La mer, ce trésor français

Publié le 18 juillet 2015 par Blanchemanche
#mer #économiebleue

Santé, agroalimentaire, énergie... A la tête du deuxième domaine maritime de la planète, notre pays dispose d'un potentiel immense pour développer son "économie bleue". Exploration des ressources d'un géant de la mer qui s'ignore.

L'île Tromelin. Ce mini-bout de terre française au large de Madagascar est entouré d'eaux riches en poissons.©AFP PHOTO/RICHARD BOUET
"La mer pour les Français, c'est ce qu'ils ont dans le dos lorsqu'ils regardent la plage ", plaisantait le navigateur Eric Tabarly. Pirouette amusante, terrifiante de vérité. Il est des nations comme des individus. Chacune à un ADN, une nature propre, une sorte de génétique étatique qui traverse les époques, transcende les pouvoirs successifs et façonne son rapport aux autres et au monde. La France ne s'est jamais vue comme une grande puissance maritime, malgré une situation géographique exceptionnelle et des milliers de kilomètres de côtes.  Fascinée, voire obsédée par le Rhin et sa façade continentale, elle s'est arc-boutée pendant des siècles sur la protection physique de ses frontières naturelles, comme le décrit Alain Minc dans L'Ame des nations (Grasset). La France, c'est les forts Vauban et la ligne Maginot.  La France est le deuxième plus grand pays maritime de la planète grâce à l'Outre-mer 
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Zones maritimes exclusives, en millions de kilomètres carrés. Source: Christian BuchetL'Expansion
Certes, Marianne a enfanté de grands explorateurs des mers : Louis de BougainvilleJean-François de La PérouseJean-Baptiste Charcot. Et le commandant Cousteau avec son bonnet rouge fait autant partie du patrimoine national que Victor Hugo ou Claude Monet. Certes, la France héberge aujourd'hui des champions mondiaux, comme l'armateur CMA-CGM, les constructeurs Bénéteau ou Jeanneau. Et les chantiers STX, à Saint-Nazaire, vont bientôt livrer l'Harmony of the Seas, le plus grand paquebot du monde. 
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L'Harmony of the Seas mis à l'eau par les Chantiers de l'Atlantique STX, le 19 juin 2015.REUTERS/Stephane Mahe
Mais, dans ce pays de terriens, la "force verte" a toujours compté davantage que la "croissance bleue", et la mer n'a jamais eu droit à un ministère à part entière. Dans les partis politiques, à l'exception du Front de gauche, où Jean-Luc Mélenchon s'est emparé du dossier, la question maritime et son potentiel de croissance sont systématiquement passés sous silence. Par ignorance et désintérêt, sans doute.  Manuel Valls s'est bien fait le chantre de l'économie maritime, lors des dernières assises de la mer, en décembre 2014. Des promesses aussitôt envolées - le budget de l'Etat pour la mer a été réduit de 5% en 2013 et de 2% en 2014 -, comme les vagues engloutissent les châteaux de sable à la marée montante.  

La France, géant des mers

Pourtant, cette croissance bleue pèse lourd. D'après les chiffres compilés par le Cluster maritime français, l'économie de la mer pèserait près de 3,2% du PIB et emploierait un peu plus de 301 000 personnes - plus que l'aéronautique, les télécoms ou l'industrie automobile. "Elle a dégagé en valeur 68,9 milliards d'euros de production en 2013, contre 47,9 milliards pour l'aéronautique et 35,1 milliards pour les télécoms", calcule Frédéric Moncany de Saint-Aignan, son président.  La construction navale made in France est en perte de vitesse...  
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Carnets de commandes au 1er janvier 2014 des constructeurs (cargo, porte-conteneurs, passagers, vraquiers...), en milliards de tonneaux de jauge brute compensée. Source: GicanL'Expansion
Et, d'ici à 2020, la mer et ses fonds pourraient rapporter 5 milliards d'euros de valeur ajoutée supplémentaire. Pas si mal, en ces temps de disette. Car le potentiel de développement est considérable, si l'on s'en tient à l'étendue du territoire maritime français. La France n'est pas un confetti sur une mappemonde, mais un géant des mers. Depuis l'application en 1994 des accords internationaux de Montego Bay, Paris est à la tête d'un territoire maritime de 11 millions de kilomètres carrés. La deuxième plus grande zone économique exclusive de la planète, juste derrière les Etats-Unis. Grâce à la Nouvelle-Calédonie, aux îles Kerguelen, aux atolls polynésiens et autres "cailloux" éparpillés sur toutes les mers du globe, la France compte près de 18 000 kilomètres de côtes. "Or tout pays bordier dispose, en plus de ses eaux territoriales, d'une bande de 372 kilomètres de largeur, dont il est, en surface comme dans ses fonds, totalement souverain", explique Christian Buchet, le directeur du Centre d'études et de recherche de la mer à l'Institut catholique de Paris. Un territoire marin qui pourrait encore croître, alors que la France a demandé à l'ONU, dans le cadre du programme Extraplac, de porter cette zone économique exclusive de 11 à 13 millions de kilomètres carrés. Pourquoi une telle boulimie ? Parce que le "temps du monde fini", comme écrivait Paul Valéry, arrive. Parce que les ressources naturelles s'épuisent et que la terre ne pourra pas fournir assez de protéines pour nourrir toute l'humanité.  

