Le puits sans fonds de l’État grec

Publié le 03 juillet 2015 par Sylvainrakotoarison

Après la confirmation du référendum en Grèce, l'agence de notation financière Moody's a abaissé son évaluation de la dette grecque à "CAA3", soit juste avant le "défaut de paiement imminent".

À la tête du gouvernement d'un des berceaux de la civilisation européenne, il y a depuis le 26 janvier 2015, une bande d'amateurs, qui ont prospéré électoralement qu'à coups de slogans. Ils ne sont pas responsables de l'état catastrophique des finances publiques de leur pays, mais ils sont responsables du présent et aussi du futur. Une coalition d'extrême gauche et d'extrême droite.
Un ministre grec était même fier de son amateurisme en affirmant que dans les négociations, comme il ne savait même pas ce qu'il allait penser lui-même, il était forcément imprévisible, et que lorsque une partie est imprévisible, c'est très dur pour l'autre partie de contrôler les négociations. Soit. Donc, personne ne contrôle plus rien.
Mais déjà, rien que de parler d'autre partie, de partie adverse, donne une drôle de leçon d'union. L'enjeu, ce n'est pas une nation face aux dix-huit autres nations de la zone euro, sinon, il n'y a plus de solidarité européenne. L'union, c'est justement de venir en aide aux plus faibles, mais il y a forcément une contrepartie, celle d'accepter les règles communes.
Rappelons les faits : la Grèce a actuellement une dette publique de 322 milliards d'euros. Rapportée au produit intérieur brut, cela correspond à 173% ! La France, elle, a dépassé les 90%.
La Grèce est censée rembourser 20 milliards d'euros de sa dette en 2015, avec deux échéances proches ou déjà passées, l'une au FMI le 30 juillet 2015 et l'autre à l'Union Européenne le 20 juillet 2015.
Contrairement à ce qu'affirment actuellement les ministres français (en particulier Michel Sapin), la situation grecque a une triple incidence sur la situation française. La France est créancière de la Grèce à hauteur de 42,4 milliards d'euros. C'est déjà beaucoup, 650 euros par Français, bébés compris. Il y aura une perte sèche de cette somme en cas de défaut de paiement. L'équivalent d'une année de déficit public. C'est l'incidence directe. Mais la France participe aussi au mécanisme de solidarité financière et pourrait mettre bien plus sur la table (la France, donc les contribuables français). Enfin, troisième incidence, si la zone euro implosait, les économies françaises et allemandes en seraient durement affectées. Pas de chance alors qu'une timide reprise économique semble survenir.
En tout, les pays européens détiennent trois cinquièmes de la dette grecque. Outre la France, l'Allemagne en détient 56,5 milliards d'euros, l'Italie 37,3 milliards d'euros et l'Espagne 24,8 milliards d'euros.
Qui sont concrètement les créanciers ? La dette grecque est répartie ainsi : 44% sont détenus par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) créé exprès pour cela, 16,5% proviennent de prêts bilatéraux de pays de la zone euro, le Fonds monétaire international dirigé par Christine Lagarde en a 10%, les banques 9%, la Banque centrale européenne 8,5% et le reste 12%.
Comme on le voit, les banques sont très minoritaires parmi les créanciers alors que l'Union Européenne a la part prédominante, d'où la très grande importance du rôle que joue la Commission Européenne dans cette affaire. On voit aussi que le FMI joue un rôle qui est plus important qu'il ne devrait l'être, et ses décisions semblent motivées par certains pays qui souhaitent qu'il n'y a pas une plus grande indulgence pour un pays européen (la Grèce) que pour d'autres pays (comme l'Argentine).
Depuis deux semaines, le moment de vérité arrive. Le Premier Ministre grec Alexis Tsipras (40 ans) n'a d'autre choix que de se renier devant ses électeurs pour négocier au mieux le sauvetage de son pays ou rester intangible en fonçant droit dans le mur. Voire en accélérant.
Aucun des deux scénarios n'est réellement satisfaisant pour personne.
Le premier donnerait à Alexis Tsipras une image de "vendu" et d'autres populistes pourraient prendre sa relève. Pour l'instant, la force populiste qui pointe après lui, c'est Aube dorée. Joli nom pour désigner de "vrais" néo-nazis. Le second scénario, c'est le naufrage par des propos démagogiques jusqu'au bout de leur logique. La France doit être attentive à ce qu'il se passe car en France aussi, des partis proposent les mêmes solutions démagogiques. L'expérience d'Alexis Tsipras aura donc une incidence directe sur la campagne de l'élection présidentielle de 2017.
Jusqu'à il y a dix jours, tout le monde pensait qu'Alexis Tsipras avait choisi le premier scénario. En clair, la sagesse avec la dignité dans la poche, en attendant des jours meilleurs.
Et puis, changement de pied. Ou plutôt danse d'un côté et de l'autre depuis le week-end du 28 juin 2015 avec la déflagration nucléaire : l'annonce d'un référendum.
Alexis Tsipras organise un référendum pour le dimanche suivant, le 5 juillet 2015. Ce n'est pas sérieux ! On voit tout de suite à quel point le résultat (quel qu'il soit) ne sera pas la conséquence d'une campagne éclairée, honnête, réfléchie, qui aura permis de faire peser le pour et le contre en conscience. Une semaine seulement de campagne ! Décidément, l'amateurisme est flamboyant. Et encore : le 30 juin, Alexis Tsipras a proposé de renoncer au référendum et le 1 er juillet, il a déclaré qu'il le maintenait. En prônant le non.

