FIFA, les affranchis : Episode 1

Publié le 07 juin 2015 par Fabrice

Le sport le plus populaire au monde et son organisation internationale sont à l'image de la mondialisation actuelle. Un trou noir qui ne fait que dépouiller les populations les plus pauvres et régurgiter de l'argent sale au plus grand profit de parasites qui sous prétexte de présider au devenir du foot international, se sont progressivement organisés en syndicat du crime. Le processus crève les yeux depuis longtemps et comme dans toute logique mafieuse, il est organisé sur l'adhésion ancienne et totale de ceux qui à chaque échelon croquent une part du gâteau (sponsors, gouvernements, élus, banques, clubs pro, médias...). La présente chronique raconte le parcours des affiliés et affranchis les plus notables de cette firme du football international en pleine divagation.

José Maria Marin, nuit et brouillard sur São Paulo.

Comme aime à le répéter le journaliste écossais Andrew Jennings, La FIFA est " une organisation du crime ". Cela ne date pas d'hier mais depuis déjà quelques temps les affaires éclatent au grand jour et les têtes de ses chefs commencent à tomber. Mais les révélations sur les aspects les plus obscures de la multinationale du football et de ses ramifications les plus inavouables restent encore à venir. Des choses bien plus infâmes que le vol ou la corruption ressurgissent du passé.

C'est le cas dans le dossier de José Maria Marin, toujours Président de la très puissante Confédération Brésilienne de Football, appréhendé lors du récent coup de filet suisse.

25 0ctobre 1975, 921 de la Rua Tutóia, quartier Paradiso de São Paulo, aujourd'hui le commissariat de police n° 36, Vlado Herzog, intellectuel et journaliste à la chaine de TV Cultura est torturé puis " suicidados " dans sa cellule par la police politique de la dictature militaire qui règne sur le Brésil.

Le commissariat de police n°36

Mais quel rapport avec José Maria Marin ?

Ce grand gaillard issu d'une famille modeste s'il respire l'intelligence, n'est pas franchement taillé pour le foot de haut niveau. Dans sa jeunesse, il jouera deux ou trois matchs au poste d'attaquant dans l'équipe première du São Paulo FC. Sa faiblesse technique est toutefois rédhibitoire et son entraîneur l'incite à poursuivre des études. Le gars ne manque pas d'instinct et il va suivre ce conseil en menant à bien un cursus de droit.

Protégé de Paulo Maluf, un proche des généraux de la dictature et l'un des hommes politiques les plus corrompus du Brésil, l'éphémère attaquant aux faux airs de Ronald Reagan se lance en politique dans les années 60 et devient en 1971 député au congrès de l'état de São Paulo. Il est élu sous l'étiquette du parti ARENA qui sert de paravent à la dictature en place depuis 1964.

A cette époque, il se lie avec Sergio Fleury, commissaire de police et apprenti SS passé maître dans l'art de la souffrance et de la torture. Ce sadique à carte blanche de la junte pour superviser la politique de répression envers ceux qui sont soupçonnés de ne pas penser comme le régime, tout un programme. Le tortionnaire en chef de São Paulo a organisé un réseau de prisons discrètes aménagées dans des villas où ses sbires passent à la question sans être dérangés les prisonniers politiques. Les pires torturent peuvent durer pendant des jours avant que les suppliciés ne soient achevés.

Fleury, la gueule de l'emploi

En 1974, Vlado Herzog après trois années passées à la BBC et s'être formé à la production ­audiovisuelle, est revenu au pays en tant que rédacteur en chef de la chaîne publique TV Cultura, ­appartenant au gouvernement de l'Etat de São Paulo. Outre sa profession de reporter et producteur, Il est également diplômé en philosophie, documentariste et professeur de journalisme à l'université. Sans être un opposant déclaré -difficile à l'époque sauf à se voir immédiatement éliminé ou à prendre le maquis - Vlado adopte une indépendance vis-à-vis du pouvoir dans la programmation de TV Cultura. Il va jusqu'à diffuser un documentaire de la BBC consacré au Vietnam communiste et refuse de ponctuer ses programmes par de la propagande gouvernementale.

Cette attitude " d'infiltré communiste " déplait au pouvoir et n'échappe pas à Marin et ses amis du Congrès qui fin 75 déclenchent une campagne contre lui.

