Playground talk

Publié le 28 avril 2015 par Pomdepin @pom2pin

En attendant les enfants à la sortie des classes, les parents se regroupent en petits tas par affinité, on a deux clans bien distincts. Ça donne toujours lieu à de grandes conversations philosophiques. Il faut bien passer le temps en attendant que les gamins sortent pour repartir aussitôt en classe chercher leur cartable, ressortent, repartent dans l’autre sens  pour récupérer leur blouson bleu, reviennent  avec un chapeau rouge, courent pour l’échanger avec le bon propriétaire, reperdent leur cartable, fassent demi-tour parce qu’ils ont oublié leurs devoirs et consentent finalement à quitter la cour au bout d’une bonne demi-heure, après  vingtaine d’allers et retours, tout ça pour se mettre à beugler comme des veaux à peine le portail franchi parce qu’ils ont oublié de dire au revoir à un copain, perdu le super caillou rigolo qu’ils ont trouvé à la récréation et bien sûr égaré leur cartable, mais ça, ce n’est pas si grave, surtout qu’il y a les devoirs dedans…bref, heureusement que les parents peuvent taper un peu la causette pour patienter. 

  

Les groupes de parents sont bien définis, on sait d’avance de quoi chacun parle, pas besoin de s’approcher pour deviner les conversations. Je rappelle que l’Essex, terre de contraste, est peuplé très logiquement d’Essex girls et boys fiers de leurs racines et qui défendent mordicus leur réputation de pouffes et idiots congénitaux, mais au bronzage carotte cramée. A peine rentré dans la cour, on tombe donc sur le groupe le plus bruyant, les mamans Essex girls qui n’ont pas compris qu’elles ne sont plus élèves elles-mêmes et continuent leurs discussions visiblement commencées quand elles se sont rencontrés, à 5 ans dans cette même école (l’Essex girl est grégaire et ne bouge pas de quartier). C’est merveilleux cette capacité à rester jeune d’esprit… En même temps, elles sont effectivement très jeunes. Je ne veux pas tomber dans les clichés, mais il y a par exemple une maman dont l’aîné a 9 ans, elle est enceinte jusqu’à yeux de son cinquième. Vous allez me dire, ça arrive à d’autres…oui, mais elle aura 25 ans la semaine prochaine (Toute la cour est au courant, elle se répand sur les préparatifs de sa fête d’anniversaire depuis trois mois, ce sera une vodka party dans une discothèque…no comment). Dans ce groupe, on est à la pointe de la mode jeune, on parle donc essentiellement de pop, de qui sort avec qui (que ce soit entre eux, ou en commentant la vie trépidante des acteurs de soap ou présentateurs télé) et  » t’as vu y a Machine qui m’a dit que Chose est une grosse nulle mais c’est celui qui dit qu’y est ». Évidement, en anglais, c’est encore mieux:

-you is daft, innit! 

-I mean, you know what I mean.

Rhaaa, j’en grince des dents tellement cette logorrhée verbale m’agresse…faites au moins un effort pour parler votre langue correctement! Je passe sur les fautes de conjugaison (you is…) et le merveilleux « innit »…Bon, il faut se rendre à l’évidence, je suis posh, snob. Et je n’en ai pas honte, know what I mean? 

Ça tombe bien il y a aussi le groupe de SuperMum et ses groupies, qui ne s’approcheraient pas à moins de 20 mètres des Essex mums sans vêtements de protection. Ça doit être pour moi. Ou pas. Je ne sais pas discourir pendant une demi-heure de la nouvelle méthode révolutionnaire d’éducation transcendantale inspirée des moines tibétains du 9ème siècle préconisant un enseignement interdisciplinaire perpendiculaire en marchant en crabe et sans bouger les oreilles. Mes enfants ne font pas de cours du soir de mandarin, viole de gambe ou calligraphie médiévale. Je n’ai pas d’opinion sur le marché bio qui vient de s’ouvrir dans un authentique monastère franciscain sponsorisé par Jamie Oliver. Dans ce groupe, on finit toujours par rapporter des ragots dignes des « qui sort avec qui » des Essex mums, mais il s’agit cette fois de la politique du PTA (l’association des parents d’élèves, présidée de main de fer par SuperMum) ou des rapports hiérarchiques entre enseignants, qui de toute façon sont tous des incapables, on ne parle pour toi , ahaha, tu fais français, tu n’es pas instit, heureusement pour toi. Mais c’est vrai que la directrice a dû rappeler à l’ordre le responsable des cours de rattrapage qui s’en est pris à la maîtresse des petits parce qu’elle ne sait même pas faire une addition? Tu dois savoir ça toi…non? Ils ne t’en parlent pas parce que tu fais juste le français et que tu n’es même pas instit?…Bref, ce n’est pas un groupe pour moi non plus. Il faut se rendre à l’évidence, je suis cynique. Et je le vis très bien. 

On pourrait croire que du coup, je reste toute seule dans mon coin mais pas du tout! J’ai même droit aux deux groupes, puisque je rappelle que je suis l’office de tourisme de la France dans l’Essex à moi toute seule. Toutes ces braves mamans commencent à préparer leurs vacances d’été et ça passe par moi, youpi. Il y a aussi les mères de famille fière de leur progéniture, qui me poursuivent jusque dans la cour pour connaître les progrès de leur gamin en français  et est-ce que j’ai bien remarqué à quel point leurs gosses sont géniaux? 

 Il faut se rendre à l’évidence, je suis de mauvaise humeur en ce moment…j’espère que les mamans dans la cour ne m’en voudront pas, au fond, elles sont sympas! 

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