Ceux qui ont et ceux qui n'ont pas...

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit


Pr. Chandra Muzaffar.
International Movement for a Just World

La voix de la Malaisiepar Chandra Muzaffar
"L'après guerre froide" est pleine   de tensions et de conflits ouverts,au Nord et au Sud, m a i s surtout au Sud.Ils doivent leurs origines, et ils sont,aujourd'hui encore,aggravés par l adivision historique de l'humanité e n t rele Nord et le Sud.

Cette division mêmeconstitue l'affrontementmajeur et de dimensionmondiale.Un conflit immense oppose auNord des mouvements demasse de peuples affamés etsans espérance.Il ne s'agit ni d'un romanapocalyptique ni d'uneguerre mondiale entre leNord à dominante chrétienneet le Sud ou vit un milliardde Musulmans. Il s'agitd'une opposition à l'échelledu monde, entre ceux quiont et ceux qui n'ont pas. Etceci a trois niveaux : culturel,économique et social,politique.
"La" culture et "les"culturesLe monde a été dominé pendantdes siècles par la vision dumonde de la civilisation occidentale.Et, bien que peu d'occidentauxen aient conscience,leur civilisation tire ses originesprofondes du génie propre àce qu'on appelle aujourd'hui leTiers-monde et qui fut "le premiermonde".Par une sorte d'amnésie historiqueil nous fut enseigné parl'Occident que toute civilisationavait sa source dans lescivilisations grecque et romaine.Or, en leur âge d'or, parexemple, les arabes avaientdéveloppé de grands centresd'irradiation de la culture, deBagdad à Cordoue, où ilsavaient rassemblé les sagesseset les techniques de la Chine,de l'Inde, de la Perse et del'Afrique.Les mathématiques, l'astronomie,la médecine comme lamétallurgie et l'hydraulique, lagéographie, les sciences et lesarts, de la physique à l'architecture,furent d'abord traduitsà partir de l'arabe, en latin puisdans les autres langues européennes.Le mythe d'une civilisationoccidentale créée de toutepièce par elle-même sert dejustification à son arrogance àl'égard des autres cultures etdes peuples d'autre couleurdont la contribution à la cultureuniverselle a disparu de leurmémoire.Dès l'origine l'Europe a utiliséla technologie du Tiers-mondeà des fins de violence et deconquête. Les Chinois ontinventé la poudre, mais l'Europel'emploie pour en faire descanons qu'elle utilise pour lemassacre des deux Amériqueset pour imposer à l'Afrique ladéportation par millions de seshommes les plus robustes pouren faire des esclaves.L'Europe utilisa ce pouvoir pourinterrompre ou détruire lescréations de la culture, de lafoi, ou de la technique duTiers-monde. L'on enseignaaux peuples vaincus que leurpropre culture ne valait rien etque la seule voie de "progrès"était d'imiter leurs maîtres, lescolonisateurs. Que les"modèles" de l'Occidentétaient les seuls capables derépondre aux problèmes desociété.L'Occident prétend nousapprendre la "démocratie"mais son propre système parlementaire,avec la participationdes femmes, a moins de 70ans. L'urbanisation et l'industrialisationsont également defraîche date : en 1890 95 % deleur population était rurale.Peut-on penser qu'à l'échelledes millénaires cette "modernité"puisse apporter ses preuveset nous faire croire qu'un"modèle" élaboré en Occidenten quelques dizaines d'annéessoit la voie nécessaire pourtoute l'humanité future et quetoute l'expérience millénairedes autres continents ne soientqu"arriération" et "primitivisme"? Que la production dupaysan parcellaire soit inefficaceet doive disparaître devantles entreprises industrielles desvilles tentaculaires ?Nous furent imposés la copiede la culture de l'Occident etde ses mutations politiques,comme ses "experts", commeses conseillers, ses engrais et samédecine.Le Nord a même importé cheznous ses propres querelles :capitalisme contre socialisme,ses guerres intra-européennespour lesquelles nous étionsappelés à fournir la "chair àcanon", ses dictatures et ses"démocraties" caricaturales,ses drogues et ses corruptions.
