Prélèvement à la source : contribuables et entreprises, otages du congrès du PS

Publié le 07 juin 2015 par Sylvainrakotoarison

Le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu a été mis sur l'autel de Poitiers pour donner satisfaction à tous les militants troublés par le supposé social-libéralisme du gouvernement de Manuel Valls. Les perdants, on les connaît par avance...

Il faudra vraiment rappeler aux gouvernants qu'on ne commence pas les grandes réformes quelques mois avant de s'en aller et laisser les bébés aux suivants... Réforme territoriale, réforme du collège, et maintenant, avec cette annonce de Manuel Valls ce samedi 6 juin 2015, prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source.
Quand j'avais entendu Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale, affirmer le 24 mai 2015 qu'il y aurait le prélèvement à la source, je me suis dit : soit j'ai mal compris les institutions de la Ve République et c'est le parti qui dirige l'État et pas le gouvernement, comme dans les heures épiques de l'Union Soviétique, soit l'impôt sur le revenu allait devenir un enjeu très politicien pour le congrès de Poitiers qui réunit toutes les factions du PS du 5 au 7 juin 2015.
En effet, comment réussir à convaincre les militants socialistes blasés dès la première année du quinquennat de François Hollande que ce congrès allait leur consacrer une victoire ? On leur avait déjà volé les motions ( Martine Aubry se mariant à Manuel Valls ne donnait plus beaucoup de chance à un débat réel au sein du PS), la reconduction automatique de Jean-Christophe Cambadélis à la tête du parti, pour corser le tout, on leur a même volé le seul qui, politiquement, aurait pu être leur leader, à savoir Arnaud Montebourg, mais ce dernier était retenu par un suppôt du grand capital (un CDI dans une boîte privée, c'était nouveau pour lui et c'était trop tentant)... Alors, sur quelle base pourraient-ils se dire qu'ils ont gagné ? Il ne faut jamais faire perdre la face à l'adversaire.
Ainsi, les différents courants pourront trouver dans la volonté (nouvelle) du gouvernement de faire le prélèvement à la source une "source" de satisfaction et pour ainsi dire, la victoire des gardiens du temple socialiste face au social-libéralisme de Manuel Valls. Tout cela n'est que posture, rien n'est vision réfléchie d'un avenir collectif, qu'importe, le but, être présidentiable en 2022.
Alors, cette concession ne coûtera pas cher à l'État, bien au contraire et semble même populaire depuis quelques années dans les sondages : le prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source laisse croire à une simplification du système.
C'est un véritable serpent de mer, déjà évoqué à la fin du dernier mandat du Président Jacques Chirac. Il permettrait la suppression de 1 500 fonctionnaires du Ministère des Finances, ce n'est pas anodin pour un État en crise budgétaire permanente. En novembre 2013, alors Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault n'avait même pas osé l'évoquer dans ce qui aurait dû être sa réforme fiscale (vite oubliée avec la vague Valls).
Il ne faut pas s'y tromper, le prélèvement à la source ne se fera pas à impôt constant. Seuls les doux rêveurs le croiront. Le but est naturellement de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG (la contribution sociale généralisée), déjà prélevée à la source. Une mesure qui faisait partie des promesses du candidat François Hollande. L'idée est simple : mécaniquement, ceux qui paieront plus, ce seront les classes moyennes, puisqu'il la CSG aura vocation à la progressivité.

L'économiste Élie Cohen expliquait le 27 mai 2015 : " Fusionner IP et CSG peut légitimement conduire à prévoir des abattements pour les petits revenus. Mais une telle décision se traduirait par une perte d'efficacité du nouvel impôt par rapport à la CSG, affecté à la protection sociale, bien accepté à base dynamique et non mitée, et l'autre, l'IRPP, contesté, d'un médiocre rendement et affecté à l'État, conduira fatalement à la pollution du bon impôt par le mauvais. " (article "La fusion IRPP-CSG : un vrai-faux débat", Telos).
Et sa conclusion était sans appel : " Par quelque bout qu'on prenne le problème, le débat lancé par les frondeurs et légitimé par Jean-Christophe Cambadélis est contreproductif. Il évacue le seul débat qui vaille, à savoir le niveau de dépenses publiques et socialisées dans un contexte marqué certes par des préférences collectives fortes des Français pour la redistribution, mais aussi par les contraintes de la concurrence fiscale. Il accrédite l'idée que, par une mesure technique, on peut réduire les impôts des plus faibles et faire ainsi de la redistribution indolore. Il installe durablement la crainte dans les classes moyennes de hausses d'impôts à venir. Il aggrave la défiance à l'égard du politique puisque la réalisation du seul prélèvement à la source ne répond absolument pas à la demande de redistribution et renvoie aux calendes grecques la fusion CSG-IRPP. " (27 mai 2015).
Encore une fois, la méthode de gouvernement est aberrante. On nous avait promis de la stabilité fiscale et sociale mais il n'en est rien : pour des raisons politiciennes, partisanes, clientélistes, le gouvernement socialiste continue à déséquilibrer systématiquement l'horizon des ménages mais aussi des entreprises. Comment, dans ces conditions, vouloir investir sur l'avenir avec de telles incertitudes fiscales ?
Car il ne faut pas se tromper : les deux victimes du prélèvement à la source, ce seront les ménages des classes moyennes et les entreprises. Eh oui, les entreprises, parce qu'en somme, la mesure équivaut à demander aux entreprises de tenir le rôle du percepteur, ce qui ne va pas dans le sens d'une augmentation de la compétitivité.
Les entreprises sont déjà tenues au rôle de percepteur pour de nombreuses taxes et contributions, comme la CSG, les cotisations sociales, et bien sûr la TVA, mais la grande différence est que le taux pour l'impôt sur le revenu n'est pas constant et dépend du salarié et pas du salaire.
Au-delà de la classe moyenne, ce sont donc tous les salariés qui seront perdants puisqu'ils devront faire connaître à leur employeur leur situation fiscale. Ce qui va à l'encontre de la normale protection de la vie privée des employés. En effet, les salariés devront fournir un taux d'imposition moyen, ce qui donnera des informations supplémentaires à l'employeur lors de négociations salariales.