Il y a un part de surréalisme avec ce genre de décisions incohérentes. Mettre l'enjeu entre la liberté du peuple grec et la technocratie de Bruxelles est une ficelle tellement grosse que j'espère que les Grecs ne se laisseront pas avoir, car c'est aussi oublier que les dix-huit autres pays de la zone euros sont dirigés, eux aussi, par des gouvernements démocratiquement élus et donc issus de leur peuple respectif.
D'autant plus que ces pays aident à 60% la Grèce, ce qui fait que dans certains pays, certains commencent à refuser de donner et encore donner aux Grecs sans que leurs problèmes structurels ne soient résolus (sans réforme, la crise grecque se poursuivra à chaque nouvelle échéance de paiement, ce sera un puits sans ...fonds avec un s). En Allemagne depuis quelques années se développe ainsi un sentiment antigrec qui n'est pas non plus très favorable à l'esprit de solidarité qui devrait régner dans la zone euro.
Le pire, c'est qu'il semblait y avoir un accord dans les négociations mais Alexis Tsipras a voulu jouer au poker. En quoi aurait-il plus de marge de manœuvre en cas de contestation par le peuple grec ? En quoi cela résoudrait les problèmes financiers ? Et pourquoi les pays européens devraient-ils continuer à soutenir sans arrêt les finances publiques grecques ? Faudrait-il aussi faire un référendum dans les dix-huit autres pays de la zone euro pour savoir si leur peuple accepte d'aider financièrement le peuple grec ? Ne serait-il pas dans ce sens-là qu'il faudrait plutôt poser le problème politiquement ?
Ne pas payer le FMI à l'heure dite paraît avoir été un signe de souveraineté de la nation grecque. Mais pourra-t-elle l'assumer jusqu'au bout ? François Meunier, économiste, estime que la Grèce n'avait pas beaucoup de raisons d'intégrer la zone euro : " C'est la logique profonde du projet de monnaie unique. Tant qu'à perdre l'autonomie monétaire, autant que ce soit auprès d'une BCE collégiale qu'auprès de la Bundesbank. Mais ceci ne vaut pas pour la Grèce, qui n'a aucune industrie exportatrice et qui n'est industriellement intégrée à l'Europe qu'au moment du flux estival des touristes. " (Telos, le 2 juillet 2015).
Le Ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, qui commence à agacer même ses propres collègues du gouvernement grec, n'est pas, lui, à quelques incohérences près. Appelant à voter non, il a pourtant affirmé : " La Grèce est et va rester dans l'euro. ". Toutefois, un "non" au référendum laisserait clairement entendre une sortie de la Grèce de la zone euro.
Personne, à l'extérieur de la Grèce, ne souhaite le clash pour la bonne raison que toutes les économies sont liées les unes aux autres. Personne ne souhaite non plus l'asphyxie totale de la Grèce et son seul salut réside évidemment dans un redémarrage de son économie. Mais pour cela, il faut aussi éliminer les freins à cette croissance. Réduire la dette en fait partie. Et cette réduction ne peut se faire qu'en restructurant en profondeur les finances du pays. Ce n'est certes pas facile, et il n'existe aucune solution simpliste. Par exemple, c'est faux de croire que l'État grec peut réduire drastiquement ses dépenses militaires : 73% de son budget défense correspond d'abord aux pensions des militaires, donc ne peuvent être supprimées.
