Le sport, nouveau terrain de creativite

Par Aelezig

Article de Grazia - Mai 2015

Adidas, Nike et consorts sont les nouveaux creusets qui font bouger les lignes et attisent l'excitation des créateurs. Grazia vous dit pourquoi.

Kanye West pour Adidas

Flash-back sur un soir de février polaire à New York pendant la Fashion Week. Tout le monde attend le défilé de Kanye West qui, après avoir présenté deux collections ratées à Paris et lancé une capsule avec son ami Jean Touitou, s'apprête à dévoiler le fruit de son travail de dix-huit mois avec Adidas. Une sorte d'énième essai fashion qui fait doucement ricaner les critiques. Pourtant, contre toute attente, le résultat, s'il n'est pas franchement novateur, est plutôt probant. Présentée sur cinquante modèles, cette collection dévoile des basiques essentiels, portables et combinables à l'infini. Sans oublier les chaussures, ses baskets Yeezy, un étonnant modèle hybride. Alors voilà, c'est finalement grâce au soutien d'Adidas que la star de la pop aura réussi à réaliser une ligne construite au propos cohérent. Comme si c'était là, au sein des laboratoires techniques de l'équipementier sportif que celui qui ne se définit pas comme un designer a réussi à donner vie à sa vision créative. Une preuve supplémentaire que les marques de sport sont devenues un vrai terrain de jeu d'expression pour les têtes pensantes de la mode.

Cela fait treize ans que Yohji Yamamoto revisite le vestiaire sportif avec Y-3, un label à part entière qu'il a créé avec Adidas. Douze ans que Stella McCartney dessine sa ligne sport avec la marque aux trois bandes, ligne que la créatrice britannique vient d'enrichir avec StellaSport, destinée à une clientèle plus jeune. Plus qu'un simple flirt, cette relation entre la mode et le sport s'apparente désormais à un vrai mariage, pas de raison, mais de passion. Car aujourd'hui, ce ne sont plus seulement des grandes marques qui collaborent, mais des créateurs plus confidentiels.

Repousser plus loin les limites

Cette saison, les deux équipementiers les plus proactifs dans leurs échanges avec l'univers de la mode, Nike et Adidas, ont respectivement travaillé avec Chitose Abe de Sacai et Mary Katrantzou, des noms très appréciés du cénacle mais encore peu connus du grand public. Ce sont surtout des acharnées qui repoussent toujours plus loin les limites dans le métissage des matières, le jeu des volumes, et le travail des coupes.

StellaSport

"L'engouement de la mode pour le sport n'est pas nouveau. Ce qui est vraiment inédit, c'est cette recherche de personnalités créatives très pointues dotées d'une approche hyperexpérimentale. Elles vont profiter des laboratoires de ces marques pour approfondir la recherche technologique et pas juste se contenter de dessiner une collection de sportswear" analyse le sociologue de mode Pascal Monfort. En effet, ces équipementiers ont les départements recherche et innovation les plus performants du marché. "Par essence même, le produit de sport est fait pour être amlioré, plus léger, plus résistant et plus aérodynamique. Du coup, les acteurs du milieu ont un nombre incroyable de technologies brevetées qui n'appartient à personne d'autre et qu'ils mettent à disposition des créateurs qui viennent travailler avec eux." Une sorte de magasin de jouets pour créateurs d'autant plus attractif que les matières sont devenues une figure de style imposée, voire même indispensable. "La place de la créativité dans le vêtement est tellement limitée qu'on mise désormais tout sur les innovations textiles", souligne la tendanceuse Alexandra Jubé. Et chez les équipementiers sportifs rien ne semble impossible. "Adi Dassler, notre fondateur, était obsédé à l'idée d'améliorer la technologie des produits. Du coup, on a fait de vraies découvertes concrètes comme nos brevets Boost Running, qui permettetn un meilleur amortissement du pied pendant la course grâce à une mousse révolutionnaire, ou encore Climachill, un tissu à base de billes en alu qui sèche très vite et évacue la chaleur", souligne Liad Krispin, directeur des tendances et du marketing chez Adidas.

Prochaine étape : le mountain wear

De quoi largement exciter les directeurs artistiques. Sans forcément être à la tête d'une marque très conceptuelle, il y a moyen de s'amuser. Pour Ilan Chétrite, le D.A. de Sandro, travailler avec Reebook pour relooker le modèle de basket Fury, en boutique cette saison, a été l'occasion de jouer à l 'apprenti sorcier mode en utilisant des matières inédites comme la maille Mesh, un tissu plastique en nid d'abeilles pour laisser respirer la peau. Résultat : certains insiders comme Guillaume Steinmetz du concept store The Broken Arm n'hésitent pas à comparer les marques de sport aux métiers d'art de 2015. Et Pascal Monfort d'ajouter : "Si Gabrielle Chanel était encore vie, c'est avec les marques de sport qu'elle irait travailler car c'est là que situe l'avant-garde."

Mais peut-être plus pour si longtemps... car selon Guillaume Steinmetz, le prochain terrain de jeu des créateurs, c'est le "mountain wear", soit l'équipement d'alpinisme et les vêtements outdoor, ce qui dans le jargon, qualifie les vêtements que l'on porte dehors, avec dans son sillage des marques comme Patagonia, Columbia ou encore Salomon. Des labels qu'on n'aurait jamais imaginés descendre de leur montagne. Pourtant, ils sont nombreux les modeux accros à cette techncité. "Kim Jones, le designer de l'homme chez Louis Vuitton, et Lucas Ossendrijver, son collègue de chez Lanvin, sont des passionnés", confirme Pascal Monfort. Depuis deux ans, à côté des pièces griffées Raf Simons, Lemaire ou Cédric Charlier, The Broken Arm vend la S Lab XT Softground de Salomon, une chaussure de trail, cette longue course à pied en pleine nature dans des conditions climatiques parfois extrêmes. Jun Takahashi, créateur de la marque Undercover et de Gyakusou, une ligne de running pérenne en collaboration avec Nike, en a déjà acheté une paire à la boutique. Prochaine étape : une collaboration entre Salomon et un créateur de mode ? Oui, mais lequel ?