« L'or des rivières » - de la beauté du retour

Publié le 16 août 2015 par Joss Doszen

« Sans avoir l’air d’y toucher, elle aurait tout de même donné son aval au mauvais génie qui cherchait à me dresser contre mon père. Maman n’était pas tout à fait responsable de son mauvais penchant. C’était le destin de toutes familles, singulièrement celui où, du matin au soir, on répétait à certains mômes : « vous êtes des enfants de la lumière. » Ceux-ci finissaient pas se cabrer ; sans faute. Ils devenaient des « enfants des ténèbres ». Et maman, d’un geste incompréhensible, se fut dévouée pour être la funeste institutrice d’une pareille école. »

"L’or des rivières" – NIMROD

L’or des rivières – NIMROD

Il y a des lectures qui ne vous rencontrent pas. Chez moi on dit « makila na biso ékutani té » quand on veut parler d’une personne pour laquelle vous n’arrivez pas à avoir d’atomes crochus, quelques soient les efforts fait. Il en est de même, pour l’instant, avec les deux œuvres de l’auteur tchadien Nimrod Bena que j’ai lu. Je ne reviendrai pas sur ma lecture de « un balcon sur l’Algérois », chroniqué lors de rencontre Palabres autour des arts du 20 Février 2014 sur le thème « Les amours sous le soleil »(rechercher sur Youtube, à la 12ème minute), mais mon ressenti concernant « L’or des rivières » publié aux éditions Actes sud en 2010 lui sera quasiment siamois.
Dans « L’or des rivières » Nimrod nous livre un récit du retour, un retour au pays de ce fils unique, qui s’en revient vers sa mère « Ma mère est mon terrain d’enquête, son cœur est ma fission nucléaire » , et vers le souvenir de son père défunt, pasteur et pêcheur.
Comme dans « Un balcon sur l’Algérois », l’écriture est superbe, tout en poésie. Le moindre passage vous tire une admiration face à cet auteur qui ne cesse de m’étonner sa grande maîtrise stylistique.

Le début de ce retour, lent, nous permet de ressentir l’appréhension qu’a le personnage quant à ce retour dans un pays qui ne le reconnait pas tout à fait, mais qu’il a du mal à cerner également. La peur de ce pays que les « révolutionnaires » ont changé, le souvenir d’une guerre passé qui a tracé des traces, et des morts dans ses anciens amis.

« Lequel de nos ingénieurs apprendra à nos bâtisseurs à acclimater le torchis avec la brique sans entrainer notre ruine ? Quand apprendrons-nous à nous contenter de nos matériaux ? et à élever des maisons fonctionnelles, répondants à toutes les exigences de la modernité, qui seront érigées pour cent ans ? »

Puis, il y a ces retrouvailles avec sa mère, cette description, très belle, du visage de cette femme, et de la relation mère-fils unique qu’ils ont depuis son enfance. La beauté des mots, les entrelacements des tournures ne peuvent nous cacher un arrière-goût un amère dans la vision qu’à de sa mère, ce fils qui semble n’avoir pas tout à fait pardonné, entre autre, le rejet, par sa mère, de sa famille.

« Tu veux bannir ma race en épousant une française ? Je vais pas maudire votre union, une mère n’en a pas le droit. Mais tout de même… Elle me plaît pas, ta fiancée… C’est incroyable ! Tu rates aucune occasion pour t’éloigner de moi. Depuis ton adolescence, t’as pas cessé de le faire… Est-ce raisonnable de la part de mon fils, mon unique ? »

Quand il va à la rencontre de son père, pèlerinage obligé sur sa tombe, Nimrod rencontre le pasteur Ulrich, remplaçant de son père (et qui est venu enquêter sur les causes de sa mort brutale). Là, nous est conté l’étrange destin de Samuel, le chien qui semble avoir été éteint par la mort du père et que la présence de Nimrod semble réveiller. Étrange et mystique.
Le chapitre « L’or des rivières » est celle qui m’a particulièrement intéressé, non seulement parce qu’elle campe la relation entre le père et le fils, mais surtout par ce parallèle que fait l’auteur entre les silences du pêcheur (le père) et ceux du lecteur passionné (le fils), comme un lien unissant deux mondes qui ne se comprennent pas toujours.

« La peinture dont je rêvais tous les jours, c’était celle qui déploierait le bonheur d’un garçon en train de pêcher avec son père.
De fait, la métaphore « l’or des rivières » parle par elle-même. Mutisme des taiseux, silence des liseurs. »

Cependant, seul le chapitre « Que sont les amis devenus  » m’a vraiment accroché. L’évocation de la déchéance des amis avec lequel on a grandi, est bien décrite avec des mots qui – enfin – me procurent un peu d’émotion.
Car, c’est là mon gros bémol sur ce livre dont je loue les qualités d’écriture ; il me manque l’émotion. J’ai eu un mal fou à venir au bout de ce – pourtant – court récit (125 pages). Je n’arrivais pas à y entrer, je n’arrivais pas à m’attacher au personnage, à ressentir de l’empathie pour lui, pour sa mère. La narration – pour moi – manque de dynamisme sur plus des deux tiers. Des très beaux mots, mais un sentiment de trop plein, de trop de mots, l’envie de sauter des passages car, malheureusement, je me suis prodigieusement ennuyé en lisant ce récit. On dirait une de ces beautés des podiums, slaves, au regard froid, à la beauté qui ne provoque aucune émotion en vous. Et pourtant, quelle plume magnifique !

« Sans avoir l’air d’y toucher, elle aurait tout de même donné son aval au mauvais génie qui cherchait à me dresser contre mon père. Maman n’était pas tout à fait responsable de son mauvais penchant. C’était le destin de toutes familles, singulièrement celui où, du matin au soir, on répétait à certains mômes : « vous êtes des enfants de la lumière. » Ceux-ci finissaient pas se cabrer ; sans faute. Ils devenaient des « enfants des ténèbres ». Et maman, d’un geste incompréhensible, se fut dévouée pour être la funeste institutrice d’une pareille école. »


« L’or des rivières »

Nimrod

Éditions Actes Sud, 2010