Alexis Tsipras refait le coup du plan B pour le TCE : dire qu'il y aura meilleure renégociation avec un non au référendum n'est pas très responsable. C'était également la promesse démagogique de François Hollande avant son élection pour renégocier le TSCG. On a vu ce que cela a donné.
La réponse de ses partenaires européens n'était pas imprévisible. Le 1 er juillet 2015, la Chancelière allemande Angela Merkel a affirmé à Berlin ne pas vouloir " un compromis à tout prix ". Quant au Président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, il a confirmé le report des négociations après le référendum : " Nous ne voyons pas de base pour poursuivre les discussions à ce stade. ".
C'est sans doute cette incohérence qui sera levée la semaine prochaine, peut-être au prix le plus fort, pour les Grecs mais aussi pour l'Europe et même l'économie mondiale en général.
Si consulter un peuple ne paraît pas a priori infondé, l'idée de ce référendum-là précisément est particulièrement irresponsable, pour au moins deux raisons : d'une part, le sujet est très complexe et très technique, et il est faux et simpliste de ne réduire le problème qu'à une solution binaire (oui ou non), d'autant plus que la solution doit se trouver dans le cadre d'un accord avec les pays "donateurs", simpliste et manichéen surtout avec une campagne aussi courte ; d'autre part, le référendum ne résoudra rien, quelle que soit la réponse des électeurs, ce n'est pas lui qui apportera une solution tant sur la dette grecque, le défaut de paiement de l'État grec, que sur les mesures visant à redonner de l'oxygène aux finances publiques (à commencer par une meilleure efficacité fiscale, une mise en place d'un cadastre, etc., qui sont des mesures purement techniques qui n'ont rien d'idéologiques).
D'ailleurs, trois économistes grecs de sensibilité de gauche ont écrit à Alexis Tsipras le 30 juin 2015 pour lui demander de renoncer à ce référendum et de reprendre les négociations. Kostas Vergopoulos a déclaré notamment : " Si le oui gagne, Tsipras sera forcé de démissionner et même si le non gagne, il fait quoi ? " (cité par "Libération").
Et si tout le monde considère que la Grèce ne sera pas capable, in fine, dans tous les cas, de rembourser dans sa totalité sa dette, eh bien qu'on le dise officiellement et qu'on propose un plan pour restructurer une partie de celle-ci qui saura finalement mettre d'accord tant le gouvernement grec actuel que les créanciers de la Grèce qui ont un besoin de vérité et de clarté.
L'expérience politique actuelle de la Grèce montre à quel point un gouvernement formé par une alliance pas si étonnante que cela de l'extrême gauche et de l'extrême droite, arrivé au pouvoir par des slogans démagogiques, sans préparation, avec un amateurisme et une incompétence particulièrement remarquées, ne pourra jamais être une solution en Europe, pas plus en Grèce ...qu'en France. Et c'est très regrettable de devoir en faire la démonstration par contraposition.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (2 juillet 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Alexis Tsipras.
Antonis Samaras.
Mauvaise Grèce ?
La construction européenne.
L'Europe de Victor Hugo.
Tournant historique pour l'euro.
Le TSCG.
Il y a dix ans, le référendum sur le TCE.
Le Traité de Maastricht.
Angela Merkel.
La débarrosoïsation de l'Europe.
Les priorités de Jean-Claude Juncker.
La parlementarisation des institutions européennes.

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150701-tsipras.html