TS. GEO. L'Asie du Sud et de l'Est : les enjeux de la croissance.

Par Misterr

L'Asie, difficile à définir précisément, représente 27M de km 2, soit environ 20% des terres émergées. Cet espace connaît un essor économique puissant et rapide favorisant sa sortie du sous-développement. Toutefois de fortes disparités socio-spatiales se maintiennent, alourdies depuis 20 ans, par de lourdes dégradations environnementales.

La région concentre plus de 50% de la population mondiale (3,7Md), et possède deux géants démographiques dont le défi quotidien est de nourrir la population.

L'Asie du Sud et de l'Est est une zone multipolaire caractérisée par des recompositions géopolitiques importantes. où s'observent deux puissances: le Japon et la Chine.

Problématique : L'Asie du Sud et de l'Est, en cours d'émergence, est-elle en mesure de devenir le nouveau centre du monde? À quels défis la région est-elle confrontée?

A. Faire face au poids du nombre.

1. Un foyer de peuplement et une population de plus en plus urbanisée.

L'Asie est l'espace des " géants démographiques " : la région concentre environ 54% de la population mondiale. La Chine (1,367Md d'habts au 20/05/2015 populationdata.net) et l'Inde (1,252Md) représentent 37% de la population mondiale et 68% de la population de l'Asie de l'Est et du Sud. Les densités de populations sont fortes.

Des inégalités pourtant: plus de 1000hab/km2 dans les plaines et encore plus dans les agglomérations mais il existe une forte opposition littoral/ intérieur montagneux.

Des campagnes encore très peuplées malgré un puissant exode rural.

Les taux d'urbanisation varient de 30 à 100% ( Singapour) en Asie de l'Est et du Sud ce qui en fait une des régions les moins urbanisées du monde. Toutefois d'ici 2030, en Asie de l'Est, on devrait compter 3M d'urbains de plus chaque mois. C'est le cas en Inde, au Pakistan ou l'Indonésie. 7 des 10 + grandes agglomérations du monde s'y trouvent.

La population urbaine de l'Asie du Sud et de l'Est a été X 5 depuis les années 60 et correspond à 43% de la population urbaine mondiale. L'Inde comptait 7 agglomérations millionnaires en 1960 contre une quarantaine aujourd'hui.

La région est en cours de transition urbaine avec de nombreux enjeux urbanistiques et sociaux : environ 50% de la population urbaine d'Asie vit dans un bidonville !

2. Les disparités de la croissance démographique.

La croissance démographique régionale devrait être soutenue jusque vers 2030, puis décliner vers 2050.

Les pays sont engagés dans la transition démographique (TD), mais à des stades différents : les Philippines enregistrent encore 3,3 enf/femme. En effet, la fécondité est forte dans les pays les plus pauvres (Laos, Népal, Afghanistan), faible dans les pays en fin de TD, d'Asie méridionale et orientale.

En Chine, la faible fécondité doit à la politique antinataliste (la règle de l'enfant unique aujourd'hui fortement allégée). Le déséquilibre des sexes est net car une préférence socioculturelle est accordée au fils. En Inde, la politique s'oriente de plus en plus vers l'éducation des femmes, mais la fécondité reste encore forte ( 2,6 enf/femme) et ce pays devrait être le plus peuplé dès 2035.

La question démographique est au cœur d'un débat en Asie : est-elle un frein ou un vecteur d'essor économique? Déjà certains problèmes de populations " vieilles " apparaissent: la baisse de la fécondité ( 1,3enf/femme en 2011au Japon) et essor de l'espérance de vie (F:86 ans, H: 80) accroissent la part des plus de 65 ans, ce qui provoque une diminution de la main d'œuvre tandis que commence à se poser le problème des retraites.

B. Un espace en cours d'émergence.

1. Un pôle de croissance majeur.

L'Asie est le moteur économique du monde et l'aire continentale à la croissance éco la plus dynamique: 13 pays ont une croissance >5%.

La consommation des ménages et l'ouverture économique ( plus du 1/3 des exportations mondiales) stimulent la production industrielle (textile, électronique, acier, construction navale...). Egalement une meilleure intégration aux flux de capitaux ( 15 des 50 premières bourses) et aux flux humains (migrations, tourisme).

De fait, un essor du niveau de vie est repérable même si de grosses difficultés persistent dans les pays peu intégrés : Corée du N, Myanmar (=Birmanie), Népal.

