"Afterschool" : étudiants surprotégés = surexposés?

Par Vierasouto
On pourrait résumer le film ainsi : les soeurs Lisbon chez Gus Van Sant. Car ce film fait immédiatement penser à "Elephant". Ce serait plutôt, dans un premier temps, un peu l'antichambre d'"Elephant", les supposées pensées adolescentes avant la tuerie de Colombine, celles qu'on imagine logiquement issues de leurs activités virtuelles et relationnelles dont le moins qu'on puisse dire est que leur intérêt échappe aux adultes: vidéos violentes, marrantes ou pornos qui "font vrai" sur internet, comme ce chat jouant du piano, cette bagarre dans un collège filmée sur un téléphone mobile, ou ce type qu'on ne voit pas mais qu'on entend en train d'humilier une prostituée occasionnelle, sans compter le deal ordinaire de drogues, l'absence de communication et de solidarité, un monde impitoyable... Les soeurs Lisbon de "Virgin suicides" sont ici remplacées par deux soeurs presque jumelles, les blondes soeurs Talbert, les plus belles filles de l'école, que le personnage principal, Robert, va filmer en train de mourir, parce qu'obligé de s'inscrire à une activité extra-scolaire, il a choisi l'atelier vidéo pour suivre la jolie Amy.
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Dans une grande école de la côté est, Rob(ert) se sent toujours étranger depuis deux ans, partageant sa chambre avec Dave avec qui il entretient des rapports plutôt corrects, voire un peu amicaux, dans la limite de leur égoïsme respectif. Pendu au téléphone avec sa mère pour se plaindre de sa solitude, celle-ci lui répond médicaments et menace de lui faire prendre un traitement si il l'oblige à s'inquiéter... Comme Dave et un groupe de collégiens qui passent tous les jours prendre leurs médicaments à l'infirmerie, voire consulter le psy de service, la scène de ces ados drogués sur ordonnance, à la demande de leurs parents, est terrifiante. Dave poursuit son commerce chimique en dealant de la coke à des étudiants de l'école, aux soeurs Talbert, par exemple.
Comme il est en train de filmer l'école pour l'atelier vidéo, Rob est aux premières loges pour voir et participer à l'événement qui va bouleverser la communauté : la mort des soeurs Talbert à la fois par overdose et empoisonnement avec un mélange de drogues et de mort aux rats. Les deux jeunes filles hurlent et l'une d'elle meurt dans les bras de Rob. Ce qui est bien fait, c'est qu'on ne voit cette scène en boucle que de loin et qu'auparavant, on ne fait qu'apercevoir les deux soeurs dont tout le monde parle, comme si elles étaient déjà entrées dans la légende... Il faudra attendre la toute fin du film pour que Rob s'avisant de regarder leurs photos aux murs revoit enfin dans sa mémoire leurs visages ensanglantés.
Tout ce qui est filmé par Rob ou visionné par Rob et les étudiants est montré tel quel, comme des images de téléphones portables
ou des vidéos amateur, telles qu'on les voit sur internet, c'est à dire brouillées, mal filmées, mal cadrées, sautillantes, le son approximatif ou alternatif. C'est le système de ce film à triple couche d'images : les images du film fiction, les images internet dans le film mais extérieures à l'école et les images du reportage mortuaire sur les soeurs Talbert que va produire Rob sur la commande de la direction de l'école à l'atelier vidéo.

Cruauté supplémentaire, qui occasionne la critique de la société américaine en amont, quand le directeur s'avise de visionner le prémontage du film de Rob sur les soeurs Talbert à partir de photos existantes fournies par leurs parents, surtout des photos d'elles enfants, il est aterré par la médiocrité de son travail. Plus tard, on reverra ce film hommage embelli de musique et de commentaire mielleux mais les visages des deux soeurs seront les mêmes : des gamines sans enfance habillées comme des poupées sexy avec des mines de femmes fatales posant comme des starlettes... Ce petit film faussement modeste est très évocateur de la fabrication dès la naissance de futures victimes : le star-system américain, les parents qui envoient leurs filles dans les concours de miss, les enfants qui ont l'air d'adultes miniature, les mères qui ont l'air plus jeunes que leurs filles, d'ailleurs la mère des deux soeurs leur ressemble, une vieille poupée blonde aux cheveux trop longs qui minaude...
Déjà remarqué en 2005 où il obtient le prix de la cinéfondation à Cannes avec "Buy it now", l'histoire d'une jeune fille qui vend sa virginité aux enchères sur internet, Antonio Campos poursuit son exploration des arcanes du monde virtuel. Sans être vraiment novateur, ce film est très maîtrisé, intéressant, choquant au bon sens du terme, interpellant un peu toutes les générations sur une réalité scolaire qu'on connaît, réveillée de temps en temps par les annonces de catastrophes du même genre dans des lycées, et qu'on préfère oublier ensuite... Un film qui devrait faire son chemin dans les salles quand il sortira... (date de sortie inconnue pour le moment)