World Rugby – Et le rugby fut universel

Publié le 27 août 2015 par Sudrugby

Cette vidéo lancée l’an dernier par l’IRB résume bien les objectifs de World Rugby à partir d’aujourd’hui. Elle cristallise les valeurs de notre sport, ses grands moments, ses grands joueurs mais s’attache aussi à montrer du rugby amateur, du sevens, du rugby féminin et même du rugby en fauteuil roulant. On y voit aussi bien la Nouvelle-Zélande que le Kenya, le Pays de Galles, le Japon, l’Argentine, la Géorgie. Ces extraits de gamins découvrant le rugby en Afrique centrale ou cette femme voilée nous laissent croire à la possibilité que tous les rugbys soient joués partout et par tout le monde. C’est le processus d’universaliser le rugby auquel l’IRB croit et plus que jamais essaiera de réaliser sous World Rugby désormais.

Universalité dans l’accès

C’est tout d’abord un coup de com’ qu’a voulu faire la désormais défunte IRB et c’est l’élément le plus facile à voir dans le pourquoi d’un changement de nom. A travers la bouche de Bernard Lapasset ou de Brett Gosper (le PDG) le terme de « marque » pour désigner World Rugby revient souvent. La promotion presque commerciale de l’IRB était donc importante auprès du public, des institutions sportives et surtout des sponsors. Ainsi, le nouveau logo remplace celui un peu vieillot de l’IRB, plus affiné mais conserve malgré tout les couleurs historiques du « Board ». Un logo plus moderne pour un organe se voulant résolument plus moderne en somme. La présence du mot « World » dans le logo même était aussi un souhait de la part des hommes forts de l’institution et décrit finalement en un mot l’orientation de sa politique.

Autre priorité : transmettre et retransmettre le rugby facilement à travers le monde. Le gotha de World Rugby a pris conscience que pléthore de personnes dans le monde n’avaient aucun accès au rugby professionnel car il est évident que peu de télévisions diffusent du rugby hors Coupe du monde. Ainsi, World Rugby diffuse de plus en plus sur son propre site des matchs en direct. C’est le cas pour la Pacific Nations Cup, pour le Japon-All Blacks de l’an dernier ou de matchs du Tier 2. On ne peut que saluer cette initiative qui permet à tout le monde d’assister à des matchs de rugby mais surtout qui permet à World Rugby de populariser des nations émergentes du rugby ou moins connues (car de toute façon le rugby était déjà potentiellement diffusé à travers le monde via les sites de streaming que l’on connaît).

Autre point immanquable au temps du XXIème siècle à savoir la présence sur les réseaux sociaux. World Rugby a clairement boosté sa présence sur la toile mondiale et compte désormais des comptes Soundcloud, Instagram, etc. en plus des comptes Twitter, Facebook et Youtube déjà existants. Le compte Youtube transmet régulièrement de petits spots des meilleurs essais du weekend, d’interviews, ou moments historiques de XV comme de sevens. Ceci peut paraître anecdotique mais ça ne l’est en aucun cas et de ce point de vue-là World Rugby se démarque de la FIFA par exemple et tend à être une institution ouverte. On notera également l’effort déjà commencé au temps de l’IRB de clarifier le site web et d’offrir à tout visiteur moult informations. On citera par exemple l’accès facile à une sorte de guide du joueur de rugby qui permet à n’importe quel individu d’expliquer en quoi consiste le rugby, quelles sont ses qualités, ses défauts, etc. Et derrière on comprend vite le message de « tout le monde peut jouer au rugby ». Diffuser les règles, démocratiser l’accès, le populariser, voilà les priorités à l’heure actuelle de World Rugby. Mieux, l’institution veut également faire connaître et expliquer ces fameuses « valeurs » du rugby qu’elle fait passer pour des valeurs universelles (le respect, la croyance, la solidarité etc. ; très net dans la vidéo). Le message se veut clair : tout le monde peut jouer au rugby car le rugby contient en son sein des valeurs que tout le monde partage.

