Pétrole : non, décidément, la pénurie n’est pas pour demain

Publié le 19 juin 2015 par H16

Comme la question énergétique revient assez régulièrement, je propose aujourd’hui de se pencher sur le cas délicat du pétrole au travers d’une interview auprès de trois experts du secteur pétrolier. Comme d’habitude avec l’équipe Thinkerview, l’entretien s’étale sur un peu plus d’une heure et permet à chaque intervenant d’exprimer clairement son opinion. Et comme je sais que vous ne disposez pas forcément d’une heure, je vous ai préparé une petite synthèse.

Dans cet entretien, Thinkerview a convié trois spécialistes des questions énergétiques, de transport et du secteur pétrolier à répondre à quelques questions. Il s’agit de Nicolas Meilhan, éconoclaste et expert dans le secteur des transports et de l’énergie, d’Olivier Appert, expert ayant travaillé pour l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) et l’IFP (Institut Français du Pétrole), et de Francis Perrin, ex-rédacteur en chef de Pétrole et Gaz Arabes et Arab Oil and Gas entre 1991 et 2000. L’ensemble de l’entretien, non coupé, est visible ci-dessous.

Dans la première moitié de l’entretien, les trois intervenants évoquent plusieurs questions relative aux perspectives du pétrole sur le court et moyen terme, ainsi que l’impact des énergies non conventionnelles (gaz et pétrole de schiste).

En effet, l’offre étant actuellement supérieure à la demande, les prix du baril ont beaucoup baissé. Selon Meilhan cependant, on assistera à une hausse inéluctable des coûts d’extraction dans les prochaines années, ce qui accompagnera une réduction de la demande à partir de 100$ le baril. Dans ce cadre, Appert rappelle que le pétrole répond de surcroît à des problématiques géopolitiques et fiscales, et donne quelques chiffres qui permettront de donner tout son poids à la seconde partie de l’entretien, sur le sujet des transports : le pétrole est consommé à 55% dans les transports, et cette part augmente sans cesse. En outre, 92% de l’énergie utilisée par le transport provient du pétrole. On comprend que cette énergie est, pour le moment, vitale dans l’économie mondiale parce qu’elle représente notre capacité à faire voyager les biens, les produits et les personnes plus que toute autre source. Enfin, citons la remarque de Perrin qui note avec justesse que les perspectives à court ou moyen termes sont difficiles à faire : on est confronté à l’absence d’historique tant sur le comportement de la production provenant des schistes que sur la baisse durable et forte du prix du pétrole.

Et justement, ces prix bas du baril et ces nouvelles sources de production, non conventionnelles, amènent à se pencher sur l’industrie du pétrole et du gaz de schiste : Meilhan explique le boom récent de la production américaine par la conjonction de plusieurs facteurs, à savoir les innovations technologiques, un prix du baril durablement au-dessus de 80$, et une politique monétaire américaine très accommodante. Appert souligne toutefois que les innovations évoquées (fracturation hydraulique et forage horizontal) ne sont pas récentes (années 50 pour la fracturation et 80 pour le forage horizontal) mais que ce sont les gains de productivité considérables, la diminution de la durée de forage par deux en cinq ans et le nombre de fracturation, multiplié par deux en quatre ans, qui ont permis non seulement à l’industrie pétrolière non conventionnelle d’émerger aussi vite, mais surtout, de rendre les puits rentables même lorsque les prix du baril se sont retournés.

Ainsi, on pensait jusqu’à récemment que la plupart des producteurs mourraient avec un prix du baril sous 90$, mais il n’en a rien été. De la même façon, on pensait que la fermeture des puits provoquerait une baisse sensible de la production de pétrole non conventionnel, mais là encore, ce n’est pas ce qu’on constate : même avec 50% d’appareils de forage disparus, la production est resté à peu près stable ces deux dernières années.

La question écologique, tant des gaz et pétrole de schiste que conventionnels, est évoquée en quelques minutes dans l’entretien : la pollution de sites d’exploitation est un problème souvent mis en exergue pour fustiger le comportement de certaines compagnies pétrolières. Le cas du Nigeria, pays pétrolier dont le pétrole est exploité mais le gaz, issu de cette exploitation, est brûlé aux torchères, provoquant pollution locale et effet sanitaires désastreux, est détaillé par Perrin qui note que la situation est surtout liée à l’absence de débouchés locaux ou régionaux pour ces gaz. Ce problème se retrouve du reste un peu partout où les gouvernements locaux ne font aucun effort pour assainir la situation, voire profitent, par la corruption, de la manne pétrolière. A contrario, aux États-Unis, des kilomètres de gazoducs résolvent élégamment le problème. Enfin, Appert note que des investissement lourds ont eu lieu depuis 20 ans pour installer des processus de liquéfaction du gaz produit ce qui réduit l’impact écologique (tant en Nigeria qu’en Angola).

