Etat-Unis: Cahokia était une cité étonnament diversifiée

Publié le 03 juillet 2015 par Jann @archeologie31
Qu'il soient morts de causes naturelles ou pour des offrandes sacrificielles, les habitants de la plus grande ville préhistorique d'Amérique, Cahokia, étaient très diversifiés.
Il y avait au moins un tiers de la population qui venait de communautés situées à des centaines de kilomètres, selon une nouvelle étude des anciennes tombes de la ville.
L'analyse des restes des fosses communes, comme le Monticule 72, a révélé à peu près le même rapport de Cahokiens et d'immigrants (Photo: St. Louis Community College)
Surnommée par les archéologues, Cahokia, la cité se situait près de la ville actuelle de St Louis, dans la bande de plaine inondable du fleuve Mississippi appelée "American Bottom".
A son apogée, il y a 900 ans, c'était la métropole d'une civilisation tentaculaire, dont l'influence sociale, économique et religieuse allait de la région des Grands Lac au Golfe du Mexique.
Au milieu du 12ème siècle, les archéologues estiment que Cahokia et ses villages périphériques abritaient pas moins de 50000 personnes, vivant dans des habitats faits de chaume et de poteaux et regroupés autour de places. Des monticules de terre, sur lesquels étaient construits des bâtiments cérémoniels, parsemaient le paysage.
La dynamique culturelle d'une société aussi grande et complexe pose de nombreuses questions aux archéologues, comme les relations qu'il pouvait y avoir entre le noyau urbain de Cahokia et ses communautés éloignées.
Et puis il y a les fosses communes de la ville: des dizaines de tombes ont été découvertes dans et autour de Cahokia. Certaines contenaient des corps soigneusement disposés en lignes, d'autres ne recelaient que quelques riches ornements.
Au moins une inhumation a été trouvée avec les restes de plus de 5 personnes, la plupart étant des jeunes femmes, victimes semble-t-il d'un sacrifice rituel.
Pour mieux comprendre cette culture, Philip Slater, doctorant à l'Université de l'Illinois, et ses collègues ont entrepris d'étudier les morts de Cahokia sous l'angle de la chimie, dans l'idée de déterminer d'où ils provenaient: "Notre premier objectif de recherche était d'examiner la répartition des habitants de Cahokia provenant des régions extérieures à l' "American Bottom" " explique Slater, "les chercheurs ont longuement débattu sur l'origine de l'importante population estimée de Cahokia, certains plaidant pour une fusion des communautés locales déjà présentes, et d'autres pour un afflux de nouvelles personnes provenant de régions éloignées comme la Côte du Golfe ou la régions des Grands Lacs."
"Alors que certains spécialistes estiment que Cahokia n'a pu avoir une population aussi massive qu'avec un afflux constant d'immigrants, ajoute Slater, des preuves empiriques directes pour supporter cette théorie n'avaient pas été trouvées jusqu'à présent".
C'est dans les dents humaines, provenant de différentes tombes de Cahokia, que l'équipe de Slater a trouvé les preuves. Les dents provenaient aussi bien d'individus morts de cause naturelle que des fosses communes inhabituelles du monticule 72.
A travers l'analyse, les chercheurs ont pu découvrir où les gens enterrés dans la cité étaient nés, où ils avaient grandi et où ils avaient passé leur vie adulte.
Pour ce faire, l'équipe de Slater a utilisé la méthode d'analyse des isotopes du strontium. Le strontium est un élément que l'on retrouve aussi bien dans le sol que dans les plantes et les tissus animaux, avec différentes variations, ou isotopes, dont les ratios sont uniques à chaque région.
Lorsque les hommes mangent des plantes, ou que des animaux mangent des plantes, la signature du niveau de strontium de la région est stockée dans leurs dents et leurs os. De plus, les dents se formant avec l'âge, les scientifiques peuvent les utiliser pour cartographier efficacement les allées et venues d'une personne tout au long de sa vie.
Les dents qui se forment pendant l'enfance, par exemple, comme les premières molaires permanentes, révèleront le lieu de naissance d'une personne, alors que celles qui se forment au début de l'adolescence, comme les troisièmes molaires, porteront les traces chimiques de leur habitat pendant leur adolescence.
A l'aide de cette technique, l'équipe de Slater a analysé 133 dents de 87 personnes, trouvées dans 13 contextes funéraires différents sur le site. Les résultats ont montré que 38 dents, soit 29% environ, avaient des ratios de strontium provenant de l'extérieur du rayonnement local; ces personnes étaient donc nées et avant grandies ailleurs avant de migrer vers Cahokia une fois adultes.
"Le plus significatifs, dans nos découvertes, est le fait que la population de Cahokia provienne de différents endroits, aussi bien de la plaine du Mississippi que de plus loin" rapporte Slater. De plus, cette diversité se retrouvait aussi dans les fosses communes de la ville, avec des variations cependant.
Parmi les échantillons de la fosse commune du Monticule 72, par exemple, environ 21%, soit 7 sur 33 individus analysés se sont révélés être des immigrants, un peu moins que dans le reste de la population analysée.
Les résultats ont été plus surprenant sur la fosse commune la plus connue, avec plus de 50 victimes apparemment sacrifiées. Seulement 2 des 17 échantillons proviennent de Cahokiens de souche. D'après Slater, "les interprétations initiales de cette fosse suggéraient que ces individus représentaient un tribu de localités voisines. Étaient-ils venus ou "offert" volontairement ? dans quels buts ces gens étaient sacrifiés ? ce sont des questions qui se posent au fur et à mesure que nous avançons dans ce projet de recherche."
Vue d'artiste du centre de Cahokia aux alentours de 1150  (Cahokia Mounds Museum Society/Art Grossman)
La signification de la découverte d'une majorité de Cahokiens dans les fosses communes de la ville était "une question que nous nous sommes toujours posés. Le fait que des individus locaux et non locaux, hommes et femmes dans les mêmes proportions, se retrouvent dans plusieurs contextes signifie qu'ils faisaient partie intégrante de la communauté" ajoute Slater, "en se basant sur les différents contextes funéraires que nous avons échantillonnés, il ne semble pas que des individus non locaux aient été traités comme des étrangers lorsqu'ils sont morts"
Un autre résultat surprenant dans l'étude du monticule funéraire, vient d'une femme trouvée sous un homme dont les restes étaient ornés d'une somptueuse couverture fabriquée à partir de perles de coquillage. Dans ce cas, les plus anciennes dents de la femme, celles qui se sont formées au cours de son enfance, avaient des niveaux de strontium correspondant à l'environnement de Cahokia. Mais ses dents adultes montrent qu'elle a passé ses dernières années ailleurs, avant d'être enterrée sur sa terre native.
"Peut-être que cette personne est née à Cahokia mais elle a été emmenée ailleurs avant de revenir à la fin de son adolescence ou au cours de sa vie adulte" suppose Slater, "cela confirme des liens entre des communautés éloignées, peut-être à travers le mariage".
Cependant, Slater et son équipe soulignent que l'objectif de l'étude n'était pas de spéculer sur la démographie des fosses communes de Cahokia, même si elles contenaient des victimes sacrificielles ou des élites locales. Au contraire, c'était pour mieux comprendre les dynamiques de la population de l'une des cités les plus curieuses de l'Amérique du Nord.
Cahokia était composée d'un mélange homogène de personnes différentes qui se sont côtoyées. Cela a dû entrainer la gestion de différents systèmes culturels, sociaux, politique et familiaux; et cela a dû contribuer à l'énorme diversité sociale et matérielle du site dans son ensemble.
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