Des gisements de matières premières précieuses inexploités

Or, sous ces 11 millions de kilomètres carrés de fonds marins, des trésors sont enfouis. La France détiendrait ainsi les deuxièmes réserves les plus importantes du globe de terres rares et de nodules polymétalliques. Yttrium, lanthane, prométhium... des matières premières aux noms barbares, essentielles pour la fabrication de lasers, de supraconducteurs, de peintures lumineuses ou d'aciers inoxydables. ... Mais la croisière et le militaire sauvent la filière  
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Valeurs des commandes en milliards de dollars, au 1er juillet 2014. Source: GicanL'Expansion
"Certes, pour l'instant, elles ne sont pas exploitables à des conditions économiques raisonnables, mais les entreprises françaises disposent de toutes les technologies pour les extraire ", relève Leslie Widmann, la directrice du bureau d'études Odyssée Développement. Un consortium d'industriels réunis autour de l'Ifremer avec DCNS, Eramet, Technip ou encore Louis Dreyfus Armateurs s'est constitué, et des campagnes d'exploration sont en cours autour de Wallis-et-Futuna.  Dans l'Hexagone, des dizaines de start-up travaillent d'arrache-pied à la valorisation des algues, tandis que les laboratoires pharmaceutiques sont sur les dents pour percer les secrets des molécules marines récemment découvertes. D'ici deux ans, six nouveaux traitements anticancéreux émanant de champignons marins devraient arriver sur le marché, tandis que la dernière classe d'antibiotiques, les céphalosporines, provient du milieu marin.  Les Français consomment davantage de poisson que n'en rapportent leurs chalutiers 
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Evolution des quantités vendues en France métropolitaine, en milliers de tonnes, pour la pêche fraîche et congelée.L'Expansion
Quant aux énergies marines, si la France est partie en retard en matière d'éolien posé, les industriels français sont en train de se rattraper. DCNS a trouvé dans l'énergie un nouveau terrain de jeu: hydroliennes, éoliennes flottantes et énergie thermique des mers. Le leader mondial de l'industrie navale de défense vient ainsi d'installer au large de la Martinique le prototype d'une énorme pompe à chaleur immergée pour un coût de près de 200 millions d'euros.  

En vingt ans, la flotte de pêche française a été divisée par deux

Reste que le potentiel séduisant de ces nouveaux business de la mer ne doit pas masquer les faiblesses de la "vieille économie" maritime. En vingt ans, la pêche française a divisé sa flotte par deux. Une pêche artisanale, certes de qualité, mais coûteuse et vieillissante: alors que 80% des bateaux de pêche font moins de 12 mètres, l'âge moyen des embarcations est de 31 ans! Impossible aujourd'hui, pour un petit patron, de trouver les financements pour racheter un nouveau bateau. "Seuls les armements structurés peuvent le faire, et on en compte à peine cinq ou six en France", reconnaît Fabien Dulon, le patron de la Scapêche, une filiale d'Intermarché.  Chez les armateurs, si CMA-CGM attire la lumière, derrière, c'est le triangle des Bermudes. En cause la cherté du pavillon français, 20 à 40% plus onéreux que les pavillons britannique, italien ou danois. Le dernier-né des porte-conteneurs de CMA-CGM baptisé au Havre en mai a d'ailleurs été mis à l'eau sous pavillon britannique.  Un pêche tricolore de qualité mais trop artisanale et coûteuse 
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L'Expansion
Quant aux chantiers navals, si la montée en gamme vers la croisière notamment a payé, sur le segment de l'industrie navale de défense, la concurrence chinoise et coréenne commence à se faire sentir. "Récemment, des constructeurs chinois ont vendu un sous-marin à l'Indonésie et des frégates au Pakistan", s'inquiète Patrick Boissier, le représentant des industries de constructions et de réparations navales.  Comme dans l'automobile ou l'agroalimentaire, les "industriels de la mer" parlent de perte de compétitivité, de sous-investissement, de lenteurs administratives... Des chantiers à lancer d'urgence. Pour que nos côtes ne se résument pas seulement aux plages, où les touristes viennent poser leurs serviettes de bain l'été.  Par Béatrice Mathieu, publié le 18/07/2015

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