Egon Erwin Kisch : reportages engagés

Publié le 27 août 2015 par Fmariet


Egon Erwin Kisch, Der rasende Reporter, aufbau taschenbuch, Berlin, 1924 - 2008, 361 p. (en français, "Le reporter enragé").

Egon Erwin Kisch, Der rasende Reporter. Eine Biographie in Bildern, aufbau, Berlin, 1998, 303 p. Index.

Voici deux ouvrages de Egon Erwin Kisch, figure légendaire du journalisme politique de langue allemande au XXème siècle (1885 - 1948). Journaliste praguois il a été surnommé " der rasende Reporter" - l'adjectif allemand " rasend" signifiant à la fois "fou" et "qui fonce" -, d'où le titre de son livre publié en 1924, rassemblant une cinquantaine de ses reportages ( eine feuilleton Sammlung) : Robert Musil y saluera le grand livre du moment, "une nécessité' (" diese Art Reportage ist eine Zeitnotwendigkeit"). Le second ouvrage évoqué ici est une "une biographie en images" ; il est efficacement illustré de photographies et de dessins rendant compte des conditions historiques de production de l'œuvre de Egon Erwin Kisch et de ses rencontres intellectuelles. On croise ainsi Robert Musil, Franz Werfel, Maxime Gorki, Anna Seghers, Kurt Tucholsky, Upton Sinclair, Charlie Chaplin, Erwin Piscator, Joseph Roth... Cet environnement intellectuel vaut positionnement ( noscitur a sociis !).

A l'intersection du journalisme et de la littérature, le reportage constitue un genre qu'ont pu illustrer F. Scott Fitzgerald, Henri Calet, Joan Didion, Emile Zola, George Orwell, Jack London... " Kunstform und Kampfform", art et combat, définissent bien le genre reportage dans le cas de Kisch qui fut, sa vie durant, un militant antifasciste, internationaliste, un aventurier permanent de la politique. Ses livres ont été interdits et brûlés par les nazis, il a été expulsé après l'incendie du Reichstag, il a rejoint les Brigades Internationales pendant le guerre d'Espagne... L'écriture n'est qu'une partie du reportage selon Egon Erwin Kisch : le reportage n'est rien sans les voyages, les investigations, les prises de parti. Pré-textes. Là se situe la spécificité du genre, sa différence avec la fiction : le reportage est une observation neutre mais construite de la réalité. Journalisme vécu que l'on rapprochera de la nouvelle objectivité des années 1930 ( Neue Sachlichkeit) : "Il n'y a rien de plus sensationnel au monde que le monde dans lequel on vit", déclare Egon Erwin Kisch dans sa préface programme du 1er octobre 1924 où il revendique l'exotisme du quotidien et de la simple vérité. Le reportage s'acommpagne d'une exigence d'objectivité : "Le reporter n'est d'aucune tendance, il n'a rien à justifier et il n'a pas de point de vue [...] ce n'est pas un artiste, ce n'est pas un politicien, ce n'est pas un savant, c'est un homme ordinaire ( platte Mensch)". Le reporter observe et vit ( erleben) : "ne rien écrire sans vivre" (" nicht schreiben, ohne zu erleben"). Cette préface est un manifeste qui reste d'actualité pour caractériser le métier de reporter.

Les reportages de Egon Erwin Kisch exploitent ses nombreux voyages, ce sont des témoignages qu'il rapporte : Union soviétique, Etats-Unis, Afrique du Nord, Chine, Japon, Australie, Espagne, France, Pays-Bas, Grande-Bretagne. Pendant la guerre, il émigre au Mexique avant de revenir à Prague en 1948. Egon Erwin Kisch fit également des reportages pour la radio allemande. Observateur à tout prix, il s'engagea comme matelot pour payer son voyage de Baltimore à Los Angeles en passant par Cuba, Haiti et le canal de Panama. Il se déguisa en clochard pour observer et raconter la vie des sans abris : journalisme infiltré déjà, observation participante des enquêtes.
Outre des recueils d'articles ( Paradies Amerika, Geschichten aus sieben Ghettos, Entdeckung in Mexico, Landung in Australia, Die drei Kühe. Eine Bauerngeschichte zwischen Tirol und Spanien, Marktplatz der Sensationen, etc.), on doit à Egon Erwin Kisch une anthologie des chefs d'œuvre du journalisme ( Klassische Journalismus. Die Meisterwerke der Journalismus, 1923) que Kurt Tucholsky disait vouloir offrir à tous les journalistes comme cadeau de Noël.
Aujourd'hui, l'œuvre de Kisch sera un cadeau utile à tous ceux qui s'intéressent au journalisme et à son histoire. Hélas, pour l'instant les traductions en français sont encore peu nombreuses.