[Interview] CheckMate : Christophe Thiry nous parle de son nouveau court-métrage

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Réalisateur, monteur, scénariste et producteur, Christophe Thiry est un familier d’On Rembobine. Et si je reviens sur tous ses projets depuis que nous avons fait connaissance, c’est tout simplement car j’ai vu chez lui quelque chose d’assez rare et de vraiment intéressant. Artisan passionné et cinéphile, Christophe Thiry n’est pas de ceux qui se regardent le nombril en prétendant avoir inventé l’eau tiède. Son cinéma, il le fabrique à l’instinct, sait s’entourer, reste ouvert et à l’écoute, et ne poursuit pas d’autre but que d’imprimer ses visions sur la pellicule (façon de parler à l’heure du numérique), sans tenter de se raccrocher à tel ou tel courant mainstream. Son nouveau projet, CheckMate va dans ce sens tant il illustre un refus des conventions et construit en quelques minutes à peine une ambiance iconoclaste dans laquelle il est agréable (et facile) de se perdre. Superposant une partie d’échecs et la poursuite de deux personnages dans un forêt plutôt inquiétante, le film n’entend pas raconter une histoire précise mais tend à titiller la corde sensible des spectateurs avides d’explorer des chemins de traverses.
Fascinant, intriguant, déconcertant, CheckMate valait bien une nouvelle rencontre virtuelle avec l’ami Christophe. Juste histoire de faire le point voyez-vous…

Comment est né ce projet ?
Cela fait des années que j’avais cette vision en tête. Je ne saurais plus trop dire ce qui a été à l’origine de cette dernière. J’avais envie de faire quelque chose d’abstrait, de conceptuel, un exercice de style où je pourrais m’amuser à coller les morceaux au montage. L’idée était de créer un rythme, quelque chose qui sortait des codes de l’écriture traditionnelle, sans forcément d’intrigue, un pur produit mental, comme un rêve en quelque sorte. Cette vision est restée pas mal de temps dans ma petite tête puis l’année dernière je me suis dit « allez je le fais ! ». Au tout début, j’envisageais le film presque comme un clip avec une musique techno pour les séquences en forêt et le silence de la partie d’échec. Il y avait déjà cette opposition du son et du silence et ce rythme qui s’accélérait si bien que les sons se mélangeait jusqu’ au mat final. Puis cela a évolué, je me suis laissé aller par le travail de post prod, le but étant de créer vraiment le film au montage. C’est une façon de travailler qui me plaît. Tourner pour avoir les angles et les plans qui me serviront à construire le film au montage. Chaque partie du processus créatif qui ajoute sa propre couche au film final.

Pourquoi les échecs ? Est-ce que les films tournant autour de cette thématique ont influencé ta démarche artistique ?
Non absolument pas. En plus je n’y connais absolument rien ! Je ne connais pas les règles, rien ! J’en profite d’ailleurs pour remercier Frédéric Caquart et l’Échiquier Maizièrois pour m’ avoir d’une part prêté le matériel d’échecs et coaché pour les coups et combinaisons filmées. Par contre, l’aspect mental et intellectuel me semble intense du point de vue de l’image. Nous avons des joueurs les plus stoïques possible en qui il se passe énormément de choses en peu de temps. C’est assez fascinant.
Le contraste blanc/noir est assez séduisant aussi d’un point de vue dramaturgique. J’ai pu m’amuser avec cela.

Parles-nous un peu du tournage…
J’ai beaucoup aimé le tournage avec ces deux formidables comédiens. Il y a eu immédiatement cette alchimie entre eux lorsqu’il étaient face à face et j’étais très impressionné par leur expressivité. C’est ce qui m’a convaincu de ne leur prêter aucun son. Il n’y en avait pas besoin, leurs regards parlaient déjà bien assez clairement ! Pour la petite anecdote, Fabienne n’était pas mon choix premier. Il devait en effet y avoir deux hommes se faisant face, mais suite à un désistement de dernière minute, j’ai instinctivement contacté Fabienne et elle a tout de suite dit oui. Le reste se voit à l’écran ! Je remercie donc le comédien qui n’a pu participer au film car sans cela je n’aurais pas eu un tel duo. Je suis très très satisfait de leur performance. Ils ont été très pro et pourtant je leur demandais des choses pas toujours évidentes. Le pauvre Franck est tombé un nombre impressionnant de fois en forêt (pour la séquence de la chute) ! Lors d’une prise, la police passait non loin et la silhouette inanimée de Franck au sol ne leur a pas posé le moindre souci ! Les scènes d’échecs étaient aussi assez éprouvantes pour les yeux de Fabienne car je demandais aux acteurs d’éviter de cligner des yeux. L’éclairage ne les aidait pas franchement et sur le plateau, j’étais tellement absorbé par son expressivité que j’en oubliais de dire « coupez » ! J’avoue aussi que j’étais très exigeant sur leur jeu car j’avais une vision très précise des personnages mais leur professionnalisme et leur talent nécessitait peu d’ajustements. Ils parvenaient presque instantanément à entrer dans leurs personnages. Et à ce propos, Franck n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit de « courir lentement tout en faisant croire qu’il va vite « !

