Oiseaux-Tempête – Ütopiya

Publié le 05 mai 2015 par Hartzine

L’oiseau tempête est un volatile marin sombre comme la nuit. Nocturne et discret, il ne se laisse entrevoir sur les côtes méditerranéennes qu’à l’occasion de violentes tempêtes. À l’image de leur réification, qui pourrait se lire comme le reliquat d’une jeunesse tourmentée par Allain Bougrain-Dubourg, le groupe parisien semble surgir du néant ultramarin pour annoncer une furieuse tourmente de rythmiques, cordes et, cette fois, vents. Et comme une tourmente, Ütopiya?, leur sophomore sorti ce lundi chez Sub Rosa, est un chaos structuré aux phases scénaristiques captivantes, rigoureuses et progressives enveloppant un discours qui paradoxalement n’alimente aucun sermon rigoriste ou progressiste.

L’oiseau annonce pourtant la tempête. C’est un traité social sur la perte de contrôle d’une situation socio-économique aux dysfonctionnements perceptibles mais difficilement tangibles, un peu comme l’est la musique. Ici, le médium musical sert d’appui à un activisme lyrique qui a pris son essor en Grèce en 2013 avec un premier album qui jetait les bases d’un discours imagé mais réaliste. Militant. Ütopiya?, dont le point soulève mille interrogations, poursuit ce schéma narratif de la contestation en invitant à la réflexion, à la participation, à la réaction. On la veut, cette utopie? Est-elle possible? Quelle forme prendrait-elle? L’inflexion turque du titre de l’album pose le contexte géographique: après la Grèce, la Turquie, et puis finalement une bonne partie du pourtour méditerranéen, dont la diversité prend l’accent des captations in situ qui ponctuent les morceaux. Des brouhahas de rue, des discours engagés, des sirènes de police, un appel à la prière, des cris de manifestants… Le field recording et les extraits sonores sont exploités pour la contextualisation, c’est un rappel à la réalité qui empêche d’oublier que cet album n’est pas seulement musical mais aussi discursif.

La sémantique d’Ütopiya est forte, c’est la Tempête barjavelienne, véhiculée par un orage musical qui sourde, puis souffle, rugit, dans une domination réussie du free rock où la clarinette, qui vient compléter le trio initial, catalyse distinctement les moments de violence et d’apaisement. Le story telling des onze morceaux oscille entre une sensibilité extrême dans Fortune Teller et une frénésie rageuse dans Palindrome Series, le live qui clôt l’album. Parfois déconcertant mais rarement lassant, le développement d’Ütopiya joue sur l’instabilité et la durée des pistes est éloquente, de moins de deux minutes pour Yallah Karga à plus de vingt-deux pour Palindrome Series. C’est une structure trompeusement décousue et chaotique, théâtralisée pour en extraire un message universel que le nihilisme funeste de Requiem For Tony ou le blues désabusé d’Aslan Sütü appuient de leur parti pris esthétique. Ici, l’utopie n’est ni rablaisienne ni platonicienne, elle prend racine dans une clameur mélodique puissante à la poursuite d’un sursaut pour conjurer la malédiction énoncée dès le premier titre, Omen: Divided We Fall. Loin des chants révolutionnaires, l’amertume réaliste d’Oiseaux-Tempête glisse cependant un message fort, qu’heureusement on ne risque pas d’entendre au prochain défilé de la CGT.

La release party de l’album aura lieu le 24 juin à Petit Bain avec en guest Gareth Davis et G.W.Sok de The Ex (Event FB)
Relire notre interview du groupe ici.

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