Richie, biographie de R. Descoings par Raphaëlle Bacqué

Par Mpbernet

Lorsque j’appris la mort prématurée de Richard Descoings, et comme bien d’autres anciens de Sciences Po, j’ai pleuré. Pourtant, je ne le connaissais pas puisque ma scolarité dans cette prestigieuse école s’était achevée en 1966 … Mais j’avais suivi avec beaucoup d’intérêt son action innovatrice et réformatrice qui fit en peu d’années de cette maison, symbole un peu compassé de l’endogamie des élites, l’un des établissements d’enseignement supérieur parmi les meilleurs au monde.

Cette biographie acérée, furieusement bien écrite, documentée, sans complaisance, qui « balance » pas mal de leaders de notre microcosme économico-politique, m’a beaucoup appris sur le système dans lequel nous avons été éduqués (nous et nos enfants !) et surtout sur le personnage extraordinaire que fut cet homme exceptionnel, dans le bien comme dans le mal.

Un garçon doué et travailleur acharné, habitué à dissimuler ses capacités puisqu'il sortit 10ème de sa promotion de l’ENA -  donc au Conseil d’Etat et dans la « botte » - alors qu’il n’avait jamais suscité le moindre intérêt parmi ses brillants condisciples, homosexuel et bipolaire, s’affichant à gauche, vivant en couple pendant 11 ans avec un haut fonctionnaire et cependant amoureux et marié à Nadia Marik, une femme ouvertement militante de droite …

Entre carrière dans les cabinets ministériels et travail bénévole à l’association AIDES dès 1985, entre folles nuits au Palace et les couloirs du Conseil d’Etat, Richard Descoings vit avec Guillaume Pepy mais s’affiche avec Diane de Beauvau qui le tire vers les profondeurs, hante les boîtes de nuit et les bars de la rue Sainte Anne, abuse de tout : alcool, cocaïne, ecstasy … qui lui permettent de tenir le coup dans les réunions de la haute fonction publique.

C’est un homme pressé, il sait qu’il a peu de temps pour vivre toutes ses vies.

Homme des cabinets mitterrandiens, il est nommé à la Direction de Sciences Pô par Alain Juppé, sur le conseil de Michel Pébereau, le grand banquier centriste, et adoubé par le professeur René Rémond (mon idole !) à 38 ans seulement. Cela fait dix ans qu’il s’y prépare : son ambition est de faire de la rue Saint Guillaume le Harvard à la française, et il va y parvenir.

Il tient ses collaborateurs sous l’emprise de son intelligence et de son charme magnétique, mais ne peut s’empêcher de flirter avec ses étudiants, sur les réseaux sociaux, lui dont la silhouette élancée se différencie si peu de ces jeunes gens aux yeux de biche.

Il est le premier – et à vrai dire pour l’instant le seul – à mettre en œuvre une forme de discrimination positive permettant aux excellents élèves des lycées des quartiers difficiles d’intégrer l’école sans passer par le tamis d’un concours d’entrée socialement discriminant et grâce à des cours de culture générale accélérés et des bourses d’études. Il faut une loi pour entériner une telle réforme, elle sera votée en 2001.

Ensuite il rencontre Nadia Marik, énarque comme lui mais passée par l’entreprise, en fait sa principale collaboratrice (« la Tsarine ») et l’épouse … Nul ne saurait dire lequel des deux époux se montre le plus despotique. Richard Descoings travaille comme un forcené et continue ses folles échappées … Il se consume de moins en moins discrètement …

Aucun romancier n’aurait osé concevoir la trajectoire d’un tel personnage que l’on retrouve mort à 53 ans d’une crise cardiaque dans une chambre d’hôtel de New York, après une nuit passée avec deux jeunes escort boys et pas mal d’alcool …

Mieux qu’un roman, le livre se lit d’une traite, on en connaît bien entendu la fin, mais c’est l’itinéraire qui fascine et interpelle … comme Richie, l’homme aux deux visages qui voulait mettre pleinement deux vies dans la même seringue et aura accompli dans sa courte vie des prodiges dans un monde particulièrement allergique à toute forme de réforme. Comme le déclarait méchamment Alain Finkielkraut – toujours à propos pour proférer des vacheries – son ouverture aux gamins des banlieues, c’était « des barbaresques que l’empire aurait décidé de romaniser ». Monsieur Finkielkraut, je vous emm….. !

R.I.P. Richard Descoings !

Richie, biographie par Raphaëlle Bacqué, chez Grasset -  284 p., 18 €