C'est d'abord le congressiste Wadih Helú, président du club des Corinthians qui s'y colle. A cette époque la célèbre équipe du grand Socrates, ne s'est pas encore débarrassée de ses dirigeants pour développer une expérience de militantisme autogestionnaire unique dans le foot qui sera baptisée la démocratie corinthiane et jouera un rôle important dans le retour de la démocratie au Brésil.

Helú qui à son temps perdu met des " villas " à disposition de Fleury moyennant quelques appuis et autres, va chauffer le public en accusant le journaliste d'utiliser sa position " pour faire du prosélytisme communiste et trahir son pays ". Marin à son tour ne se laisse pas prier pour surenchérir " Le problème n'est pas seulement ce qu'il diffuse sur cette chaîne, mais le désordre qu'il provoque "...et il porte l'estocade : " J'en appelle au gouverneur de l'Etat,...des mesures sont plus que jamais nécessaires, afin de restaurer la sérénité ". Le futur patron du football brésilien, vient de servir sur un plateau la tête d'Herzog à la junte et à son ami Fleury, l'exécuteur des basses œuvres.

On connaît la suite de l'histoire, Herzog est convoqué rua Tutóia, atrocement torturé à l'électricité par les bourreaux de Fleury. Malgré les décharges de plus en plus fortes, il refuse de signer des aveux et meurt pendant la séance. Afin de faire croire à un suicide, il est pendu dans une cellule et photographié ainsi.

La mise en scène de la police brésilienne

Le 7 octobre 1976, un an après, José Maria Marin prononce un nouveau discours devant le Congrès de São Paulo. Cette fois-ci, il défend son ami Sérgio Fleury qui est malmenée par l'opinion publique. Marin évoque ainsi le cas du gestapiste : " Nous qui le connaissons intimement savons que c'est un homme exemplaire dans sa vie familiale, mais surtout qu'il accomplit ses devoirs de policier de la manière la plus admirable qui soit". Lèche cul va !

Trois ans plus tard, la fin de la junte n'est plus qu'une question de temps et les généraux ont de plus en plus besoin de soigner leur image pour ne pas insulter l'avenir. Fleury est donc devenu gênant et sera victime d'un " malheureux accident " sur son yacht.

En 1985, le retour de la démocratie n'inquiète par Marin qui malgré les actions engagées par Clarice Herzog, est couvert par la loi d'amnistie de 1979 confirmée par le gouvernement démocratique. Elle attendra encore plusieurs décennies pour que la justice brésilienne reconnaisse les vraies causes de la mort de Vlado.

Elis Regina 1979, magnifique morceau qui évoque notamment l'assassinat d'Herzog

Entre temps le vieux renard des surfaces a succédé à Maluf comme gouverneur de l'état de São Paulo. Mais avec la démocratie, il est devenu plus difficile de se faire élire et il préfère commencer une nouvelle carrière dans les instances du football professionnel. C'est moins risqué et ça peut rapporter gros. Dans l'ombre du précédent Président de la confédération brésilienne, Ricardo Teixeira, il s'en met plein les poches. Il n'y a pas de petits profits pour Marin qui perdant toute retenue, ira même jusqu'à dérober une médaille destinée à un finaliste junior du championnat paulista. En 2013, Teixeira fini par payer des années de magouilles tous azimuts et accessoirement une faillite sportive du football brésilien. Probablement que les deux choses ne sont pas sans lien. Il est contraint de démissionner.

La jolie coupe du monde au Brésil. José arrête de faire la gueule, la vie est belle !

Qui le remplace ? Marin bien sûr " à titre provisoire " afin d'éviter de passer par un scrutin. Dans le foot, on ne change pas une équipe qui gagne...et blanchit l'argent sale.

Il y a quelques mois avant que Marin ne soit rattrapé par la justice américaine dans le cadre des affaires la FIFA, le fils de Vlado et le sénateur socialiste Romario, ancienne gloire du football brésilien (un vrai attaquant lui), avaient monté une pétition nationale afin d'exiger en vain la démission de Marin de ses fonctions à la CBF.

Mais la FIFA n'en était plus à cela prêt. La firme du football préfère les hommes d'expérience et en matière d'omerta, les ordures recyclées présentent quelques garanties.

Don Blatter et Don Marin,...la famille quoi !