Critique d’Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin, vu le 16 mai 2015 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Léa Drucker, Pascale Arbillot, Pierre Cassignard, Michel Fau, Audrey Langle et Philippe Etesse, dans une mise en scène de Michel Fau
Cela fait un petit moment maintenant que je suis Michel Fau ; qu’il prenne l’habit de metteur en scène ou d’acteur, ou les deux à la fois, c’est toujours un plaisir de retrouver ses spectacles. J’avoue que j’avais un peu peur avant d’aller voir celui-ci, car je craignais qu’il ne reproduise l’erreur que beaucoup d’autres acteurs commettent : essayer de dépoussiérer un texte justement oublié. Mais l’oeuvre d’André Roussin qu’il nous propose s’est avérée un véritable petit bijou, et ce spectacle, une réussite.
Un amour qui ne finit pas est, en quelque sorte, un Dom Juan nouvelle génération. Un Dom Juan qui aurait compris et intégré le fait que seule la séduction compte, et qui ne chercherait même plus à aller au bout de ses avances. C’est le souhait de Jean lorsque, au début de la pièce, il accoste Juliette pour lui expliquer son projet : lui vouer un amour infini, lui écrire et penser à elle tous les jours, mais sans jamais désirer de retour. Habitué aux maîtresses et à la lassitude qu’elles engendrent, il espère trouver dans ce procédé un amour qui ne finisse pas. Juliette, mariée, ne semble voir dans cette situation aucun fait dérangeant et qui pourrait engendrer un quelconque problème chez l’un ou l’autre couple ; elle accepte donc. Mais c’était sans compter la bombe à retardement que ce simple désir représente dans chaque couple : lequel éclatera le premier ?
Il y a quelque chose d’essentiel à dire, je crois : merci Michel Fau. Merci de m’avoir fait découvrir ce texte intelligent et fin, très bien ficelé, aux allures de boulevard et aux contours dramatiques. Un texte qui donne à réfléchir tout en laissant une atmosphère légère et même drôle ; un texte qui parle d’amour avec perspicacité et délicatesse. Loin d’étaler les lieux communs d’un boulevard commun, Roussin travaille autour de son idée initiale avec profondeur et subtilité. Vraiment, cela fait longtemps que je n’avais pas été aussi emballée par un auteur que je ne connaissais pas.
Mais remercions également Michel Fau pour la qualité du spectacle qu’il nous livre : le retrouver en tant que metteur en scène est un réel plaisir. Il nous plonge littéralement dans les années 60 grâce à sa maîtrise du détail : du décor aux costumes, en passant par la musique et les accessoires, tout est d’époque et rien n’est laissé au hasard. Pour preuve son décor complémentaire de part et d’autre de la scène, mêlant ingénieusement noir et blanc et laissant apparaître au fil de la pièce des détails jusqu’alors invisibles pour nos yeux.
Enfin, remercions Michel Fau pour ses talents d’acteur et de directeur d’acteurs. L’équipe qu’il a réunie porte ce spectacle à son sommet en donnant vie à cette situation étonnante avec brio : Léa Drucker en tête : elle compose une femme patiente et habituée aux rêveries de son époux, dont les traits tirent parfois sur la folie ou la simple bizarrerie. Ses intonations aigües et sa coiffure bourgeoise ne peuvent que parfaire sa composition qui en ressort désopilante. Michel Fau, qui incarne son mari, transmet sa rêverie, son imagination, et son amour inconditionnel Juliette avec simplicité et vraisemblance. L’autre couple, peut-être plus modéré que le premier, est celui qui amène une légère tension dans la pièce ; les deux personnages se transforment totalement au cours du spectacle : Pascale Arbillot sombre dans une certaine forme de folie, celle de la passion, tandis que Pierre Cassignard dégage une fureur toujours croissante, agité de mouvements compulsifs et parfois complètement hors de lui-même.
Certaines pièces sont à voir pour leur mise en scène. D’autres pour leurs acteurs. Enfin, certains textes sont à découvrir. Lorsqu’un spectacle mêle ces trois éléments, on ne peut que s’incliner. Voici un spectacle que je reverrai avec plaisir. ♥ ♥ ♥