du Marvel plus clinquant. Personnage torturé par un passé lourd, assailli de remords dû à sa condition de fervent catholique, mais décidé à appliquer une justice implacable, sans pour autant franchir le pas et tuer ses ennemis, Matt Murdock retrouve toute sa superbe crépusculaire. Charlie Cox, son interprète, déjà remarqué notamment dans Boardwalk Empire, fait un boulot admirable et profite de la partition aux petits oignons mis à sa disposition pour composer un personnage complexe, et communiquer des émotions puissantes et viscérales, tout en faisant preuve d’une présence physique impressionnante, réaliste et ultra photogénique dans l’action pure et dure. Ici, Daredevil souffre en quasi permanence. Psychologiquement et physiquement, loin de l’image du sur-homme invincible souvent relayée par ce style de divertissement. Le plaisir n’a que peu de place pour celui qui redresse les torts, sans cesser de maudire un monde qui part en décrépitude. Terriblement sombre, surtout pour une production Marvel, Daredevil prend place dans ne société gangrenée par le mal. Un mal qui amène les hommes bons à se poser des questions existentielles difficiles et à prendre des décisions qui le sont tout autant. Axés autour de thématiques telles que la rédemption, le signification de l’héroïsme, l’intégrité, l’ambition, la religion, Daredevil appuie là où ça fait mal et s’articule autour d’un des héros les plus torturés du bestiaire de Stan Lee. Un homme peut-être sans peur, mais néanmoins habité de démons bien décidés à ne pas lui faciliter la tâche dans un combat du bien contre le mal qui se joue à la fois dans les rues de Hell’s Kitchen et dans la tête du héros.
Piloté fut un temps par Frank Miller, Daredevil partage plusieurs points communs avec Batman, lui aussi scénarisé par Miller, à l’occasion de l’une des meilleures séries de comics. La série de Goddard et de Knight prend justement en compte le boulot accompli par Miller sur Daredevil et met le plus possible de distance avec tout le côté « familial » pour créer ce qui s’impose au final comme la première véritable adaptation Marvel pour adultes de la nouvelle ère initiée en 2008 par le premier Iron Man. Davantage proche d’une violence âpre à la Punisher (rappelons que Punisher et Punisher War Zone ne font pas partie de cet univers partagé), le show s’applique à ne pas édulcorer une sauvagerie qui éclate lors de scènes très intenses, sur un plan purement graphique, comme lors du spectaculaire plan séquence du deuxième épisode (qui évoque Old Boy c’est dire), ou sur un plan plus dramatique. Ce qui prouve bien que les showrunners ont tenu à soigner le fond et la forme et qu’ils ont franchement réussi.

Sachant impeccablement bien doser ses effets et maintenir l’attention en permanence, Daredevil reste une série très « humaine », mais sait aussi iconiser à merveille son personnage pivot et ses antagonistes. Il n’y a qu’à voir le Caïd, alias Wilson Fisk, principal méchant, ici incroyablement incarné par un Vincent D’Onofrio impérial, qui a tout compris sur toute la ligne. Construite sur une montée en puissance habile, ponctuée de morceaux de bravoure spectaculaires (chaque baston vaut son pesant de cacahuètes), cette adaptation a été pensée telle un thriller dramatique et non comme un film d’action bas du front. Les actes des personnages prennent alors un authentique sens, renforçant au passage l’empathie qu’ils encouragent sans cesse chacun à leur façon. D’autant plus que personne n’est vraiment laissé dans l’ombre, cela même si certains, à l’image de Rosario Dawson, ne font qu’esquisser ce qui sera probablement développé dans les prochaines saisons. La « faute » à une écriture fine et intuitive encore une fois assez loin de ce que Marvel a pu nous offrir ces dernières années au cinéma et à la télévision (ce qui ne dévalorise pas nécessairement les films). Et par télévision, on pense tout spécialement à Agents of S.H.I.E.L.D., dont la légèreté et le côté un poil anecdotique, jure avec la gravité et le sérieux de Daredevil et de ses véritables enjeux, en aucun cas valorisés par Avengers, Iron Man ou n’importe quelle autre production Marvel Studios. Si elle s’inscrit en effet dans un ambitieux plan d’ensemble, Daredevil peut très bien s’entrevoir telle une entité à part entière et cette première saison comme le premier volet d’une série, indépendante de tous le reste.

Intense, addictive, réalisée de main de maître, écrite à la perfection, interprétée avec une conviction et un dévouement qui forcent le respect, et furieusement immersive, Daredevil est la série que méritait le justicier aveugle new-yorkais (et que méritaient ses fans). Enfin celui-ci à droit à sa part du gâteau ! Caractérisée par un équilibre ô combien appréciable, par un sens de l’esthétique probant, notamment grâce à une superbe photographie, Daredevil s’impose non seulement comme la meilleure série du genre depuis des lustres, mais laisse aussi les concurrents sur le carreau (Agents of S.H.I.E.L.D. donc, mais aussi les poulains de DC Comics, Arrow, Flash et consorts), à grand renfort d’un jusqu’au-boutiste plutôt extrême et d’un respect sans cesse renouvelé pour l’œuvre originale. Le seul défaut finalement, est que malgré sa générosité (13 épisodes de presque 1 heure), cette première saison est cruellement trop courte. Surtout si on prend en compte ce pressentiment qu’elle encourage au sujet de la suite, d’ores et déjà annoncée comme mémorable.
On se lève, on applaudit des deux mains et on salue cette incroyable et inattendue claque dans la tronche !

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Netflix / Marvel Studios