Universalité des territoires

On touche ici ce qui est au fond le gros du travail de World Rugby : promouvoir le jeu à travers le monde. C’était déjà le cas sous l’IRB mais force est de constater que cet objectif est devenu de plus en plus préoccupant. En ce sens, l’IRB a senti bon le fait de se renouveler maintenant, le rugby ayant dernièrement franchi une étape dans son développement. La période que l’on connaît actuellement est finalement celle de la fin du plan stratégique de 2004 mené par l’IRB la dernière décennie. La croissance du rugby promise à travers ce plan est désormais faite et il faut passer à autre chose. Bernard Lapasset synthétise : « La pratique du rugby dans le monde est passée de 2 millions à 6.6 millions durant les quatre dernières années, conduite par le succès commercial des différentes Coupes du monde, par la stratégie de développement de l’IRB, par des investissement records, par l’effort des fédérations et par la ré-inclusion du rugby aux Jeux Olympiques. » Si World Rugby veut franchir une nouvelle étape, c’est d’abord parce que l’IRB en a franchi une majeure au début de ce siècle. Et comme dans toute grande entreprise ou organisation, on juge bon de créer des plans stratégiques pour mener à bien différents objectifs. C’est exactement ce que fait World Rugby.

Il est facile de lire dans les propos de Lapasset la prédominance du marketing et des intérêts économiques à défendre dans le monde. Et en ce sens, le nouveau World Rugby permet de peser de tout son poids parmi les grandes institutions sportives mondiales et parmi les multinationales. World Rugby visera à trouver plus de partenaires, sur de nouveaux territoires pour parrainer le rugby mais aussi à fidéliser ceux déjà existants (Mastercard, Canterbury, etc.). Les différentes Coupes du monde sont fondamentales dans cette stratégie économique et constituent l’instant T où World Rugby doit assoir sa notoriété. La Coupe du monde est un moment charnière d’une demi-décennie où le monde est résolument tourné vers notre sport. Chaque Coupe du monde bat le record de la compétition précédente en termes d’affluence, d’audimat, de sponsoring, d’intérêt, etc. World Rugby le sait parfaitement et tient à être l’organisateur principal des mondiaux, devant même les fédérations hôtes.

Autre priorité que World Rugby aura : sa politique vis-à-vis des nations du Tier 2 et 3. C’est une grande limite que l’on pouvait déjà apporter à l’IRB. Les pays du Tier 2 sont clairement discrédités aujourd’hui proportionnellement par rapport à leur niveau rugbystique (les Samoa et les Fidji sont sans doute meilleurs que l’Ecosse ou l’Italie à l’heure d’aujourd’hui ; c.f le classement World Rugby). La tâche de l’organe mondial sera donc de faire en sorte qu’il y ait plus de passerelles – concrètement de matchs – entre les nations du Tier 1 et 2. Il n’est pas normal qu’il faille attendre juillet 2015 pour voir la Nouvelle-Zélande jouer pour la première fois de l’Histoire les Samoa chez eux. Une augmentation des fonds destinés au Tier 2 et 3 est également attendu, pour les équipes nationales comme pour le développement du rugby en interne, du vivier de joueurs des pays. Ceci, World Rugby en est conscient mais devra prendre acte.

Globalement, World Rugby tentera de sortir le rugby de ses sentiers battus et l’on a déjà vu comment elle croyait en l’universalité des valeurs du rugby. Pour se faire, une présence sur le terrain est inévitable mais de ce côté l’IRB en était plutôt consciente. « On ne construit pas un réseau en envoyant des mails. » dit Lapasset. Si World Rugby veut être influent, c’est partout que ceci doit se faire. De toute façon, l’organe sait parfaitement que pour imiter son voisin du foot – sport planétaire par excellence – un développement sur tous les territoires est nécessaire.