Cette violation de la confidentialité de la vie privée pourrait être résolue par la suppression pure et simple du concept de foyer fiscal ou plutôt, en considérant que chaque individu serait un foyer fiscal à part entière. Évidemment, cette solution serait l'éclatement définitif de la cellule familiale et l'effondrement de la politique familiale de la France qui avait pourtant montré son efficacité confirmée à chaque étude démographique en France et chez ses voisins comparables. Saper la politique familiale, François Hollande a déjà largement entamé ce mouvement en remettant en cause le quotient familial et en voulant imposer les allocations familiales.
L'une des difficultés de mettre en place la mesure préconisée, c'est de savoir comment sera réglée l'année de transition : les contribuables paieront-ils doublement leurs impôts cette année-là, ou Bercy fera-t-il grâce de la dernière année sans prélèvement à la source avec un manque à gagner colossal pour le bugdet national ? La tentation d'une année blanche, juste avant l'élection présidentielle, pourrait être irrésistible.
Quant à l'argument sur la difficulté, parfois réelle, qu'ont certains contribuables lorsqu'ils subissent une baisse drastique de leurs revenus (un rapport en 2007 avait évalué à 5 millions le nombre de foyers fiscaux soumis à de fortes variations de revenus d'une année sur l'autre), la solution a déjà été massivement adoptée en France avec le prélèvement mensuel qui lui est un prélèvement directement sur le compte bancaire des contribuables.
Notons d'ailleurs que le prélèvement à la source n'empêchera pas une déclaration de revenu chaque année afin de rectifier la situation fiscale réelle.
Le grand gagnant, ce sera évidemment l'État qui aura une charge en moins, cela ne réduira sans doute pas les coûts administratifs (il ne faut pas rêver) mais cela va permettre des réaffectations d'agents, et pourquoi pas, augmenter ceux chargés du contrôle. D'ailleurs, le principe du prélèvement à la source n'est pas forcément un enjeu de clivage entre la gauche et la droite. Il y a encore quelques jours, l'ancien Ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel (Les Républicains) s'était déclaré favorable à la mesure qui a, de toute façon, été déjà préparée par les services de Bercy avant l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy.
Par ailleurs, le prélèvement à la source contribuera inéluctablement à une plus grande déresponsabilisation des citoyens sur leur apport à la collectivité. Pourtant, il aurait été intéressant qu'un réel débat s'ouvrît sur la manière de prélever les impôts. Après tout, les salaires étant déjà doublement contrôlés par l'État ne peuvent pas vraiment faire l'objet de fraudes. En revanche, il aurait été intéressant de faire des prélèvements à la source sur tous les revenus du patrimoine, qui, eux, ne sont pas forcément contrôlables par l'État mais jouissent d'un taux unique qui rendrait très simple un tel prélèvement.
Au lieu de cela, on considère une fois encore que les entreprises compenseront les carences de l'État. La collecte des impôts est pourtant, avec l'armée, la monnaie et la langue, l'une des missions régaliennes les plus importantes de l'État. C'est en quelques sortes la privatisation des perceptions !
Mais voilà, c'est maintenant le congrès du PS qui détermine la politique gouvernementale. Avant que les rats ne quittent le navire aux prochaines élections...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 juin 2015)
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Pour aller plus loin :
Retenue à la source ?
La réforme fiscale de Jean-Marc Ayrault.
François Hollande.
Manuel Valls.
Jean-Christophe Cambadélis.
Congrès chez la concurrence.
La France est-elle un pays libéral ?
Tout est possible en 2017.
Dans deux ans.
Changement de paradigme.
Mathématiques militantes.

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