Qu’est-ce que t’inspire la filiation que ton film appelle, avec certaines des œuvres les plus torturées et complexes et David Lynch ?
Déjà je suis flatté par cette référence, merci ! Ce qui est assez intéressant, tout en étant fan du cinéma de Lynch, c’est que je ne pensais pas forcément à lui sur CheckMate. C’est vraiment au montage que les textures et le ton ont pris forme. Je me suis laissé emporter par les images tournées. Le film s’est imposé à moi en quelque sorte. Je pense que ses films sont tous des « mind trips » organiques et assez ouverts pour que chaque spectateur y voit le film qu’il ressent. C’est ce que j’ai voulu faire avec CheckMate : ne rien imposer, laisser la liberté à ceux qui le voient de ressentir leur propre histoire. Et j’ai eu des retours tout aussi différents qu’intéressants. C’est aussi déconcertant par contre, je l’assume totalement. Ce que j’aime aussi chez Lynch, c’est son travail sur le son. C’est un aspect de son œuvre qui me marque énormément. La musique ou les sons ne sont pas de simples additions aux films, ils font littéralement partie de l’histoire, sont des personnages qui indiquent des choses, qui parlent. J’aime beaucoup travailler par thèmes. Des sons représenteront tel et tel environnement ou je peux mettre l’accent sur un élément sonore pour appuyer un ressenti (je pense au son de climatisation très lourd pour les séquences d’échecs).
Une autre influence, plus avérée celle-ci, est le concept de « poème visuel » qu’explorait George Lucas dans ses œuvres d’étudiant. Il raconte souvent qu’il aimait s’affranchir d’intrigues et souhaitait raconter des œuvres de cinéma pur, de ressentis. Je pense que les films de Lynch sont aussi des poèmes visuels.
J’aime travailler plus travailler sur l’aspect organique des choses qu’intellectuellement. Plutôt que le cerveau, je fais filmer mon cœur et mes tripes. Alors je joue sur l’image et le son, les texture. Quand par exemple le personnage joué par Fabienne est contrarié (peu avant toute cette séquence en montage haché), en plus du son de basse que l’on entend ronronner, l’image et les couleurs vacillent légèrement… Tout à mon sens doit participer pour rendre l’expérience la plus viscérale possible.

Ton cinéma n’a rien d’évident et pourtant, une fois débuté, tes films semblent couler de source. Qu’en penses-tu ?
Je suis rassuré de savoir qu’ils coulent de source ! En rapport avec ce que je disais plus haut, je ne veux pas forcément imposer des choses aux spectateurs. Mon idée du cinéma est de travailler sur le ressenti, je suis quelqu’un de profondément humain et je trouve que nous avons tendance à basculer dans une sorte de déshumanisation rendue très séduisante et j’ai envie que les gens qui voient mes films les vivent. Je ne prétends pas humaniser les gens ni ne porte de jugement bien sûr mais c’est comme ça. Dès que je fais quelque choses cela vit, parle et, je l’espère, interagit avec les autres. Être pris par la main, m’entendre dire ce que je dois faire ou pas me crispe. Je me considère indépendant à ce niveau, donc ne comptez pas sur moi pour vous guider vers « le sens du film ». Il est bon de lâcher prise et surtout de faire confiance à sa propre vie et son propre feeling je pense. J’avoue aussi franchement avoir un souci avec l’autorité ! Je suis libre, je fais mes films, les lance et « on verra où ils atterrissent » !

Maintenant, place à l’interview au mot à mot.

Mystérieux…
Parce qu’il met en parallèle deux choses distinctes : une poursuite en forêt et une partie d’échec. Parce que CheckMate ne raconte pas d’histoire à proprement parler et se base sur le ressenti. Parce que la forêt est en soi un personnage, une ambiance, les sons naturels mais altérés… Je me suis pris à ce jeu au montage, cela collait bien avec ce que je voulais faire de ce projet.

Immersif…
Merci du compliment ! Parce qu’on cherche à « savoir » ce que l’on voit…

Effrayant…
Ah bon ? Qu’est-ce qui t’effraie ? Intéressant cet adjectif…

Frénétique…
Tout d’abord la distinction entre l’aspect frénétique de la poursuite en forêt et la frénésie intérieure qui boue jusqu’à exploser lors de la partie d’échecs. Puis les codes s’inversent, le héros est zen en arrivant dans la clairière et il y a de la tension plus que palpable entre les joueurs.

Frondeur…
Parce que je raconte une non-histoire ? Je n’aime pas trop suivre la ligne jaune, je préfère suivre ma ligne.

Implacable…
À cause du temps qui s’écoule ? L’aspect inéluctable très certainement. On m’a déjà dit que ce film se voyait comme une parabole de la vie version Darwin. Moi je le vois plus comme la Lumière qui l’emporte sur les ténèbres… À (re)voir…

Atypique…
Encore une fois, je ne cherche pas à faire de l’atypique pour faire différemment. Je fais ce que je ressens. Donc je conçois qu’en effet le film surprenne, apporte une certaine confusion. On nage en terrain libre dans CheckMate, on est en équilibre entre deux contextes. Un coté brut, animal (forêt), et un coté « mental » (les échecs), puis les deux se mélangent…

Quel avenir désirais-tu pour CheckMate ?
Un Oscar ? Simplement qu’il soit vu par le plus grand nombre, qu’il fasse parler de lui, peu importe le discours d’ailleurs. Cela n’est plus contrôlé dès lors qu’il est sorti du cocon. Qu’il me permette de mener à bien d’autres projets.

Peux-tu nous parler de tes projets futurs ?
Le prochain projet en cours de réécriture ira « au fond des choses », sera en noir et blanc (très contrasté) et comportera des éléments de suspense… Le titre ? Dans Ma Tête… Décidément on en sort pas des « mind trips ».

Un grand merci Christophe !
Merci à toi et à tout OnRembobine. Ton soutien me touche énormément et on se sent « chez soi » lorsque l’on ressent cet amour du cinéma qui vous anime tous.

Pour voir le film c’est par ICI.

@ Propos recueillis par Gilles Rolland