Politique, « Esmeralda », économie… : entretien avec l’ambassadeur du Chili en France

Publié le 25 août 2015 par Anthony Quindroit @chilietcarnets

Alors que le navire chilien Esmeralda était à Rouen, Chili et carnets a rencontré son Excellence Patricio Hales Dib. L'ambassadeur du Chili en France était en Normandie pour accueillir ses compatriotes. L'occasion de parler de marine mais aussi d'histoire, de politique internationale, d'économie... Entretien.
Quel est le sens de la venue de ce navire chilien à Rouen ?
Patricio Hales Dib : " Cela montre tout d'abord l'admiration et l'intérêt clairement exprimé pour la France et les Français.Tous les ans, ce navire emmène les élèves de dernière année pour un voyage de plus de six mois.Il va dans chaque région du monde, est invité partout.Il n'était pas venu en France depuis 2003. "
Vous évoquez 2003 et la venue à Rouen. Amnesty International avait manifesté contre la venue de ce bateau utilisé comme prison pendant la dictature de Pinochet. L'accueil, en France, comme à l'étranger, est désormais plus calme. Comment analysez-vous ce changement ? [l'entretien a été réalisé avant l'arrivée du navire au Sail d'Amsterdam (Pays-Bas) où l'accueil a été bien plus houleux, NDLR]
" Il est tout à fait compréhensible que des personnes au Chili ou ailleurs dans le monde expriment leur sentiment contre le fait que l'armée chilienne ait accepté d'aider la droite de l'époque. J'ai moi-même été prisonnier politique et c'est une douleur que la marine chilienne ait participé à cette violation des droits de l'Homme.On peut avoir de la rancœur pour les faits.Mais on ne va pas se fâcher avec les voiles, avec l'histoire de la marine, avec Prat [Arturo, emblématique officier de la marine chilienne au XIXe siècle, NDLR].Il faut garder la mémoire pour les faits, pour les hommes. Et je n'interprète pas l'absence de manifestation comme un pardon ou un oubli de ces faits condamnables. Il faut garder cette mémoire pour que cela ne se reproduise pas. Mais nous n'abandonnons pas l'Esmeralda ; on ne va pas laisser un symbole de la patrie aux violateurs des droits humains. Comme le drapeau du Chili [qui n'a pas changé depuis 1817, NDLR], Esmeralda est le symbole de tous les Chiliens. "

Le navire reviendra-t-il pour l'Armada en 2019 ?
" Nous sommes heureux que les étudiants marins viennent ici et découvrent la région.Pour un officier des forces armées il est impossible de ne pas connaître la Normandie avec la Seconde Guerre Mondiale.Et c'est au Havre en 1972 que Pablo Neruda, alors ambassadeur du Chili, a tenté de défendre le cuivre chilien [une entreprise américaine contestant la nationalisation du cuivre voulait faire main basse sur une cargaison arrivant au Havre, NDLR]. Et, à titre personnel, j'ai beaucoup d'admiration pour cette région, pour l'histoire de Guillaume le Conquérant, pour Monet...Nous avons reçu l'invitation pour l'Armada.Tout dépendra du programme du navire.Il a déjà des événements prévus pour 2017, pour 2018... Nous avons aussi reçu une invitation de Sète pour 2016. Je trouve toujours cela intéressant ces invitations dans d'autres villes que Paris car cela permet d'approfondir les liens avec la France. "

RELATIONS INTERNATIONALES

Parlons du Chili et de son économie. Le cours du cuivre est très bas, or l'économie chilienne est encore très dépendante de ces exportations. Comment sortir de cette dépendance ?
" C'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis très longtemps. Et, aujourd'hui encore, plus de 40% de nos exportations, c'est du cuivre. C'est à nous de faire l'effort d'apporter plus de valeur ajoutée à notre environnement naturel. Nous sommes sur plusieurs questions actuellement, que ce soit les impôts, l'éducation, la constitution... Mais la question économique est également dense. Nous avons du saumon, du bois, des fruits... Comment les valoriser. Les Français mangent du saumon chilien mais ne le savent pas : comment faire pour que cela devienne une référence ? Nous y travaillons. Nous avons aussi d'autres idées pour développer notre puissance alimentaire. Nous sommes le premier exportateur de pruneau, nous exportons des amandes, des noix... Nous avons de très bons produits naturels à faire connaître. L'un des axes de développement, c'est aussi le tourisme. Nous avons le désert, des paysages magnifiques. D'accord, nous n'avons pas les plages des Caraïbes mais nous avons des atours à faire valoir. Le Chili développe également ses relations avec l'Asie. La mer n'est pas un mur. Et cela nous permet de nous diversifier. Un tiers de nos exportations partent en Asie [40%, selon les chiffres du commerce extérieur en 2013, NDLR]. "
Comment sont les relations entre la France et le Chili ?
" La présidente Michelle Bachelet est venue en France début juin. Nous avons signé une déclaration de caractère stratégique dans différents domaines. Cela vient couronner un an et demi de travail. Il y a un accord de coopération dans le domaine de l'éducation, avec des échanges autour de la formation des professeurs et des cadres, un développement scientifique et technique. Un accord autour du droit des femmes ; " Igual pega, igual paga ", veut la présidente [ce que l'on peut traduire par " à travail égal, salaire égal ", NDLR]. Il y a également eu la signature d'un Permis vacances travail (PVT) entre la France et le Chili. Les Français et Les Chiliens de 18 à 30 ans pourront venir travailler facilement durant un an a Chili ou en France. Nous avons aussi travaillé sur la politique spatiale. Vous savez, cinq ministres ont accompagné la présidente en juin. Et, de mon côté, au quotidien, j'aide à développer les investissements français au Chili. Plus de trois cents petites entreprises françaises se sont développées au Chili ces deux dernières années. Et les entreprises françaises investissent au Chili. Ce n'est pas un hasard. "
Qu'en est-il du conflit avec la Bolivie sur l'accès à la mer ?
" C'est d'une vulgarité, de la pornographie politique même ! Le gouvernement bolivien tente de récupérer l'unité nationale autour d'un conflit qui n'existe pas. Pour moi, c'est mépriser l'unité et la possibilité de développer ensemble nos deux pays. Ensuite, c'est une fantaisie ! Comme si la Bolivie n'avait pas accès à la mer : un traité de 1904 donne à la Bolivie l'opportunité d'utiliser de façon préférentielle les infrastructures portuaires. Ils ont cet accès et ne méprisent pas cette utilisation. Il sort, par le port d'Arica, plus de produits boliviens que chiliens ! Nous avons des opportunités de développement extraordinaires entre les deux pays. Le problème du sous-développement de la Bolivie n'est pas le fait du Chili. Enfin, déposer à la Haye une demande pour renégocier les frontières. Imaginez la même chose en France avec l'Alsace et la Lorraine : c'est une folie ! Il y a un traité, il doit être respecté. Au-delà de ces trois éléments, nous sommes liés à la Bolivie. Nous serons toujours des voisins, ça nous oblige à travailler ensemble. Notre chancelier a offert à nouveau de rouvrir les négociations diplomatiques. La Bolivie ne veut pas... "
L'autre sujet qui anime encore le Chili, c'est l'éducation. Le sujet avance-t-il ?
" Nous y travaillons. Il y a un héritage de la dictature centré sur l'idée que l'éducation est un bien de marché. L'éducation est chère et il est difficile de la payer. La présidente Michelle Bachelet a clairement dit qu'il fallait une réforme pour une éducation gratuite de qualité. Mais cela ne va pas se faire en un jour. Il faut comprendre la situation, des débats publics...Cela doit être fait sérieusement et dans le droit. "