« Tachetures » – les mots du drame

Publié le 05 août 2015 par Joss Doszen

"Tu exposais ton petit derrière et déhanchais le callipyge de ta forme quand le grand gaillard aux petits yeux serrés se pointa. Les phares de sa voiture qu’il n’avait pas éteints projetaient un faisceau de lumière blafard au loin. Les moustiques et d’autres petits insectes tournoyaient autour, et la plupart s’y brûlaient. Tu aurais déjà dû te méfier, mais tu continuais à faire bouger avec une élégance désinvolte ton derrière provocant."

In « Tachetures » - Hakim Ba

Tachetures – Hakim Ba

Attention, coup de cœur !!

Coup de cœur à éviter aux dépressifs, mais coup de cœur quand même !
Auteur et dramaturge, Hakim Ba a produit un – très court – recueil de nouvelles. Six nouvelles, toutes plus belles les unes que les autres. Six nouvelles qui racontent la vie, dans ce qu’elle a de plus déprimante, de plus violente, de plus brutale. Hakim Ba a-t-il voulu, définitivement, augmenter la consommation d’anxiolytique dans la communauté de lecteurs africains ? Ben, il n’est pas loin d’avoir réussi. Le pire, le pire c’est que, comme toute drogue, quand on commence à lire, l’une après l’autre, les nouvelles de ce "Tachetures", impossible de décrocher. Impossible de s’extraire de la beauté de cette narration. L’auteur serait aussi poète. Pas besoin de me l’avoir dit avant. Ses mots transpirent l’envie d’exister, l’envie d’exister tous les centres de goût littéraire du pauvre lecteur-oolique que je suis devenu.

"Brochettes de lycéennes",

le voyage vers les plaisirs de l’esprit commencent là. Par la narration d’une révolte estudiantine noyée dans le sang. Une histoire tellement Dakar 2014, tellement Brazza 2015, tellement, tellement… de jeunes africains qui ont croulé sous le plomb, pour avoir simplement voulu apprendre dans de bonnes conditions. Cette nouvelle m’a glacé.

"Peu de temps"

Cette nouvelle m’a rappelé le "I" de Touhfat Mouhtare-Mahamoud dans "Âmes suspendues". Une grande puissance poétique pour parler d’un destin tragique de jeune fille à qui la vie n’a pas donné les bonnes cartes, et qui subit de dramatiques conséquences d’une société où la liberté d’enjaillement n’est donnée aux filles qu’aux risques du péril de violence. Mon Dieu… une tristesse si bien écrite, ça devrait être interdit.

"A coup de couteau"

est dans la droite lignée du "Solo d’un revenant" de Kossi Effoui. Le retour du vengeur – non masqué- qui s’en vient régler ses comptes avec un passé fait de trahisons et de malheurs.

"Il me frôle l’épaule et tente de me prendre les mains. Je sens une brûlure intense monter dans mon dos et me traverser tout le corps comme si un couteau me perçait la peau. Il veut me serrer contre lui. Les spectacles atroces du passé rejaillissent dans ma tête. Des cris, des sanglots, des peurs se bousculent dans ma tête."

"La mère de l’Albinos"

. Je n’en dirai rien. Nous savons trop les drames qui se passent en Tanzanie, en Afrique du Sud, au Mozambique… Trop dur.

"Comme si la première gifle n’avait pas complètement suffi pour le calmer, un autre malabar aux muscles bien plus moulés, bien plus modelés, bien plus sculptés, bien plus façonnés, bien plus solides, lui expédia une seconde gifle qui fut plus puissante, plus retentissante."

"Et il s’effondra"

, mais la puissance de narration de Hakim Ba est restée au firmament, dans cette nouvelle, un peu plus longue que les autres. Saran et Raï. Un couple qui s’est uni dans les grandiloquentes promesses d’amour éternel, qui voit les démons "Adultère", "Alcool" et "Violence conjugales" enter par la fenêtre de leur foyer. Une fin, évidemment, dramatique.

"Il arriva en courant chez lui. Mais la maison était close. Les voisins se sont déjà dispersés. Même ses mis sont absents. L’occasion idéale pour finir avec cette dame. En découdre avec sa mauvaise haleine."

Et le coup de massue. "Tachetures". Le pucelage chez la femme, ce bout de corps féminin qu’est l’hymen est à l’origine de tellement de sang. Linda, la très jeune Linda va boire jusqu’à la lie le monstrueux calice menstruel, hérité, sans consentement, d’une mère aveuglée par les préjugés de son éducation, les préjugés de sa peur du déshonneur.

Ce court recueil est un délice. Il m’a fait penser à "La minute mongole" de Nétonon Noël Ndjékéry. Deux écrivains qui racontent l’Afrique dramatique, qui racontent le quotidien du malheur, avec les mots de la beauté, avec la poésie que l’on n’aimerait voir accolée qu’à des histoires qui finissent en "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants". Hakim Ba nous refuse le happy End et nous enjoins à rester alerte face aux injustices et aux violences du monde. Avec talent.

Qu’est-ce que vous attendez encore pour commander ce livre !!?


Tachetures

Hakim Ba

Éditions Ganndal