Bernard Alain Brux : Déchirer la Toile ?

Publié le 02 juin 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

Homo Solubilis

Depuis que la maelström de l'information nous a emporté dans une fuite en avant effrénée,  doit-on redouter la Toile d'internet comme  piège arachnéen ou l'envisager comme le lieu d'une chaîne solidaire à laquelle nous contribuons chacun à notre manière ? L'artiste Bernard Alain Brux  propose à la collégiale Saint-Pierre le Puellier à Orléans une installation qui invite à nous interroger sur la condition  de l'homme  dans cet espace virtuel, matérialisé ici à l'aide de quatre mille personnages de papier journal suspendus mais suspendus à quoi? Le matériau de départ provient des quotidiens Le Figaro, Le Monde et La République du Centre qui ont fourni à l'artiste ce support déjà chargé de sens. Car les silhouettes découpées par Bernard Alain Brux naissent de ces informations tellement indénombrables qu'elles en deviennent illisibles. Trop d'info tue l'info et pourtant ce support papier n'est déjà plus que la trace fossile d'une information universelle désormais déversée au quotidien à travers ce nuage invisible que l'artiste révèle dans le volume de la collégiale. Cette domination irrésistible des données asservit chacun de nous à la manière de ces pantins de papier. Le Big Brother de Georges Orwel prendrait-il aujourd'hui l'aspect de ce Cloud  tentaculaire dont nous serions tous dépendants ?  Comme souvent l’œuvre d'un artiste pose davantage la question qu'elle n 'y répond, laissant à cette poésie visuelle sa part d’ambiguïté. Ce nuage de silhouettes autorise deux lectures me semble-t-il.

Noosphère

La plus sombre consisterait à traduire cette installation comme une scène infernale à la manière d'une punition divine où les êtres humains seraient autant de suppliciés exhibés à la foule des assujettis au diktat de l'information invisible et totalitaire. La plus heureuse voudrait y déceler l'élan collectif d'une société humaine tendant, comme l'envisageait Pierre Teilhard de Chardin, vers la noosphère, sphère de la pensée humaine convergeant  vers un point Oméga, l'émergence de la cognition humaine transformant fondamentalement la biosphère. Avec cette seconde lecture, l'installation de Bernard Alain Brux offrirait alors l'espoir d'une dynamique élancée vers cet objectif d’une humanité en voie de « planétisation» pour peu qu'elle soit en mesure d' éliminer les excès d'une mondialisation sauvage incontrôlée.
Lorsque Teilhard de Chardin décrivait cette « pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines », internet n'avais pas encore pris cette place décisive dans nos vies. Venu du design industriel, l'artiste Bernard Alain Brux  consacre désormais entièrement son activité à cet univers de l'information sous toutes ses formes.  Avec ses "Déchirures" , ces sculptures papier déchirées, pliées, entrelacées, l'artiste soumet la Toile de l'information à sa volonté. A la collégiale Saint-Pïerre le Puellier l’œuvre mise en place, traversée par la lumière tombant des voûtes, séduit par sa légèreté dans cette architecture Romane. Elle habite totalement l' espace de la nef centrale, accepte notre intrusion comme dans un pénétrable contemporain. Alors se pose presque physiquement une autre question : quelle place subsiste pour la dimension personnelle dans cette constellation troublante où  l'être humain se dissout dans le magma invisible du "Big Data" ?

Photos de l'auteur.

Homo Solubilis, installation de  Bernard Alain Brux 

Du 29 mai au 26 Juillet 2015
Collégiale Saint-Pïerre le Puellier
45000 Orléans