[Critique] Le Tout Nouveau Testament – Fantaisie douce-amère

Par Neodandy @Mr_Esthete

L’auteur de la loi des embarras en série s’appelle Dieu. Du moins, dans l’imaginaire du réalisateur Jaco Von Dormael, les règles de toute chose se gravent à jamais grâce à un PC fonctionnant sous Windows 98 et d’un simple programme MS-DOS. Piquante, éblouissante et intéressante est la première forme du scénario. Tout l’intérêt du long-métrage Le Tout Nouveau Testament consiste à (sa)voir si tout le récit et son idée absurde ont les moyens de tenir sur la longueur.

Curieux conte improbable, son amertume bienveillante rappellera des soupçons du cinéma de Jean-Pierre Jeunet où un espace bien défini, Bruxelles, vit sous une caméra où les images sont une somme d’éléments négatifs et parfois trop positifs. A l’image du Dieu interprété par Benoit Poelvoorde, le scénario dresse un horizon impitoyable, un détour séduisant à la source des malheurs du quotidien. Après un acmé quasi philosophique, le dernier quart de la fiction verse maladroitement dans la mièvrerie. Dans l’ordre des choses, la Belgique retrouve sa mécanique tranquille d’une manière divinatoire …

La comédie comme support d’imagination.

Pili Groyne incarne Ea, fille de Dieu, en découverte de Bruxelles … Et de ses habitants !

Dieu vit en Belgique, avec sa femme (Jouée par Yolande Moreau.), sa fille et un fils absent à chaque repas « après avoir été cloué sur un cintre » dixit Benoit Poelvoorde. Dans le foyer bloqué dans l’image des foyers typés années 1980, l’injustice d’un Père omniscient et presque omnipotent étouffe l’humanité tout en privant la petite dernière, Ea, d’une vie comme les autres. Sac au dos et pouvoirs divins en mains, Ea organise son exode à la rencontre d’humains ordinaires dont les existences comportent son lot de troubles, ces petites choses accumulées et dénouées par le regard d’une enfant spéciale.

Imaginez si … Demain, vous receviez ce SMS. L’idée ne manque pas d’interpeller sans aller jusqu’au bout de l’essai. Dommage.

Entre le Dieu est parmi les Hommes, et sa fille au statut de vagabonde en pleine crise d’adolescence, la comédie varie adroitement de l’humour souvent efficace (Un bref aperçu sur les 2100 « lois de l’emmerdement » créées par Benoit Poelvoorde, l’apparence incongrue de son personnage, l’auto-dérision d’un Belge sur sa Belgique natale, des tirades instantanées …)  à la tonalité dramatico-émotionnelle. La tension de l’émotion est la digne héritière des constats des penseurs de l’Antiquité : tous, nous mourront, et cette date, désormais, presque tout le monde a la possibilité de la connaitre (A condition de posséder un téléphone portable.) suite à une manipulation intentionnelle et divine. Les quelques sagesses, amères, frappent sans concessions : pour beaucoup, le message déclenche une preuve. Entre leur cellulaire et eux, le bon Dieu n’existe pas et il peut-être encore tout de bouleverser le quotidien. Ou au contraire de ne pas l’altérer.

Catherine Deneuve propose un rôle surprenant qui ravisera, peut-être, quelques idées souvent pensées à son sujet.

Sans prétention ni envolée philosophique ou lyrique, quelque chose de délicieusement corrosif se dégage dans les 3/4 du film. Ce n’est ni plus ni moins qu’une peur métaphysique mise en scène et déjà connue dans l’Histoire. Littéralement, Le Tout Nouveau Testament insiste sur le principe du memento mori : « Souviens-toi que tu vas mourir », sans emprise et sans moyen de changer le compteur déjà en marche. Improbable, le non-sense occupe une place de premier rang si bien que la sphère du divin et le monde humain n’est séparé que d’une fine barrière : le tambour d’une machine à laver. Que dire d’un Dieu absolument impuissant sans son ordinateur ? Ou la manière dont Catherine Deneuve se moque ouvertement d’elle-même et de sa romance passionnée avec un gorille sensible ? A la fin de la trame narrative, malgré une prestation adaptée des acteurs, la sévérité des observations baigne magistralement dans une attitude bien positive, bien rose et bien dégorgée de bons sentiments : il suffit d’aimer sincèrement pour un « retour de l’être aimé ». Alors, bon Dieu : remettez Benoit Poelvoorde pour arracher quelques sourires en coeur bien trop faciles lors des dernières minutes du film !

Le cinéma belge, autrement.

Personnage principal, l’impact et les rôles les plus importants sont à découvrir dans la distribution de rôles secondaires.

Le Tout Nouveau Testament s’appuie sur des visages bien connus, avec une Catherine Deneuve pétrie d’auto-dérision, et des représentants , méconnus en France, du cinéma belge. Cet air d’indépendance met un peu plus en valeur les talents des uns, le choix d’interprètes trop peu connus pour faciliter la création de portraits intimistes d’une singularité rarement atteinte. Le Tout Nouveau Testament réussit un équilibre sans trop verser ni dans le rire ni dans le drame absolu. Chaque « acteur clef » bénéficie d’une forme d’arrêt sur image où transparaissent des défauts physiques, des vies banales. Une forme de réussite rappelant à grands traits les vies du film Amélie Poulain à travers les célèbres « Il aime / Il n’aime pas.

A l’exemple du scénario, sa simplicité paie tandis que la moindre sophistication se rend suspecte visuellement. Déjà éculé dans La Vie de Walter Mitty, les effets spéciaux et les mouvements dessinés de nuées d’oiseaux se prêtent parfaitement à la moquerie

Quelques moments, heureusement, rehaussent l’ensemble du scénario. Et se trouvent dans les premiers moments du film.

La finalité du scénario, décevante, se comble par des moments d’égarement décalés et intercalés dans les portraits communs des unes et des autres. Les dialogues, objets de purs instantanés et d’un langage parlé plus qu’écrit, sont secondés par des fantaisies filmées bien plus accessibles que le non-sense promu par Quentin Dupieux. (Réalité et le reste de la filmographie seraient incomparables tant ce ne sont pas des niveaux comparables.) La caméra filme des des instants doux-amers où la suggestion se passe de mots. Ces moments jouent sur la porosité de la réalité et le rêve. Sans viser le pinacle sentimental, ces passages s’intercalent habilement entre le rire et le drame dans les 3/4 du long-métrage.

Comédie tendre, peu sérieuse, dramatique, cumule des qualités … mises en échec sur son final. Ce sont les défauts que l’on retrouve chargés en l’espace de quelques minutes : une béatitude balayant plus d’une heure de douceur amère, et toute la profondeur possible ou suggérée du film. Une fin gâchée mais non pas un film raté : il lui manque de la profondeur pour être un peu plus qu’un divertissement agréable sans exigence.

On a aimé : 

+ Une cohérence dans le rôle des différents acteurs. 
+ Quelques répliques et quelques contextes prêtant à rire. 
+ Des passages corrosifs portés par Benoit Poelvoorde. 
+ Une manière intimiste de mettre en valeur la plupart de la distribution belge. 

On a détesté : 

– Une fin niaise et des moments de pur mièvrerie.
– Une absurdité qui ne parvient pas à sa finalité.