G.

Publié le 09 juin 2015 par Pralinerie @Pralinerie
J'ai profité du mois anglais pour sortir de ma PAL quelques très vieux compagnons. Ce livre de John Berger a dû me suivre dans deux-trois déménagements sans que j'éprouve le besoin de l'ouvrir. Et pourtant ce roman que je n'osais pas commencer fut une bonne surprise.  G., c'est le héros. Né d'un père italien et d'une mère anglaise, il est élevé chez des cousins où, dès l'enfance, il éprouve une vive attirance pour tout ce qui porte jupon. Il aime aussi se trouver au coeur des insurrections, comme à Milan en 1898. Cette agitation politique, cette masse en lutte le séduit.  Ce roman qui est tout sauf linéaire et nous suivons G. dans quelques épisodes de sa vie. Tous donnent l'impression de se finir trop vite. Les scènes sont rapides, fugaces, sans début ni fin. Ainsi, l'on passe de la campagne anglaise à Milan, de Milan à la campagne anglaise, sans transition, passant d'une gouvernante à une tante, d'une femme de la noblesse à une paysanne. Car G., c'est un peu Don Giovanni. Mais un Don Giovanni qui aurait rejeté l'idée de posséder les femmes, qui voudrait simplement les voir s'épanouir et se libérer. Il ne les veut pas pour lui mais pour elles. Pour qu'elles se libèrent de leurs carcans. C'est par le sexe qu'il veut prouver à chaque femme son potentiel révolutionnaire. Pas de complaisance et de descriptions pornographiques, le sexe est ici un moyen d'action. C'est n'est pas un instrument de séduction et de possession mais de liberté ! En toile de fond, d'autres images de la liberté avec l'aviateur Chavez qui survole les Alpes, les manifestations populaires... Avec l'image de Garibaldi qui revient comme un écho à ce que fait G. Un roman que j'ai beaucoup aimé pour son écriture un peu fragmentée, son personnage insaisissable, ses dessins... Quelques citations pour vous mettre en appétit. "Ses privilèges sont plus importants pour lui que sa vie, non parce qu'il ne pourrait survivre sans sa maîtresse américaine, quatre domestiques à la maison, une fontaine dans son jardin, des chemises en soie faites à la main, ou les soirées de sa femme, mais parce que les valeurs et les jugements qui donnent son sens à la vie qu'il mène y sont implicitement contenus. Toutes les valeurs sont fondées sur sa conviction que ses privilèges sont mérités. Pourtant, le sens qu'il donne à sa vie ne le satisfait pas. Pourquoi faut-il que la liberté, se demande-t-il, soit toujours rétrospective, un avantage déjà acquis et contrôlé ? Pourquoi n'y a-t-il pas de liberté à conquérir maintenant ? Umberto nomme folie ce qui menace la structure sociale garantissant ses privilèges. I teppisti sont la personnification de la folie. Cependant, la folie représente aussi la liberté par rapport à la structure sociale qui l'encercle. Il finit par en conclure qu'une folie limitée lui accorde une liberté plus grande à l'intérieur de la structure".
"Ce monde subjonctif de la femme, ce règne de sa présence, était la garantie qu'aucune action entreprise en son sein ne posséderait jamais sa pleine intégrité ; dans chaque action il y avait une ambiguïté qui correspondait à l’ambiguïté dans la personne, divisée entre surveillant et surveillé. La prétendue duplicité de la femme était le résultat de la domination monolithique de l'homme".
"Pour la femme, l'état amoureux était un interrègne hallucinatoire entre deux propriétaires, le fiancé prenant la place du père, ou plus tard, peut-être, l'amant prenant celle du mari". 
"Marika fit son entrée cinq minutes après G. Elle marchait comme un animal. Il m'est difficile de décrire sa démarche parce qu'elle évoquait non pas celle d'un animal mais plusieurs. Elle ressemblait à un animal composite, une licorne, mais en même temps il n'y avait rien de mythique en elle. Ce n'était pas une apparition parmi les fleurs d'une tapisserie. Ses jambes étaient osseuses et très longues. Parfois, j'ai l'impression qu'elles partaient des épaules et que, comme les quatre jambes d'un cheval, elles avaient chacune trois articulations. En marchant, elle gardait la tête immobile. Son cou était large et musclé. Elle avait le port de tête d'un cerf ; au-dessus de sa chevelure rousse, il y avait des bois invisibles. Pourtant elle se déplaçait de façon gauche, se balançant d'un côté à l'autre, sa foulée ne paraissait jamais assez sûre pour sa taille et sa corpulence - en cela, elle ressemblait à un chameau". "La fin du monde, quand elle arrive, est plus douce qu'un murmure"