Une économiepost-colonialeSur le plan économique le Sudcontinue à être considérécomme un marché pour lessurplus de l'Occident, unesource de matières premièreset de main d'oeuvre à bon marchéà des prix dictés par leNord, et, aujourd'hui, par l'empiredes Etats-Unis.Le Sud constitue un champd'expérience pour le "développement",bien qu'un très petitnombre d'occidentauxconnaissent quoi que ce soitdes cultures et des valeurs denos peuples."Leur aide" a abouti à la politiquedu Fonds MonétaireInternational (FMI) qui aconduit à déstructurer et àdétruire nos sociétés en moinsde 10 ans : 30 % de nos servicesde santé ont été annihilés,les échanges inégaux ontfait déserter nos campagnes,et la politique commerciale duGATT - baptisée "libéralisme" -a dégradé encore l'économiedu Tiers-monde.Le résultat c'est qu'aujourd'huile cinquième le plus riche de laplanète dispose de 60 fois lerevenu du cinquième le pluspauvre. Le maître d'un chat enEurope dépense plus par anque le revenu annuel d'un êtrehumain dans les pays les moinsdéveloppés.La politique des gouvernementsdu Nord empêche lespays en voie de développementde gagner le dixième deI'"aide" qu'ils reçoivent officiellementdu Nord.Cela n'a aucun sens ni pour lesuns ni pour les autres : des millionsde nos frères et soeurs duSud en meurent.
Le Sud taillé sur le"modèle" du NordQuant à la signification politiquede la cassure entre leNord et le Sud elle est uneséquelle de la conception impérialede l'Etat centralisé, inventéepar le Nord et étendue àtoutes les sociétés du monde,même lorsqu'elle ne correspondaitpas à leur système devaleurs.- a) En Occident, l'Etat-Nationcréé à partir de la possessionterritoriale ne correspond plusà la réalité urbaine et industrielledes sociétés actuelles.- b) Dans les pays du Sud oul'Etat-Nation a été imposé parl'impérialisme, il se heurte àdes contradictions plus grandesencore : d'abord les antagonistesde la guerre froide n'ontplus besoin des régimes dictatoriauxqu'ils mettaient enplace. Ensuite les anciens systèmesde valeur qui n'ontjamais été entièrement détruitspar la colonisation refont denouveau surface, et la fin dumythe de la supériorité desmodèles occidentaux de développementa conduit à rechercherdes alternatives autochtones- y compris celles qu'onappelle "fondamentalistes"contre le "monothéisme dumarché" qui se fonde plus surla spéculation que sur la production.Enfin, le cadre de l'Etat-Nationest aujourd'hui battu enbrèche par les technologies dela communication qui suscitentde nouvelles formes de relationsinternationales.Les artificielles frontières quiséparaient les cultures, lescommunautés linguistiques etd'autres formes de parentés, aconduit à faire des "minorités"des communautés immensesréparties en diverses nations :dix millions de Quetchuas dansles Andes constituent des"minorités" de quatre Républiques.Ces barrières sont renduessacro-saints par l'appartenanceaux "Nations Unies", renforcéespar la guerre froide et parles intérêts des "élites locales"qui, imitant le modèle de croissancede l'Occident, avaientbesoin de frontières stablespour attirer les investissements.Ainsi donc, premièrementnous avons besoin d'unrenouveau des Nations Uniespour repenser fondamentalementnos problèmes et leurscauses, car le refus deremettre en cause le découpagedu monde hérité du colonialismecoûte plus cher envies humaines et en argentque de reprendre la questionen sa racine profonde.Nous devons exiger cetteréorientation.Deuxièmement, nous devonscontraindre les gouvernementsdu Nord à une renégociationdes stratégies qui se fondentsur les besoins du monde en satotalité et non des intérêts duseul G 7 qui appelle "économieglobale" ce qui n'est enfait que leur économieNord-Nord.Dans le système actuel, iln'y a que des perdants etles institutions issues deBretton Woods (FMI etBanque Mondiale) puis leGATT sont responsables dece chaos et de cette jungle.Le nombre des indigents s'estaccru de 40 % au cours desvingt dernières années etdépasse largement aujourd'huile milliard. Si les gouvernementsdu Nord continuent àpoursuivre le même cheminavec le même aveuglement il yaura d'ici dix ans deux milliardsd'êtres humains vivant dans lapauvreté absolue, c'est à direun tiers de l'humanité à la limi-te de la survie.La violence, la désintégrationsociale, les migrations massivesde désespérés vers le Nordseront les conséquences decette course aveugle.La première urgence pour lesintellectuels de l'Est asiatiqueest de répondre à ces défispour préparer le 21e siècle.
Source : Commentaire de M. Chandra Muzaffardans "Just world trust" numéros de mars et juillet 1993.
Revue "A C o n t r e - N u i t "- N°8- mars 2000