Carnet de voyage i

Par Apolline Mariotte @ApollineAM

LE LONG DE L’ADRIATIQUE 

V

La péninsule de Luštica

Nous voulions partir dans les montagnes mais notre mésaventure de la veille nous a poussés à modifier notre itinéraire. Inquiets à l’idée que la voiture pourrait présenter des signes de faiblesse, nous avons décidé de rester près de la côte pour pouvoir être dépannés facilement en cas de problème. Nous irons dans les montagnes plus tard, lorsque nous aurons la certitude que nous pouvons rouler sans encombres.

Certes, nous allions rester près de la côte, mais notre voyage allait nous mener sur des routes désertes.

Nous mettons le cap sur la presqu’île de Luštica. En arrivant à l’entrée de la péninsule, nous choisissons de commencer le tour par le nord. Polo s’engage sur une route blanche où le soleil darde ses rayons. De notre côté, sur la droite, elle est dans un état correct. Dans l’autre sens, sur notre gauche, elle est faite de grosses pierres. Nous croisons quelques 4×4 qui roulent à vive allure. Leurs pneus supportent les arrêtes des cailloux.

Cette langue de terre à l’entrée du fjord de Kotor est sauvage. La végétation est basse et ne donne aucun ombrage. Les ronces pénètrent parfois par les fenêtres de la voiture. Nous ne croiserons que des locaux. De temps en temps, un virage dévoile un hameau de pierres au charme fou. Nous gardons le doigt sur la carte, car les panneaux sont rares, et il faut parfois arbitrer entre deux chemins aussi énigmatiques l’un que l’autre.

Tout au bout, voilà Rose. Le village de pêcheurs est une perle posée sur la mer. Nous sommes les seuls à part quelques ouvriers, des chats et une jeep immatriculée en Bretagne. Et pour cause, il faut la mériter par la terre ou y accoster en bateau. Les maisons de pierres blanches aux volets clos ont presque les pieds dans l’eau. Des petites barques sont amarrées au quai, une volée de marches descend jusqu’à l’eau. Sur les stipes vêtus d’écailles marron, les palmes s’épanouissent en bouquets ciselés agités par la brise. L’eau est d’un bleu vert profond.

Nous nous asseyons pour pique-niquer. Un chat s’approche. Il use de toutes les ruses pour tenter de nous dérober une tranche de charcuterie. On resterait bien ici jusqu’à la fin de notre séjour. Il est incroyable de penser qu’en cet instant, nous sommes les seuls sur terre à profiter de cet endroit. Mais il nous faut déjà repartir.

Nous faisons une boucle par le centre de la péninsule. À la sortie, nous passons par la périphérie de Kotor, puis longeons la baie de Risan. Dans le golfe, deux îlots attirent notre attention. L’une, Sveti Dordje, l’île Saint-Georges, plantée de cyprès, abrite un monastère bénédictin du IXe siècle. On l’appelle aussi l’île aux Morts, car elle accueille le cimetière du village de Perast. L’autre, Gospa od Skrpjela, l’île Notre-Dame du Rocher, a été construite par les hommes. Le dôme octogonal de sa chapelle contraste avec le clocher pointu de Saint-Georges. Nous envions la quiétude des habitants de ces îles.

Nous avançons, approchant au maximum de la frontière croate, car demain, nous rallierons Dubrovnik.

Fatigués par la chaleur et la conduite, nous repérons un apartment à Kostanjica et nous arrêtons. Nous sommes les premiers touristes de la saison. La femme qui nous accueille houspille sa fille : il faut faire le ménage et débarrasser ce qui a été entassé pendant l’hiver avant que nous n’installions nos affaires dans le studio. Elle ne parle pas un mot d’anglais. Sa fille fait l’interprète. Nous patientons dans le jardin, non contents de profiter de la vue sur la mer. Le jardin descend jusqu’à l’eau. Les cyprès et les citronniers chargés de fruits jaunes se découpent sur la montagne qui nous fait face, de l’autre côté de la baie. Notre logeuse nous apporte une boisson préparée avec les fruits de ses citronniers. Ici encore, nous avons trouvé un petit chez nous éphémère et rassurant pour relâcher, le temps d’une soirée et d’une nuit, notre attention de tous les instants.

À suivre.