(Note de lecture) Werner Lambersy, "La Perte du temps" et "Dernières Nouvelles d'Ulysse", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé


PEUT-ÊTRE ÉCRIRE EST-IL  
 
une façon de se taire
 
 
Werner Lambersy, écrivain prolixe, plus de soixante-dix recueils au compteur, remet en jeu sa plume chaque fois qu’il se trouve devant la page. L’empan de sa poésie est le plus large qui soit, de la proximité, même ordinaire, à l’immensité cosmique. C’est dire qu’il joue sur toute la gamme avec science ou familiarité. Le titre du poème en majuscules fait partie du poème, l’envoie et l’introduit directement sans autre préambule.  
 

PLUS RIEN NE COMPTE  
 
hors l’inconnu continent /  
du corps confiné…
   
 
Le poète cultive le paradoxe avec évidence et délectation. Il a toujours eu la sensibilité amoureuse, quel que soit son âge, et l’humour qui va bien avec :  
 
deux seins et ton sourire  
sacré bonneteau
 
 
De même, la mort, jamais très loin, est depuis longtemps apprivoisée, avec le même sourire en coin :  
 
ELLE RÉPÈTE  
 
je n’aime pas les enterrements  
je ne suivrai pas même  
le mien  
 
j’ai répondu : ne t’inquiète pas  
ma chérie j’y serai…  
 
Tout chez l’auteur est matière à poème, de la pensée métaphysique aux éléments naturels maintes fois mis en mots depuis des siècles et des générations, mais on découvre chez Werner Lambersy des fulgurances et des trouvailles inédites : le vent n’a pas d’ombre ! et il ajoute mais on peut lire son âme / sur l’eau. Lorsque la poésie est ainsi pure et limpide, le lecteur n’a plus qu’à se laisser porter au long des étendues sensibles et des profondeurs humaines :
 
je suis sorti  
les yeux dans les yeux  
vides du ciel  
 
la pluie n’avait pas de  
paupières
 
 
Les philosophies se rejoignent dans ce flux continu où n’auront de place ni l’amertume ni la défaite. « La perte du temps » s’inscrit comme le compte à rebours vital qui s’enclenche aussitôt né, sans fatalisme ni tristesse. Le vers reste sobre, court, clair et complet. Il n’empêche que l’image en prend d’autant plus de valeur et de puissance. 
 
Comme s’égarent et  
Se perdent  
 
Les galaxies au-delà  
Des lèvres de  
L’espace…
 
 
 
Dernière nouvelles d’Ulysse a été écrit sur une dizaine d’années. C’est un peu le journal de bord du poète, son odyssée intime. On perçoit davantage les affres du quotidien, les injustices du monde :  
 
La mort  
De ceux qui n’ont rien  
Nourrit la guerre  
 
La guerre  
Engraisse les plus gras  
 
Les références littéraires et historiques pullulent et ce sont les chants du siècle passé et présent qui résonnent  
 
Et la minerve du néant  
 
Nous la portons autour  
Du cou sous la fraise  
En dentelle des étoiles  
 
L’écriture embrasse et le temps et l’espace ; le poète se réapproprie les légendes aussi bien que les civilisations du monde.  
 
L’aurore roulant  
À l’approche du soleil  
Son tabac blond   
 
Le poète revêt l’aspect d’un démiurge de poche, nullement intimidé par l’ampleur de la tâche,  
 
Et aux passeurs qui font payer  
les morts  
en les jetant par-dessus bord
 
 
et pourquoi le poète n’aurait-il pas, c’est le moins qu’il puisse se permettre, son mot à dire ?  
 
Car la beauté  
est une blessure  
qui jamais ne doit guérir  
Ni laisser l’imposture  
soigner les écrouelles de  
l’âme
 
 
Ainsi le poète poursuit-t-il son chemin d’aède, moderne mais véhiculant la tradition ancestrale qu’il assume et authentifie, à la fois, témoin constant, censeur épisodique et complice bienveillant, jusqu’au bout, sachant depuis le commencement que  
 
Le poème  
peut mourir d’un long souffle  
Au cœur 
 
Les deux recueils se complètent comme toute l’œuvre de Werner Lambersy s’imbrique dans une même vision poétique, à la fois joviale et aiguë. 
 
Je contemple les étoiles  
Et me demande si 
Le compte y est

[Jacques Morin]
 

La perte du temps, Le Castor astral, 12 €.  
Le Castor astral : 52, rue des Grilles – 93500 Pantin 
 
Dernières nouvelles d’Ulysse, peintures d’Anne-Marie Vesco et préface d’Hubert Haddad, Rougier V. Éditions, 18 €.  
Rougier V. éd. 61380 Soligny-la-Trappe..