Le début de la fin pour la Grèce ou pour l'Euro ?

Publié le 28 juin 2015 par Raphael57

Cette fois la zone euro est arrivée au bord du précipice : la Grèce vient de refuser l'ultimatum posé par l'Eurogroupe, qui consistait à lui fournir 15,3 milliards de liquidités en échange d’un engagement immédiat sur un certain nombre de mesures d'austérité, dont le seul effet eût été de plomber encore plus l'activité dans le pays si activité il reste. Le président de l’Eurogroupe a alors décidé de poursuivre la réunion en l’absence d’un représentant de l’État grec, ce qui revient à exclure manifestement la Grèce de cette instance informelle.

En désespoir de cause, le Premier ministre grec a décidé l'organisation d'un référendum, le 5 juillet prochain, sur le plan proposé par les créanciers :

Les conséquences de l'échec des négociations

En cas de défaut sur le remboursement des 1 600 millions d'euros dus au FMI avant le 30 juin, certes les agences de notation laissent entendre qu'elles ne le considéreront pas comme un défaut de paiement, mais aux yeux de tous l'événement sera vu à sa juste valeur. Et ce même si le FMI prendra plusieurs semaines avant de déclarer sa créance en défaut.

Dès lors, on assisterait à une accélération massive des sorties de capitaux et retraits de dépôt bancaires, mouvement déjà entamé depuis des mois. Ne perdons pas de vue que, depuis 2010, ce sont plus de 80 milliards d’euros qui ont quitté le pays ! Toute la question serait alors de savoir si la BCE continuera à fournir des liquidités aux banques grecques, au travers de la facilité d’urgence aux établissements de crédit, appelée ELA (Emergency Liquidity Assistance) dans le jargon.

Qu'appelle-t-on ELA ?

Un document de la BCE explique la procédure en détail, mais pour notre propos il suffit de savoir que c'est un moyen de fournir d'urgence des liquidités aux établissements de crédit d'un pays membre de la zone euro.

Plus précisément, conformément à l'article 14.4 du SEBC, "le dispositif ELA prévoit la fourniture par une banque centrale nationale de l’Eurosystème de monnaie de banque centrale et/ou de toute autre assistance pouvant entraîner une augmentation de la monnaie de banque centrale à une institution financière solvable, ou à un groupe d’institutions financières solvables, devant faire face à des problèmes de liquidité temporaires, sans que ces opérations n’entrent dans le cadre de la politique monétaire unique. La responsabilité de l’octroi de facilités d’urgence incombe à la/aux BCN concernée(s). Cela signifie que celle(s)-ci assume(nt) les coûts et les risques liés à la fourniture de liquidité d’urgence".

Ainsi, c'est la Banque centrale de Grèce qui fournit cette liquidité aux banques grecques, sous le contrôle très strict évidemment de la BCE. Le point important est que cette aide, temporaire - mais qui dure depuis des mois en Grèce et dont le plafond n'a cessé d'être augmenté à près de 90 milliards actuellement -, est conditionnée à la solvabilité des banques aidées.

Or, l'état des banques grecques n'est pas brillant avec la quantité de créances douteuses et litigieuses dans leur bilan. De plus, elles ont acheté beaucoup de titres d'État, qui peuvent devenir bien plus qu'une épée de Damoclès si l'État grec fait officiellement défaut sur une partie de sa dette publique. Car rappelons que ces titres, achetés par les banques nationales, sont le seul moyen autonome de financement de l'État grec, puisque le pays n'a plus accès aux marchés financiers.

Mais sans liquidités en euros, le Grexit (sortie de la Grèce de l'Euro) deviendrait par conséquent réalité, même si les Grecs ne souhaitaient pas quitter la zone euro. Ce qui n'était pas prévu de jure, car les traités ne prévoient pas la sortie d'un État de la zone euro, le deviendrait donc de facto ! En effet, pour faire fonctionner son économie, si elle est privée de la monnaie unique, la Banque centrale de Grèce devra impérativement lui trouver un substitut au plus vite...

Le contrôle des capitaux indispensable

L'annonce d'un référendum pour le 5 juillet, le défaut annoncé du 30 juin et le possible arrêt (ou durcissement, plus probablement) de la fourniture de liquidités par le moyen de l'ELA, vont certainement nécessiter la mise en place d'un contrôle des capitaux, afin de juguler les sorties de capitaux du pays et les retraits bancaires trop massifs.

