A Serbian Film (Pasolini chez les Serbes)

Publié le 19 mai 2015 par Olivier Walmacq

genre: horreur, gore, trash, extrême (interdit aux - 18 ans)
année: 2010
durée: 1h44

l'histoire : Milos, un acteur porno à la retraite, tente de survivre avec sa famille. Jusqu’au jour où une ancienne collègue lui présente Vukmir, figure influente de l'industrie pornographique, qui va lui faire une offre qu’il ne pourra refuser… 

La critique :

Le corps comme un moyen ou plutôt un instrument pouvant mener à la déchéance suprême, à sa dégénérescence et à sa destruction complète, en passant par la soumission et l'avilissement total. Ce thème n'est pas nouveau au cinéma. Par le passé, d'autres réalisateurs se sont intéressés aux effets de la transformation du corps humain sur notre propre psyché.
Bienvenue dans notre société consumériste et égotiste, focalisée sur notre propre image, surtout celle de notre propre corps, générant ainsi des angoisses de castration et de dysmorphophobie ! C'est un thème que David Cronenberg a déjà exploré avec Videodrome en 1984. En l'occurrence, A Serbian Film, réalisé par un certain Srdjan Spasojevic en 2010, est très différent du long-métrage de David Cronenberg. 

Néanmoins, on retrouve tout de même ce vif intérêt pour cet aspect charnel en totale décomposition et soumis aux pressions d'une société capitaliste en crise et repliée sur elle-même. Mieux encore, Srdjan Spasojevic a de plus grandes ambitions. Visiblement, le réalisateur serbe a beaucoup apprécié (un peu trop peut-être) Salo ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, mais j'y reviendrai.
En vérité, c'est même l'inspiration principale du film et sa référence ultime, même si les deux longs-métrages sont tout de même très différents. Cependant, on relève de nombreuses similitudes. Encore une fois, j'y reviendrai ultérieurement... En vérité, Srdjan Spasojevic a les yeux plus gros que le ventre. En l'occurrence, le cinéaste bouffe un peu à tous les râteliers : un zeste de Cronenberg dans sa période années 1970, un film qui se veut être le "Salo" serbe et un soupçon de snuff-movie, histoire d'attirer un public toujours plus exigeant en termes de sensations fortes.

Ceci dit, il faut bien le reconnaître. Srdjan Spasojevic a gagné son pari. A Serbian Film va rencontrer le succès escompté et déclencher la polémique, ainsi qu'un énorme scandale au moment de sa sortie. Le ministère public serbe ouvre même une enquête sur les conditions de tournage du film. Le long-métrage est tancé, hué et vitupéré dans différents festivals.
C'est par exemple le cas lors du festival de San Sebastian qui interdit le film de projection. En Norvège, A Sebian Film est interdit à la vente en dvd en raison d'images explicites de nécrophilie, de pédophilie et de représentations explicites de viols. En résumé, Srdjan Spasojevic voulait que l'on parle de son tout premier film.

Incontestablement, c'est mission réussie. En revanche, pour ce qui est du fond, comme de la forme, c'est une toute autre histoire. Sur la Toile, le film suscite la polémique. Il y a ceux qui parlent d'un chef d'oeuvre coup de poing et même du film le plus trash jamais réalisé. Et puis, il y a ceux qui crient au scandale. En l'occurrence, je n'appartiens ni à la première, ni à la seconde catégorie.
En gros, je fais partie de ceux qui sont assez mitigés vis-à-vis des qualités réelles de ce film. Attention, SPOILERS ! Milos, un acteur porno à la retraite, tente de survivre avec sa famille. Jusqu’au jour où une ancienne collègue lui présente Vukmir, figure influente de l’industrie pornographique, qui va lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser…

Certes, A Serbian Film est un véritable cocktail molotov de gore, d'ambiance crade, malsaine et putride, ainsi qu'un festival d'atrocités en tout genre :  émasculation, abus sexuel sur un nouveau-né, des sexes en érection et des fellations à peine dissimulées. Au risque de me répéter, Srdjan Spasojevic a de grandes ambitions. Derrière ce scénario à la fois tortueux, sadique et farfelu, le but est de brosser un portrait au vitriol sur l'état actuel (entre autres, social...) de son pays, donc la Serbie.
En ce sens, A Serbian Film pourrait s'apparenter comme le digne successeur de Salo ou les 120 Journées de Sodome. Hélas, malgré des qualités visuelles et esthétiques évidentes, la comparaison s'arrête bien là. A Serbian Film est loin de posséder la puissance et la force du chef d'oeuvre de Pasolini.

En vérité, A Serbian Film s'apparente davantage à une diatribe sur les dérives de la pornographie en Serbie. C'est d'ailleurs tout le problème du film, à savoir le message qu'il véhicule durant presque une heure et 45 minutes de bobine. En gros, la pornographie devient un art comme un autre (jusque-là, pourquoi pas...). Surtout, l'art devient ici un prétexte à toutes les dérives possibles en matière d'insanités et de déviances sexuelles. Le seul souci, c'est que ce sujet, assez racoleur, il faut bien le dire, nous est présenté de façon assez bancale et linéaire.
Si Srdjan Spasojevic n'est pas Pier Paolo Pasolini, il n'est pas David Cronenberg non plus. Cette déliquescence du corps, jusqu'au point de non-retour, ne fait pas l'objet ici du moindre recul ou d'une quelconque réflexion, amenant le spectateur à s'interroger sur les images en présence.

En l'état, A Serbian Film donne souvent l'impression de tourner dans le vide à défaut de dénoncer véritablement quelque chose. De ce fait, difficile de ne pas s'interroger sur les véritables intentions du réalisateur. D'autant plus que son argumentation consiste à marteler : "Comprenne qui pourra". Or, des réalisateurs tels que Cronenberg et Pasolini ne refusaient pas le débat. 
Surtout, ils parvenaient à le poser et à le transcender à travers leur film, suscitant ainsi tout un tas de questions. Là non. Rien ou presque. A contrario, A Serbian Film possède tout de même certaines qualités, notamment au niveau de la mise en scène. Sur ce dernier point, Srdjan Spasojevic possède un talent évident. Même remarque concernant l'interprétation.
Par exemple, l'acteur principal, Srdjan Todorovic, est totalement investi dans son rôle. Il incarne une ancienne star du porno, et surtout, un père de famille crédible, mais rongé par les dettes. Enfin, ceux qui ne recherchent que des sensations fortes et extrêmes, devraient logiquement trouver leur compte. Cependant, comprenez bien : A Serbian Film n'est pas non plus le long-métrage le plus trash jamais réalisé, même si l'interdiction aux moins de 18 ans est totalement justifiée.

Note: 10/20

 Alice In Oliver