Comme le pétrole représente l’énergie majeure des transports, la seconde moitié de l’entretien se concentre ensuite sur cet aspect.

Peu suspect d’être un supporter de la voiture électrique (cette dernière remplaçant simplement le besoin de trouver du pétrole par celui de trouver des métaux spécifiques comme le lithium, et les rendements des batteries étant franchement médiocre), Meilhan constate pour commencer que la consommation de pétrole dans les transports baisse depuis 2007, et qu’une piste sérieuse pour baisser la consommation des véhicule consiste à en diminuer le poids. Tant Appert que Perrin conviendront sans problème que de grandes marges d’améliorations existent encore sur les voitures pour obtenir toujours plus de chaque litre d’essence consommée. Pour rappel, si l’on dispose actuellement des voitures de 1,4 tonnes pour 4,6L de consommation aux 100 km, on tend maintenant vers des voitures de 800 kg et d’une consommation de moitié inférieure, à 2L/100. Entre ces baisses de consommations par un ralentissement économique, l’accès de plus en plus démocratisé de la voiture dans le monde entier, et les rendements bien meilleurs obtenus par les moteurs modernes, Appert en profite pour mentionner un élément qu’on voit assez rarement évoqué, à savoir celui du pic de la demande en pétrole (vers 41:55) :

« ce qui est en train de se dessiner aujourd’hui avec la conjonction du progrès technique et des politiques mises en œuvre, c’est un plafonnement de la consommation de pétrole »

Meilhan note en outre de façon fort intéressante que l’infrastructure routière est très sous-utilisée, en parlant spécifiquement des engins eux-mêmes. En effet, le taux d’occupation d’une voiture est actuellement de 1,2 personne par voiture (30%), et que le véhicule est à l’arrêt 95% du temps (ce qui revient à 5% de taux d’utilisation). Or, l’arrivée de moyens sociaux de mise en valeur de l’infrastructure comme Blablacar pour le covoiturage et Autopartage pour la mise à disposition du véhicule permet de faire passer le taux d’utilisation de 1.5% (30% x 5%) à 15%.

La question de la voiture autonome est logiquement abordée. Pour Appert, l’arrivée des technologies de l’information, véritable « game changer », va avoir un impact fort sur les transports : (48:52) si, auparavant, une voiture se construisait avant autour d’un moteur, de nos jours, elle se construit autour du smartphone. Les véhicules deviennent progressivement plus « intelligents », autonomes et connectés, au point que General Motors a créé une filiale dédiée aux véhicules connectés, non à Detroit mais en pleine Silicon Valley ; des possibilités de mise en réseau apparaissent à présent, même dans des pays sans infrastructure publique solide (il prend l’exemple d’Abidjan qui dispose maintenant de système d’autopartage et de covoiturage).

On ne s’empêchera tout de même pas un petit facepalm lorsque Meilhan, sur sa lancée (vers 51:20), expliquera que les voitures autonomes auront un taux d’occupation encore plus faible que les voitures traditionnelles (pour frôler le 0) : en pratique, comme je l’expliquais dans un précédent billet à ce sujet, c’est le contraire qui a le plus de chance de se produire. Economiquement, il est en effet de l’intérêt direct du possesseur de la voiture qu’elle voyage le plus souvent pleine, et la voiture pourra faire en sorte, à tout moment, d’optimiser ses déplacements pour soit avoir le moins de trajet à vide, soit se mettre à disposition d’un maximum de personnes intéressées par le trajet spécifique qu’elle fera, mimant en cela le phénomène déjà observé pour les avions ou les trains qui voyagent à vide aussi rarement que possible.

Néanmoins, à la suite de cette intéressante interview, la conclusion s’impose d’elle-même : l’offre de pétrole, conventionnel ou autre, ne se tarit pas, le prix du baril n’a donc pas de raison de flamber, au moins à court terme. En outre, avec la baisse de la consommation des moteurs par un facteur deux, l’augmentation potentielle du taux d’utilisation des véhicules d’un facteur dix, l’arrivée de la voiture si ce n’est autonome, au moins intelligente, et la demande qui atteint, petit-à-petit, un plafond, vraiment, non, la pénurie n’est pas pour demain.

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