En effet, si tous les clients se mettent à retirer au plus vite leurs dépôts de peur que leur banque ne fasse faillite, alors la banque court le risque d'être à court de liquidités (car elle ne possède pas assez de billets pour rembourser tout le monde) et devenir effectivement insolvable, même si elle ne l'était pas au début. C'est précisément ce que l'on appelle une prophétie auto-réalisatrice.

L'exemple de Chypre en mars 2013, où les banques ont fermé pendant 12 jours, est bien entendu dans toutes les têtes. Certains pensent d'ailleurs qu'un tel contrôle des capitaux pourrait être annoncé dès ce lundi, en raison de la panique qui pourrait se déclencher après ce week-end où même la BCE a réuni son conseil des gouverneurs un dimanche !

Le plus triste est que cette mesure toucherait en priorité la vie des petites gens et des petites entreprises nationales, et qu'elle durerait certainement assez longtemps eu égard au climat économique tendu. A Chypres, ce fut 2 ans !

Les grandes fortunes et les grands groupes ne seront, quant à eux, que peu pénalisés par ces restrictions, puisqu'ils ont déjà déplacé leurs capitaux dans d'autres pays, en particulier en Allemagne... ce qui ne manque pas d'ironie, lorsqu'on connaît les mauvaises relations qu'entretiennent le gouvernement grec et le gouvernement allemand. Mais comme le rappelait l'empereur Vespasien, Pecunia non olet !

Le référendum

Alexis Tsipras est probablement allé, en tout état de cause, au bout de ce qu’il pouvait faire pour son pays. Sa lutte contre l'austérité, qui aura duré 5 mois, a mis au grand jour le dogmatisme de l'Eurogroupe et le peu de cas que les institutions européennes font de la démocratie.

D'une certaine façon, les dirigeants politiques ont cherché à créer une Union européenne sans les peuples, comme si ces derniers étaient réputés consentir à toutes les décisions et réformes. Cette crise est aussi le fruit d'une expansion trop rapide et trop vaste de l'UE, qui plutôt que de consolider l'existant a voulu créer très vite une zone politique, économique et monétaire de premier plan. Un vrai gâchis donc pour le projet humainiste !

Le Premier ministre grec n'avait alors d'autre choix que de redonner la parole au peuple, qui devra se prononcer sur son avenir dans la zone euro, au vu des conditions exigées par les créanciers. Bien entendu, qu'on le veuille ou non, ce référendum sera celui du maintien ou non dans l'Euro et montre bien que, in fine, les questions économiques sont toujours des questions politiques. Quant aux commentaires, certains n'ont pas ménagé leurs mots pour conspuer ce référendum !

En définitive, ceux qui affirment découvrir que nous sommes désormais au bord du précipice sont, sinon des ignorants qui ont vécu 5 ans dans un grotte platonicienne, plus certainement des menteurs qui s'accomodaient de cette situation favorable à leurs intérêts égoïstes. Cela fait d'ailleurs 4 ans que je répète à l'envi que, si les créanciers n'annulent pas une partie substantielle de la dette publique grecque et ne l'aide pas à créer une base productive, alors la catastrophe sera au bout du chemin.

Nous disposons pourtant d'un travail important mené par la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque. Celle-ci vient de rendre son rapport préliminaire, et sa conclusion est limpide : la dette grecque est en grande partie illégale, illégitime et odieuse !

Récemment, une auditrice de l'une de mes conférences m'avait trouvé trop pessimiste quand j'exposais la question grecque. Le résultat est pourtant là et ma conclusion reste la même que dans mon précédent billet : qui peut croire qu'un peuple, qui a connu la dictature politique, puisse accepter encore longtemps la tyrannie économique, qui débouche sur le chaos social ?

Hélas, dans le cas présent, et contrairement à ce que laissent entendre les politiques comme Manuel Valls ou Angela Merkel, une sortie de la Grèce de la zone euro serait un échec cuisant pour la construction européenne et un saut dans le vide !

Dans ce cas, le mécanisme de sortie ordonnée de la zone euro, que j'avais présenté dans plusieurs conférences et évoqué brièvement dans cette vidéo, ne sera plus qu'une chimère. La place sera lors toute chaude pour les partis politiques extrémistes...

Une fois n'est pas coutume, terminons ce billet avec un peu de musique :

N.B : l'image de ce billet provient d'un article d'ATTAC.