2. Des processus d'émergence variés et une intégration inégale.

Les décollages économiques ont été successifs

Le Japon a été le précurseur du développement économique régional et a permis l'essor des " Dragons " (Corée du S, HK, Taiwan, Singapour) qui ont stimulé les " Tigres ". Chaque pays est devenu un leader dans un secteur industriel : Singapour dans les disques durs d'ordinateurs, Hong Kong dans le jouet électronique, la Corée du Sud dans les TV écran plat et Taiwan, dans les consoles d'ordinateurs.

Aujourd'hui, Chine et Inde ont pris le relais des Tigres en libéralisant fortement leurs économie : la Chine est la 2ème puissance économique mondiale depuis 2010 (et peut-être même la 1 ère d'après le FMI), elle est devenue l' " atelier du monde ". L'Inde, un peu en retard, entre dans une spécialisation des services et deviendrait le " bureau du monde ", en même temps qu'elle assure l'essor d'une industrie puissante ( Mittal) et diversifiée.

L'extraversion de l'économie a renforcé la littoralisation (ZIP) des activités industrielles et tertiaires.

L'essor de l'Asie génère une intégration croissante instaurant une DIPP asiatique : le commerce intra-régional représente + 50% du commerce extérieur des pays asiatiques.

Un processus moins vrai pour l'Asie du Sud : l'Inde n'est pas un moteur économique régional. Toutefois ce pays s'ouvre : la création de ZES dès 2005 (électronique, informatique, joaillerie) et une " Look East Policy " (politique du regard vers l'Est) créant un rapprochement avec l'Est asiatique ( partenariats avec le Japon, l'Asean, la Chine).

L'espoir est réel aujourd'hui de créer une Asian Free Trade Area (AFTA) pouvant s'appuyer sur un " corridor économique asiatique " allant de Singapour à Tokyo.

C. Croissance économique et développement durable.

1. Une croissance inégalement partagée.

La région est marquée par la hausse du niveau de vie moyen mais les disparités persistent. On assiste à un recul de l'extrême pauvreté (79% à 18% entre 1981 et 2005) mais l'Asie reste " le continent des pauvres " : 2,2Md dont 1,6 pour Chine et Inde.

Les inégalités demeurent, notamment Asie du Sud et du Sud-Est, qui restent plus rurales et agricoles : aux Philippines, 80% de la population pauvre est rurale.

L 'Asie reste encore disparate au niveau économique : l'Asie de l'Est, maritime, est économiquement intégrée, avec un IDH élevé tandis que l'Asie du Sud-Est et du Sud, continentales, ont un IDH plus faible.

L'Etat, globalement très impliqué dans les économies, s'appuie sur de grands conglomérats ( nommés keiretsus au Japon, chaebols en Corée).

2. Des fragilités environnementales.

Globalement dans la région, il n'y a pas de priorité environnementale. L'urgence du développement et l'urbanisation ont amené à une valorisation rapide des ressources : pollutions, surexploitation des sols, des nappes, déforestation .... L'urbanisation et le développement économique ont bétonné le littoral. En parallèle, les sociétés asiatiques sont confrontées à des catastrophes naturelles (séismes, tsunamis, sécheresse, inondation, volcanisme).

L 'émergence d'une sensibilité écologiste est difficile car les enjeux financiers et économiques sont puissants, liés à la corruption et au clientélisme.

3. Conflits sociaux et tensions politiques.

Les inégalités socio-économiques ont des impacts importants et les fractures sociales sont génératrices de tensions : les manifestations ouvrières au Bangladesh ou au Cambodge. Certains pays sont marqués par une instabilité politique, des conflits religieux, interethniques ( sud de la Thaïlande, Tibet, Xinjiang) et le terrorisme.

Le poids du nombre soulève des défis de différents ordres :

  • au niveau sanitaire alors que la mortalité infantile reste élevée ;
  • au niveau éducatif, avec globalement une sous-scolarisation ;
  • d'ordre alimentaire car si la " bataille alimentaire " semble gagnée avec la Révolution verte, 10% des Chinois sont sous-nourris, 19% de Indiens.

Enfin, de fortes tensions géopolitiques régionales perturbent les tentatives de coopération : l'agressivité de certains États (comme la Corée du Nord), la fragilité des démocraties, les conflits internes (ethniques, religieux, régionalistes, autonomistes), les conflits interétatiques (ressources, frontières, ZEE) perturbent la région.

