8 septembre 2015 / Michel Berhocoirigoin
• Michel Berhocoirigoin est ancien secrétaire général de la Confédération Paysanne nationale, Président de la chambre d’agriculture alternative du Pays Basque, de 2005 à 2015.
L’actualité agricole que nous connaissons depuis plusieurs semaines se caractérise par une grosse manipulation ! Je pèse mes mots, et j’affirme de suite que je ne suis pas dans la critique des paysans qui manifestent. La douleur et le désespoir sont bien réels dans les campagnes, même si ce n’est pas la situation de tous ceux qui descendent dans la rue, car, il faut le dire aussi : les disparités en agriculture sont scandaleuses, ce qui rend la crise encore plus insupportable !
Un jour, l’apologie du libéralisme, le lendemain, la quête des aides publiques
Mais ici, je veux simplement, mais vigoureusement, dénoncer le fait que les principaux animateurs des manifestations de cet été sont les instigateurs des mécanismes qui nous ont entrainés dans la situation actuelle. Le mal est profond, il est dans la structure même du processus de production agricole. Il mérite un débat de fond qui exclut tout double discours entre les positions défendues auprès des pouvoirs publics et celles assumées publiquement. Il n’est pas possible de revendiquer du matin au soir et tous les jours, davantage de libéralisme et de compétitivité, puis, avec le même aplomb, d’exiger des soutiens publics des aides pour faire face aux conséquences entrainées par ce qui a été revendiqué et obtenu…La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et ses satellites ont une grande responsabilité dans la situation actuelle. Leurs mots d’ordre se rejoignent dans une trinité infernale :Jamais les bonnes questions
L’une des situations dénoncées dans les récentes manifestations a été la baisse du prix du lait, suite à la suppression des quotas qui régulaient la production. Mais, quel était le discours de la FNSEA lorsque les quotas étaient en place ? J’ai siégé durant quatre ans au côté de leurs représentants au Conseil de direction de l’Office national du lait (ONILAIT). Combien de fois ne sont-ils pas intervenus pour déplorer que la France ne puisse exporter davantage, à cause de la limitation de la production par les quotas ? Combien de fois n’ont-ils pas déploré que tout ceci entravait la compétitivité de la filière laitière ? Combien de fois ne leur ai-je pas dit que leur discours préparait le terrain à la sortie des quotas ?- 1700 tracteurs à Paris... 3 septembre 2015
Puits sans fond
La FNSEA demande au Président de la République un plan de trois milliards d’euros pour « des mesures de court terme » : allégement des charges sociales et fiscales, et mise en place d’un plan de désendettement, et pour « des mesures structurelles à moyen terme » : soutien à l’investissement et à l’allégement des normes ! Autrement dit : aide au désendettement pour le court terme, et aide à l’endettement pour le moyen terme !Ainsi, l’agrandissement des tailles d’ateliers et l’accaparement des productions sont financés par les fonds publics. Voilà l’efficacité économique et sociale de l’agriculture industrielle qui est un puits sans fond, et qui n’est plus capable de payer ses charges sociales ou fiscales !L’essentiel des problèmes de l’agriculture vient du fait qu’elle s’enlise dans le libéralisme et l’industrialisation. Il faut changer de cap. Et plutôt qu’aller encore plus loin dans le libéralisme et l’industrialisation, aller vers la maîtrise et la répartition des productions, le soutien à la qualité, la relocalisation des filières.Lire aussi : Et Xavier Beulin, président d’Avril-Sofiproteol, fut hué par les agriculteurs désespérés
Source : Courriel à Reporterre• Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.Photos : ©Marie Astier/Reporterre(Chapô : un drapeau de la FNSEA à Paris dans la manifestation du 3 septembre 2015)http://www.reporterre.net/L-aveuglement-de-la-FNSEA-est-responsable-de-la-crise-agricole