ALBERTINE DISPARUE (Extrait) de Marcel PROUST

Par Elisabeth Leroy

Ma mère m'avait emmené passer quelques semaines à Venise et - comme il peut y avoir de la beauté, aussi bien que dans les choses les plus humbles, dans les plus précieuses - j'y goûtais des impressions analogues à celles que j'avais si souvent ressenties à Combray, mais transposées selon un mode entièrement différent et plus riche. Quand à 10 heures du matin on venait ouvrir mes volets, je voyais flamboyer, au lieu du marbre noir que devenaient en resplendissant les ardoises de Saint-Hilaire, l'Ange d'or du campanile de Saint-Marc. Rutilant d'un soleil qui le rendait presque impossible à fixer, il me faisait avec ses bras grands ouverts, pour quand je serais une demi-heure plus tard sur la Piazzetta, une promenade de joie plus certaine que celle qu'il put être jadis chargé d'annoncer aux hommes de bonne volonté...

Ma mère m'avait emmené passer quelques semaines à Venise et - comme il peut y avoir de la beauté, aussi bien que dans les choses les plus humbles, dans les plus précieuses - j'y goûtais des impressions analogues à celles que j'avais si souvent ressenties à Combray, mais transposées selon un mode entièrement différent et plus riche. Quand à 10 heures du matin on venait ouvrir mes volets, je voyais flamboyer, au lieu du marbre noir que devenaient en resplendissant les ardoises de Saint-Hilaire, l'Ange d'or du campanile de Saint-Marc. Rutilant d'un soleil qui le rendait presque impossible à fixer, il me faisait avec ses bras grands ouverts, pour quand je serais une demi-heure plus tard sur la Piazzetta, une promenade de joie plus certaine que celle qu'il put être jadis chargé d'annoncer aux hommes de bonne volonté...