Serge Oldenbourg : au risque de se perdre

Publié le 19 mai 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

Dans trois semaines à Paris 3eme arrondissement, le festival Nomade se déroulera sous le signe de la performance.

C'est l'occasion de mettre en perspective l'expérience ultime d'un artiste du happening décédé il y a une quinzaine d'années et dont le parcours, mal reconnu de son vivant, a laissé une trace unique concernant l'engagement personnel et la prise de risque. Serge Oldenbourg (1927-2000), sous le nom d'artiste de Serge III, était le frère de l'écrivain Zoé Oldenbourg. En février 1962, sans avoir encore entendu parler de happening, il propose, pour 1 Franc, son âme à Ben Vautier. Il est précisé dans le contrat d’achat que Ben est libre d’en disposer de la manière qui lui convient en tant qu’œuvre d’art. Puis Oldenbourg détruit  toutes les peintures, paysages et natures mortes réalisés auparavant. En juiIlet 1963, George Maciunas passe à Nice et avec Ben, organise des pièces Fluxus de rue et un concert à l'Hôtel Scribe. Entre autres pièces, Ben réalise le "Violon Solo de Nam June Palk" et brise le violon sur une table. C'est le coup de foudre et une révélation. Serge III fait dédicacer un morceau de violon par Ben. Au début 1964, avec Ben et d'autres artistes, il réalise deux concerts Fluxus à Nice puis avec Ben monte à Paris pour le Festival de la Libre Expression organisé par Jean-Jacques Lebel.

Performance à haut risque

Le happening prend alors chez Oldenbourg une tournure extrême lors de ce festival.. L'artiste ne mesure plus seulement son rapport à l'art, il joue avec sa vie : "Concert Fluxus dans lequel je joue à la roulette russe avec un vrai revolver et une vraie balle. Deux amis voulaient m'empêcher de le faire et j'ai été obligé de leur dire que le revolver ne serait pas chargé. D'où le bruit qui courut comme quoi le revolver n'était pas chargé. Il l'était, et Robert Filliou, qui devint un de mes amis les plus chers en a toujours témoigné, parce qu'il m'avait vu tout de suite après ma performance."
L'implication de sa vie personnelle restera une composante déterminante de sa démarche artistique. En octobre 1966, toujours avec l'inséparable Ben, il se rend à à Prague pour présenter des happenings et concerts Fluxus. L'ambiance est pesante et les conditions de séjour difficiles. Ben décide brusquement de partir. Oldenbourg donne son passeport et un costume à un soldat qui s'enfuit en Autriche. Dénoncé à la police l'artiste est arrêté, condamné à trois ans de privation de liberté. Après quatorze mois de prison il est échangé contre un espion tchèque.

Auto-stop avec un piano - 13 juin 1969, Cros de Cagnes

Lorsque je rencontre personnellement Serge Oldenbourg à Nice dans le courant des années soixante dix, c'est l'occasion de rappeler avec lui une action mémorable et cette fois moins risquée :
"En juin 1969 Ben et Merino organisent le Festival Non-Art. Ben m’avait dit que je-ne-sais-quel-type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu'il pouvait en ajouter deux, auto-stop et navigation en piano." Serge III loue un piano et s'installe au bord de la nationale 7 en direction de Paris. Personne ne prendra en charge cet encombrant auto-stoppeur.

Contestation et subversion

Selon cet artiste incontrôlable la distinction doit être faite entre contestation et subversion. La contestation, selon lui, est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus de pensée qui pourrait aboutir à la protestation. Autrement dit, la contestation est l'aboutissement d'un processus, alors que la subversion en est le point de départ. En 1970 invité à l’exposition « Environs Il » à Tours, Serge III achète un pistolet à amorces. Il prévient les organisateurs et la presse, monte dans un bus, braque le chauffeur et lui ordonne de rejoindre la bibliothèque où se déroulait l’événement. Mais la police l’intercepte. En 1973 il lave et repasse le drapeau français en public. La suite de son parcours sera à l'image de cette vie qui fut, a-t-on déjà écrit, un happening qui dura soixante treize ans.

Source photos : http://alainamiel.com/S%20III/performances.html