Howard Zinn, une histoire populaire américaine : du pain et des roses

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

« Tant que les lapins n’avaient pas d’historiens, l’histoire était racontée par les chasseurs. » disait Howard Zinn, l’historien américain des classes laborieuses. On aurait envie de rajouter : tant que les chasseurs auront des lévriers, nous ne sommes pas prêts de faire éclater la vérité. C’est du moins ce que pensent les fossoyeurs de la liberté d’expression, tel Philippe Val limogeant Daniel Mermet, Stéphane Guillon ou Didier Porte mais paradant sans honte pour soutenir le droit de rire de tout à la suite de l’attentat terrible contre Charlie Hebdo. Heureusement, tous les lapins n’acceptent pas docilement de finir en civet. C’est ce que nous prouve Daniel Mermet et Olivier Azam (qui a également travaillé avec le génial Pierre Carles) en réalisant Howard Zinn, une histoire populaire américaine, inspiré du livre homonyme, sonnant à la fois comme une revanche et une mise au point salutaire.

Une histoire populaire américaine fut l’œuvre de sa vie pour Howard Zinn. Boycotté par certains milieux universitaires, interdit dans certains états, le livre n’en fut pas moins un véritable succès public avec plus de deux millions d’exemplaire vendus. Faisant commencer l’histoire américaine en 1492, Zinn prit le parti de raconter une histoire que l’on avait jeté consciemment aux oubliettes. Devant l’illusion d’une nation unie, il décida de raconter l’histoire des esclaves, des Indiens, des déserteurs, des ouvriers du textile, des syndicalistes, des immigrants. En somme, tous ceux qui battirent le pays mais dont les vies misérables furent l’antithèse de la doctrine fantaisiste, lieu de tous les fantasmes, du rêve américain. Mermet et Azam nous narre à leur tour cette tragédie avec force document d’archives filmées, d’affiches, de photos.

Howard Zinn

Du pain et des roses, ainsi est intitulé le premier volet de la trilogie que constituera cette histoire populaire des États-Unis au cinéma. Cette première partie s’attache à faire la lumière sur les conditions de vies des immigrés, à battre en brèche la propagande américaine sur la fondation de la nation et enfin évoque le rôle prédominant des syndicats avant que les forces vives du prolétariat ne soient sacrifiées sur l’autel de la première guerre mondiale. Premier constat saisissant, seule un tiers des colons américains prit part à la révolution américaine. Décrite comme une révolution dans la mythologie nationale, elle n’est d’ailleurs qu’une guerre d’indépendance fomentée par la bourgeoisie américaine voulant s’affranchir de l’impôt. Celle-là même qui promit aux conscrits des terres mais qui pris soin de les noyer sous l’impôt et une fois la victoire acquise de les priver de leurs biens. Venus de l’Europe pour fuir des conditions de vies déplorables, les immigrants débarquaient aux États-Unis pour finalement, seulement y survivre. Ils perdaient dans le voyage et dans l’accueil qu’on leur réservait toute leur dignité. Autre temps, même mœurs, de nos jours, dont les migrants méditerranéens ou mexicains pourraient parler mieux que nous. Bien organisée, la bourgeoisie américaine, cynique, n’hésitait pas à faire appel à la justice privée pour régler toute forme de rébellion. Comme le font les multinationales françaises, chinoises ou américaine sur le continent africain. Tandis que John Davison Rockefeller organisait notamment le massacre de Ludlow dans le Colorado, il créait sa fondation et exposait, à New-York, des œuvres de maîtres moyennant des avantages fiscaux. Jamais Jacob Riis, photographe de talent qui immortalisa les bas-fonds et le sous-prolétariat new-yorkais, n’y fut exposé. A Ludlow, idées géniales des capitalistes, les ouvriers louaient leurs appartements au patronat et achetaient les produits de premières nécessités dans des magasins qui leur appartenaient également.

Ludlow, Colorado, après l’intervention des milices patronales

Bizarrement, les ouvrages scolaires américains, comme les français d’ailleurs, racontent une histoire dépouillée de la lutte des classe, construite sur un fantasme d’unité nationale n’ayant jamais eu lieu, si ce n’est à la veille de la première guerre mondiale où le mirage de l’union sacrée aveugla jusqu’au plus progressiste. Comme le rappelle Mermet, nul autre que Paul Valéry n’exprime mieux la mascarade par ces quelques mots : « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » Et de l’autre côté de l’atlantique ce fût autant le cas que du nôtre. Les grands groupes industriels s’enrichirent sur la guerre sans jamais y envoyer leurs enfants. La propagande battît son plein, montrant l’autre comme une monstruosité. Mais même sur ce point, Zinn fait remarquer que la levée des troupes pour partir se battre en Europe fut très difficile pour Woodrow Wilson, la populace n’étant pas prête à mourir pour des idées qui n’étaient pas les siennes. D’autant plus que des voix s’élevaient tels celle d’Eugène Debs, candidat du Parti socialiste d’Amérique pour les élections présidentielles à cinq reprises, qui dénonça une guerre qui n’avait pour but que de pérenniser les prêts consentis aux alliées par l’État américain et ses capitaines d’industries. Si les alliés perdaient la guerre, les créanciers ne serait jamais remboursés. On tente de nous faire croire que les peuples partirent la fleur au fusil au combat alors que, pour l’essentiel, ils y étaient opposés. Les vrais luttes à mener n’étaient pas à l’étranger mais à domicile. La mortalité des enfants travailleurs étaient de l’ordre de soixante pour cent. Le répression de toutes les manifestations de solidarité étaient constante. Les grandes épopées nationales, tel le chemin de fer, le devinrent en versant le sang de milliers d’ouvriers. Le taylorisme puis le fordisme, présentés comme des améliorations productives, accentuèrent surtout l’aliénation des ouvriers, de plus en plus semblables à des âmes décharnées. A cela, le Industrial Workers of the World, syndicat qui fut très puissant organisait la lutte partout. Et le mouvement ouvrier se créa aussi ses propres figures mythologiques tel Mary « Mother Jones » Harris Jones, syndicaliste de la première heure qui fut de tout les combats. On la vit à Ludlow mais également lors de la grève exemplaire de Lawrence dans le Massachusetts où la répression fut si féroce et si médiatisée qu’elle obligea le patronat à faire machine arrière. Howard Zinn, une histoire populaire américaine fait l’inventaire morbide de grands nombres de représentants syndicalistes qui furent condamnés à la peine de mort sans aucune preuve de délit et sous des prétextes fallacieux.

Tract des ouvrières du textile de Lawrence, Massachusetts

A la lumière de ses faits, il nous apparaît tout de même que la propagande visant à établir les États-Unis comme une terre de liberté et d’espoir a laissé une trace vivace dans les esprits. Ils nous appartient de faire œuvre d’éducation populaire, de nuancer cette histoire officielle, de rendre leur véritable place à ceux qui ont fait la fortune de ces profiteurs capitalistes. Tout commença par un mensonge fondamental, : le 17 septembre 1787, cinquante-cinq hommes blancs et riches propriétairess terrienss, signaient une constitution excluant les natifs, les femmes et les pauvres la débutant par le très drôle : « Nous, le peuple ».

Boeringer Rémy

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