A. Des similitudes mais de différences.

1. Une civilisation commune aux réalités géographiques contrastées.

Le rayonnement de la culture chinoise sur la région est historiquement très ancré, ce qui explique le relatif sentiment d'homogénéisation ethnique. Ainsi, le Japon lui a emprunté ses principes de civilisation. De forts flux culturels (langue, religion, écriture) animent la région.

Mais les territoires ne sont pas comparables : la Chine, espace compact de 9,6M km2 (4 ème rang mondial) s'oppose aux 348 000 km 2 du Japon éclaté en archipel.

La Chine est un producteur de matières 1 ères dont le blé, le riz, la viande de porc, l'or, le fer, le charbon alors que le Japon est très dépendant pour ses matières premières.

2. Des histoires économiques croisées.

Les trajectoires économiques de ces pays présentent des similitudes : longtemps repliés sur eux-mêmes et qui s'ouvrent (à des périodes différentes) sur le monde.

Le Japon est le pays d'Asie le plus anciennement développé lors de la révolution Meiji au XIXe s. Plus tard, la " haute croissance " (1955-1980) permet l'essor de grandes firmes industrielles (les keiretsus) et commerciales (les sogo-soshas).

La base industrielle est encore très compétitive car ce pays dépose le plus de brevets ( fortes dépenses en R&D =3,6% du PIB contre 2,7% aux EU) et s'est spécialisé dans les technologies de pointe. L'économie du Japon est devenue une économie de services aux FTN puissantes ( Toyota). C'est un pays qui exporte (4 ème exportateur mondial).

La Chine connaît un retour au niveau mondial après des siècles de puissance et un temps de faiblesse (XIXe et début XXe s.). Elle est la 1 ère puissance mondiale avant la RI.

Elle a bâti son essor industriel sur l'industrie lourde et l'exportation de produits bas de gamme. Toutefois, en 2010 la Chine devient la 2 ème économie mondiale, la 1 ère industrie mondiale (1 er producteur mondial d'acier, d'automobiles, en électronique...). A noter que l'agriculture y est encore la 1 ère source d'emplois

Depuis 3 décennies, elle se définit comme une économie socialiste de marché n'empêchant pas de profondes inégalités.

Les deux pays sont bien insérés dans l'espace économique mondial : 8 des 12 1 ers ports mondiaux sont chinois accentuant les contrastes entre littoral et intérieur. La mégalopole japonaise concentre 80% de la population sur 6% du territoire, avec une forte concentration industrielle.

B. Une rivalité de puissance en Asie.

1. Le poids des héritages et les nouvelles rivalités économiques.

Un lourd contexte diplomatique et géopolitique pèse encore entre les deux : la 1 ère guerre sino-japonaise de 1894-95 et l'invasion de la Chine en 1937 (avec les massacres de Nankin) ne sont pas oubliés. Cela rend les différends mémoriels très importants. La question de Taiwan pose aussi problème.

Ces deux pays sont concurrents pour le leadership économique dans la région comme la concurrence pour l'accès aux matières premières Toutefois, ces pays sont devenus interdépendants : le Japon exporte des biens intermédiaires et d'équipements en Chine tandis qu'il importe des produits chinois à faible valeur ajoutée.

2. Une géopolitique régionale en renouveau.

Japon et Chine se disputent aussi le leadership politique de la région, alors que par le Traité de paix et d'amitié (1978), ils s'engagent à " ne pas rechercher l'hégémonie dans la région Asie Pacifique ".

Globalement il existe un fort désaccord entre eux pour la souveraineté territoriale et maritime:

  • la possession de l'archipel Senkaku (nom japonais) / Diaoyou (chinois) près de Taiwan, administré par le Japon mais revendiqué par la Chine (depuis 1945) ;
  • désaccord sur l'appartenance au Japon du récif d'Okinotorishima (qui élargit la ZEE japonaise).

Ces tensions s'expliquent aussi par une méfiance réciproque à propos des capacités militaires. Les Japonais craignent une " menace chinoise ". En retour, la situation suscite la stimulation en Chine du sentiment antijaponais.

Toutefois, des signes de rapprochement émergent : accords sur des zones de pêche, sur une exploitation commune de gisements off-shore, l'approfondissement des relations dans le cadre de " l'ASEAN + 3.

