Littérature africaine d'expression française : un grand cadavre à la renverse ?

Publié le 10 août 2015 par Joss Doszen

"En effet, flatter un artiste ou un écrivain est chose facile car, point n’est besoin, eh fait, de lire une oeuvre pour en parler. Par contre, critiquer une oeuvre relève d’une entreprise complexe car, faut-il, avec méthodologie, pointer du doigt ce qui nous a plu et déplu, ce que l’on veut remettre en cause, etc. Là réside essentiellement toute la complexité du travail du critique."

"Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse ?" - Zacharie Acafou

"Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse ?" Zacharie ACAFOU

Il y a toujours un risque d’entre soi quand un auto-proclamé "chroniqueur littéraire" réagit sur la production d’un critique littéraire. On a tôt fait de dire qu’ils créent un vase clôt où l’auto-branlette devient très vite de rigueur et la littérature, au milieu de ces narcisses qui pataugent dans la rivière-miroir, cours le risque de se perdre. Pourtant, il est nécessaire que les opinions, les lectures, se confrontent afin que la littérature murissent. Si tel critique/chroniqueur littéraire émet un avis – dithyrambique ou destructeur – sur une œuvre, c’est aussi littérature que de répondre et de confronter les regards.

Avec cet ouvrage, "Littérature africaine d’expression française : Un grand cadavre à la renverse ?" de Zacharie Acafou, critique littéraire ivoirien, je n’ai pas longtemps eu de scrupules à chroniquer le chroniqueur Acafou. D’abord parce que j’ai pris le parti de ne pas réagir sur la 3ème partie de l’ouvrage qui est constituée de ses billets de chroniqueur, et aussi parce que Zacharie Acafou ayant chroniqué mon roman "Pars mon fils va au loin et grandis", je n’aurai pas, même en jurant sur tous mes grands dieux, convaincre de l’absolu impartialité de mon regard sur sa vision à lui. Par contre, les premières et secondes parties du livre sont des réflexions de l’auteur sur la littérature africaine et invitent à la confrontation des idées.

"Introduction à la littérature africaine d’expression française" est la première partie où l’auteur revient sur l’histoire de la littérature africaine, son éclosion, ses influences. Pour un "non-littéraire" comme moi, j’ai trouvé cette entame très intéressante, écrite avec un langage qui évite les brumes de mots dans lesquels aiment s’enfermer habituellement les "sachants littéraires" . Très intéressante mise en perspective.
La seule chose qui m’a fait tiquer ? je ne comprends pas ce que vient faire le chapitre sur Harlem renaissance si ce n’est pour forcer la porte à ce "lien parenté", que l’Afrique adore, avec les cousins – reconnus dans le monde - américains. Harlem Renaissance a influencé Senghor ? Ok, mais quid du mouvement de la créolité ? Elle n’a eu aucune influence dans nos littératures africaines ? Pas un mot ?

La seconde partie, « Les écrivains africains et le « sentiment de la langue » : de quoi la littérature africaine est-elle le nom ? est sans doute celle qui poussera le plus le lecteur à la réflexion. Les thèmes abordés sont ceux traditionnellement qui interrogent les lecteurs et les auteurs africains, et qui font des débats, parfois, très houleux. Ici Zacharie Acafou revient les positions de Kossi Effoui (que j’ai moi-même traité dans un ouvrage à venir et lors des "Universités Populaires des Littératures des Afriques") sur l’universalisté de la littérature, et sur bien d’autres sujets. Le livre de Sami Tchak, "La couleur de ’écrivain", est très largement pris en référence sur cette partie.

Aparté : Je me rends compte que ce livre, "la couleur de l’écrivain", sans faire de bruit devient une vraie référence en matière de réflexion sur les littératures africaines. Un billet spécial suivra, mais ce livre est tellement dense que je ne sais sous quel angle l’écrire…

J’ai découvert la théorie de la "migritude" de Jacques Chevrier et la position de Zacharie Acafou, que je ne suis pas loin de partager. Notamment, en complément du propos de l’auteur, quand je considère la situation des auteurs afropéens. Nombre d’entre eux sont nés en Europe, y ont grandit et traitent des problématiques spécifiques à leurs conditions, mais aussi des sujets "africains" beaucoup plus classiques. Sont-ils des auteurs de la migritude  ? Cela renvoi évidemment à ce que l’on met aujourd’hui dans la notion de "littérature africaine". Intéressant sujet.

Mes impressions globales de lecteur ? Positives, très positives.

Quand je lis la 3ème partie, sans m’étendre, je confirme que Zacharie Acafou est un lecteur à l’expression, parfois, excessive aussi bien dans le matraquage que dans la dithyrambe (  :-D ), et j’ai découvert ses intéressants sujets de réflexion. Sujets assez classiques (africanité des auteurs, écrire dans les langues africaines, ...) dirons nous, et il m’a nourri avec ses références à la fois africaines et occidentales qui foisonnent.
À déplorer tout de même quelques excès à la "Eric Nolleau" ; méchant par amour du bon mot, de la belle envolée, même si j’aime ses avis sincères et tranchés. De plus, le point super positif, c’est que Zacharie Acafou donne une large place à des auteurs non publiés dans de grosses écuries, et il évite l’européocentrisme de la littérature africaine. Et plus je suis d’accord avec lui sur 4 ou 5 chroniques... :-D.
Pour être honnête, aurais-je cette analyse, plutôt positive, si Zacharie Acafou n’avait pas fait une superbe chronique de mon livre ? Peut-être pas ? Mais bon, j’abonde dans son sens en réaffirmant la subjectivité d’une lecture.

L’autre bémol c’est tout de même la faible place accordé à la partie "réflexion". Les parties 1 et 2 prennent 74 des 260 pages. Le reste de l’ouvrage regroupe les avis littéraires de l’auteur. Ils sont très intéressants car ils permettent au lecteur de (re)découvrir des auteurs, mais, honnêtement, il n’y a aucune valeur ajoutée par rapport à ces mêmes chroniques quand elles étaient sur le Net, donc gratuites. Ça laisse un arrière-goût de "remplissage" alors même que les thématiques abordées au début auraient pu (dû ?) être plus creusées, et Acafou a de la matière pour le faire.

Je conseille cette lecture à ceux qui veulent participer aux nombreux débats touchant les littératures africaines, à ceux qui y réfléchissent et qui trouveront là un apport intéressant au débat. Les chroniques des livres apporteront quant à elles la légère odeur de soufre sans laquelle les débats sur la littérature seraient bien fades… et donc sans intérêt !

Un autre avis chez Gangoueus


"Littérature africaine d’expression française : un grand cadavre à la renverse ?"

Zacharie ACAFOU

Editions Mary’s Bro Foundation, 2015