Vers une démocratie plébiscitaire?

Publié le 01 juin 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Dimanche, 01 Juin 2008 21:49

L'éditorial de Daniel RIOT

C'est un débat essentiel que l'Institut   Pierre Mendes-France  vient d'organiser à Paris entre Jacques Julliard et Régis Debray[1].. L'auteur de la « Reine du Monde », un essai sur la démocratie d'opinion[2],   est critique sur le système médiatico-politique actuel. Mais il reste optimiste en se référent à Tocqueville : l'opinion jouerait les édredons face aux dérives les plus dangereuses qui mine la loi de la majorité. Le créateur de   la revue « Medium »  et  l'auteur d'un livre délibérément provocateur,  « L'Obscénité démocratique »[3], exprime des exigences très « mendésistes » mais  de plus en plus difficiles à satisfaire : «a rang de citoyen celui qui n'obéit pas à la consigne ; a rang d'homme d'Etat celui qui n'obéit pas à l'opinion » 

Sur nombre de points, Julliard et Debray font des constats convergents. J'en retiens cinq :

1)   « Tout se passe aujourd'hui comme si la notion de volonté générale se traduisait de deux manières concurrentes : d'une part les élections et la désignation de représentants au suffrage universel, d'autre part le poids croissant de l'opinion. Il a toujours existé des phénomènes d'opinion dans les systèmes politiques. Le fait nouveau, c'est le caractère permanent de cette pression de l'opinion et surtout qu'elle ait les moyens de se faire entendre » (Julliard).

2)   « Les   sondages ne sont plus seulement un instrument de mesure, ils sont des faits politiques en soi, comme le vote, et chaque fois qu'un homme politique a à choisir entre son mandat électoral et le jugement des sondages, il choisit presque toujours le second. Plus grave du point de vue de la démocratie, l'opinion a la possibilité d'empêcher la loi et de l'emporter sur la légalité républicaine, comme cela a été le cas pour le contrat première embauche (CPE) en 2006. Les élections elles-mêmes sont touchées par ce phénomène, puisque les primaires chargées de désigner les candidats commencent à y occuper une place de plus en plus importante. » (Julliard). « Les sondages sont devenus des oracles et même des arbitres : au lieu d'ouvrir un débat, ils le referment et disent le mot de la fin, comme si, au-delà du chiffre, il n'y avait plus besoin de discuter » (Debray)..

3)   « La démocratie, ce n'est pas la dictature de la popularité. Aujourd'hui, ne devient légitime que ce qui est populaire et ça fonctionne en boucle »(...) « La   politique se dissout dans la sociologie ; elle n'est plus un choix de société plus ou moins éclairé, à la suite d'un débat contradictoire et d'une délibération. » (Debray)

4)   « La démocratie a l'âge de ses supports techniques : elle apparaît dans une société où il y a des chemins de fer, des journaux et des partis autour des journaux. C'est en quelque sorte l'âge du plomb de la démocratie. Nous sommes entrés dans l'âge de l'électron. Après la République de l'imprimé (l'élection + l'éducation + la presse), nous sommes passés, avec la Ve République, à la démocratie télévisuelle, ce médium bonapartiste qui fonctionne au gros plan et impose le règne du "moi je". Avec Internet, nous assistons à l'apparition d'une opinion tout à fait insolite, réticulaire et disséminée, qui ne répond plus à un système hiérarchique et centralisé » (Debray)

5)   Les évolutions en cours engendrent une « démocratie plébiscitaire, assouplie par l'image et « quotidiannisée » par les sondages. Cette contraction des temps, ce repli des chronologies sur l'instant présent, cette dictature de l'émotif et de l'impression me semblent très dangereux » (Debray).

 Risque de dérive plébiscitaire ? Nous y somme en effet. Avec tout ce que cela peut comporter. A la base et au sommet des pyramides des pouvoirs. Avec (le pire ?) la confusion entre « pouvoirs » et « contre-pouvoirs ». Avec, par les deux bouts, des pratiques liberticides. Avec (encore)   des morcellements de la société minée par les corporatismes, les rapports de forces, les croyances, les clivages religieux, les tentations irrationnelles.... Et des explosions collectives favorisées par un « mimétisme de masse » aggravé par la médiatisation (à la fois générale et sélective)....

Dans ces conditions, et face à ces évolutions, « L'opinion, maladie infantile ou sénile de la démocratie ? » « Le Monde » qui publie des extraits de ce débat   se garde bien de tenter de répondre à cette question affichée en titre de son compte rendu. . Pour cause : toute réponse est impossible sans une définition précise de la « démocratie » et des « valeurs républicaines ».

Est-ce la démocratie représentative qui est en crise ou la représentation démocratique ?   

Le retour en force de la « démocratie directe »  (qui implique une « compétence »[4], donc un savoir, une information, et des capacités de jugement développées) est-il compatible avec l'explosion actuelle de « la montée de l'insignifiance », décortiquée par Cornélius Castoriadis et des confusion entretenues collectivement entre le présupposé « intéressant » et l'effectivement « important », entre « l'air du temps » et les lignes de forces qui inscrivent le futur dans le présent, entre la doxa, la « pensée dominante »,  et la réflexion éclairante ?

La démocratie n'est-elle qu'un mode de sélection des « élites » qui détiennent le pouvoir ou une grille de valeurs à défendre, y compris contre l'avis d'une opinion majoritaire ? Comment et jusqu'où faut-il faire la distinction entre « l'opinion » et la « conviction » ?  

Au nom de quoi peut-on définir et servir « l'intérêt général » dans un système qui favorise l'épanouissement de cet « individualisme possessif de masse » qui semble aboutir à une « massification des individus » ?

La liste de ces « questions qui questionnent la question » pourrait être plus longue. Avec, en corollaire, un approfondissement de ces notions que ni les politiques, ni les « gens des médias », ni les « communicants » ne distinguent pas suffisamment : le Public et la Foule[5], la Masse et le Peuple, le Marché et l'Agora, la popularité et la légitimité.

Tout cela confirme confirme surtout une nécessité : celle de considérer la démocratie comme une richesse à protéger, à cultiver et à approfondir en   permanence. D'où un devoir d'Europe auquel on doit être plus sensible à Strasbourg, en raison de la culture du Conseil de l'Europe, qu'ailleurs. Ne serait-ce que parce qu'il est une chose que la démocratie d'opinion ne peut pas garantir : la protection des libertés. L'Histoire l'a trop démontré...en des époques où les technologies de l'information (donc de la désinformation) n'étaient pas ce qu'elles sont.

Daniel RIOT


[1] Ce débat a été animé par Emmanuel Laurentin (France Culture)

[2]La Reine du monde (Flammarion, 128 p., 12 euros)

[3]L'Obscénité démocratique (Flammarion, 86 p., 12 euros)

[4]Philippe Breton dans « l'incompétence démocratique » (La Découverte)

[5]« Le journaliste et le sociologue », Robert E Park, présenté et commenté par G.Muhlmann et E .Plenel. « Médiathèque ». Seuil (mars 2008)

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