Néanmoins, aucune collaboration en vue d'une coopération régionale ne semble possible aujourd'hui : pour la Chine l'orientation se ferait sur " l'ASEAN + 3 " et l'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) alors que pour le Japon, c'est plus par une ouverture à l'Australie, la Nouvelle Zélande et l'Inde.

C. Deux puissances mondiales.

1. Deux États insérés dans la mondialisation.

Chine et Japon pèsent sur l'économie mondiale : ils représentent 18% du PIB mondial et sont les banquiers des EU : ils possèdent 48% des bons du trésor en 2013.

Le Japon est réellement intégré à la mondialisation depuis les années 1980 et son insertion dans les économies régionales se fait dans les années 1990 à la faveur d'un " retour en Asie ". En 2010, Il perd sa place de 2 ème économie mais reste une puissance commerciale (4 ème en 2013, 5% des échanges mondiaux). Il incarne l'innovation : 45% du parc mondial de robots.

La Chine s'est insérée tardivement et progressivement dans la mondialisation par l'ouverture du littoral (création des ZES) dans les années 1980, avec la généralisation de cette ouverture en 1992 et l'adhésion à l'OMC en 2001. Sur la période 2000-2010, on assiste à l'essor de la production manufacturière et du commerce extérieur chinois, faisant de ce pays "l'atelier du monde ". En parallèle, on constate un essor récent et rapide des IDE chinois (> IDE du Japon), dans tous les types de pays.

2. Les manifestations de la puissance. Au niveau politique, géopolitique et diplomatique.

La Chine veut contrer la puissance militaire des États-Unis, ce qui explique le renforcement des moyens militaires (3° puissance militaire, 2 ème budget, puissance nucléaire) et la mise en place du " collier de perles " (création de bases militaires dans l'Océan indien et Pacifique).

La Chine, membre permanent du Conseil de Sécurité à l'ONU, impose parfois son veto mais participe aussi à des actions de " maintien de la paix ". Elle se présente comme un leader des BRICS. En même temps, les Chinois contrôlent les velléités démocratiques internes et les espoirs d'émancipation sur les marges (Tibet, Xinjiang).

Si les Chinois veulent égaler ou dépasser les EU, ils assurent la promotion d'un partenariat avec eux (le " G2 ") déjà effective dans l'APEC (Asian Pacific Economic Cooperation).

Le Japon, 9 ème puissance militaire mondiale (4 ème budget), est placé sous le " parapluie nucléaire " américain. Le Japon est en quête d'une plus grande influence politique car encore considéré comme un " nain politique ". Il demande un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité. Le pays multiplie les interventions des FAD (Force d'Autodéfense) qui participent à des actions de l'ONU. La marine japonaise joue un rôle à l'échelle régionale (surveillance des routes maritimes, lutte contre la piraterie).

Au niveau culturel

En Chine, l'essor de médias internationaux (CCTV, agence Xinhua) est une réalité. Ils relaient l'organisation d'événements mondiaux (JO, Exposition Universelle) et cherchent à corriger une image négative (revendications par rapport à Taiwan, question des droits de l'Homme, du Tibet). La multiplication des implantations de l'Institut Confucius stimule l'enseignement du chinois et la diffusion de la culture.

Le Japon favorise la diffusion d'un soft power. Il utilise l'attrait des Occidentaux et des Asiatiques pour la " J-pop ", la Japanese pop culture (mangas, jeux vidéos). Cela permet la diffusion du " cool Japan ", une stratégie de communication qui assure la promotion du pays à travers les produits culturels.

Au niveau économique

La Chine est l'atelier du monde mais désire devenir le " laboratoire du monde " (et ainsi détrôner le Japon). Le pays s'implique de plus en plus dans l'aide au développement (vers l'Afrique, l'Amérique latine, le reste de l'Asie).

Le Japon s'appuie sur le Yen, une monnaie forte. Il est le 2 ème détenteur des bons du trésor américain (après la Chine) et le 1 er créancier d'Asie du Sud et de l'Est. Il dispose donc d'une vraie suprématie financière.

Quel scénario pour l'avenir ? Aujourd'hui, aucun des deux pays n'obtient l'hégémonie dans la région: la Chine est le leader stratégique, le Japon, le leader économique. La discussion n'est pas toujours facile entre le Japon, puissance établie et la Chine, puissance ascendante, mais il leur faudra certainement élaborer un " co-leadership ".