(note de lecture) Pascale Petit, "Le parfum du jour est fraise", par Véronique Pittolo

Par Florence Trocmé

 
Ce livre savoureux, acidulé, sucré à la bonne température, nous fait comprendre, décidément, que la poésie peut déborder le poème en se frayant un passage émancipé, entre mode d'emploi et caisse à outils. Les outils sont la syntaxe et les références à la culture populaire, le mode d’emploi est plutôt un mode du souvenir,   cette sensation de déjà vu, d’une chose qu’on connaît mais qu’on a  partiellement oubliée (en l’occurrence, ici, une série télévisée culte des années 60, Le Prisonnier). Ce livre se présente comme une thérapie de poche, la narration y est joueuse, enlevée, parodiant les injonctions de mieux être issues de l’édition grand public ou des publicité sur le web, manuels d’hypnose, yoga tantrique, aquagym et autres pratiques anti-stress. Pascale Petit pointe avec ironie, insolence, notre société anxieuse et anxiogène, où il y aurait toujours un remède aux maux que nous subissons (dépression, burnout, addictions multiples, au sport, au sexe, aux substances illicites). Poésie technique, pédagogique, qu’on aimerait mettre en application sur smartphone, comme on aime suivre à la lettre certaines consignes : Vous devez veiller à faire une bonne impression… N’hésitez pas à verbaliser… On est parfois pris au dépourvu de questions absurdes qui sollicitent la vigilance : Y a-t-il des garagistes dans leur garage ? Des secrétaires dans leur bureau ? Un salon de décoration intérieure ? 
Pascale Petit anime des ateliers d’écriture et ça se voit, car ce livre pourrait être perçu comme une consigne sans limites, comportementale, où le moi s’effacerait derrière un nous confortable et indifférencié. Alors que nous étions de jeunes téléspectateurs, le héros du Prisonnier, Patrick Mc Goohan, nous a fait aimer la science-fiction, l'allégorie et la manipulation psychologique, comme la mode et la paranoïa, dans un monde où Kafka voisinait avec les vestes bien coupées, les coupes de cheveux nettes, qu’on aimait comme les robes Courrèges de l’époque. Si je devais choisir un numéro à la place de mon nom, je prendrais le 6 plutôt que le 10 de Zidane, et le village impersonnel du Prisonnier plutôt que les villages vacances de Houellebecq pour célibataires déprimés. L’époque a changé, la poésie résiste. Et pour finir, une dernière consigne : L’avenir est indécis, les oiseaux, de passage, mais le futur est proche. 
 
[Véronique Pittolo] 
 
Pascale Petit : Le parfum du jour est fraise, éditions de l’Attente. 144 p.