Universalité de tous les rugbys

C’est l’autre grand point essentiel auquel s’attachera World Rugby ces prochaines années : rétablir l’équilibre entre le rugby à XV et à VII. Longtemps le sevens fut boudé par l’IRB qui n’investissait réellement que dans le rugby quinziste et certains dirigeants ont pu à une époque ignorer l’existence de ce sport. Les fédérations nationales ont pu faire de même (la FFR se situe plus ou moins encore dans cette situation). Cet intérêt au désintéressement pour le sevens a donné logiquement lieu à une domination sans partage du rugby « union » depuis les années 90. Davantage joué, plus populaire, attirant toujours plus de sponsors et de droits TV, le XV était finalement la version que l’on plaçait inconsciemment derrière le terme « rugby ». Mais les choses ont tourné assez récemment, certainement au tournant des années 2010. Le sevens s’est vu plus apprécié, regardé et encadré par des compétitions (les anciens IRB Sevens). Surtout, bien que finalement peu joué dans le monde en termes de nombre de pratiquants, le sevens a commencé à s’implanter dans des pays peu ou pas concernés par le rugby à XV (Kenya, Portugal, Espagne et d’autre nations au-delà de la 15ème place mondiale alors qu’ils sont loin derrière dans le classement équivalent au XV). Tout le monde salut désormais « l’esprit sevens » et participe à dire que ses compétitions forment de fantastiques moments de sport mais aussi de fête. L’IRB a donc au fur et à mesure commencé à changer son regard vis-à-vis du VII. Surtout, l’IRB a saisi tout le potentiel universel qu’avait le sevens en son sein, en comparaison par rapport au XV. L’apogée de ce travail a donné lieu au retour du rugby aux Jeux Olympiques et à l’intégration du rugby à VII à Rio. World Rugby compte bien poursuivre cette dynamique et rééquilibrer le rapport de force entre les deux sports. Et finalement, si le rugby tend à devenir universel, ce sera sans doute davantage par le VII que le XV. Et ça, World Rugby en a bien conscience.

Les Fidjiens, vainqueurs des World Rugby Sevens Series 2014-15

Outre la promotion du sevens, World Rugby s’attache à ne pas oublier le rugby amateur. Sans doute que ses dirigeants ont compris que le rugby amateur était essentiel dans la formation d’un vivier de joueurs dans chaque pays et qu’il est finalement le miroir du rugby pro. Pas de bon rugby professionnel sans à la base un foyer de pratiquants importants, des clubs structurés, une formation en place. Le développement du XV et du VII dans des zones encore étrangères à la pratique du rugby passe donc avant tout par le développement du rugby amateur. Concrètement, cela se résume à des actions sur le terrain, la mise en place de partenariats, d’ambassadeurs (souvent d’anciens joueurs), de mises en places d’universités ou d’écoles du rugby et bien sûr d’accords de fonds importants. On note enfin que World Rugby veille également à promouvoir le rugby féminin et invite à ne pas faire du rugby un sport exclusivement masculin. La réussite des dernières Coupes du Monde à XV et à moindre mesure des HSBC Sevens féminins donnent le ton à ce qui est aussi une priorité pour l’institution.

Si l’on peut saluer toutes ces initiatives au sein de World Rugby pour la promotion d’un rugby universel, il convient de ne pas tomber dans l’admiration béate. Universaliser le rugby pourrait avoir pour effet pervers de dénaturaliser sa pratique dans des foyers historiques. Un rugby mondial est le nid d’une possible spéculation que les amateurs du ballon ovale ne souhaitent aujourd’hui. Histoire que l’on ne se retrouve pas avec une Coupe du monde en Russie dans 15 ans… On sait très bien également que l’un des gros reproches que l’on pouvait faire à l’IRB était de ne pas assez promouvoir l’ovalie dans les nations émergentes du rugby. Un accord de fonds supérieur aux nations du Tier 2/Tier 3 est aujourd’hui urgente. Le cas des pays du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga) est en particulier très préoccupant, leurs fédérations doivent avoir plus de pouvoir et vite. World Rugby devra donc sans arrêt étoffer la coordination avec les différentes fédérations. L’imbroglio récent concernant les stades pour la Coupe du monde 2019 au Japon nous rappelle les difficultés de World Rugby d’être un acteur clair, transparent et conciliant avec le monde du rugby.